Deux ONG suisses dénoncent un vide juridique dans le trafic d’or
(Keystone-ATS) Des villages entiers sont déplacés au Burkina Faso pour permettre l’extraction de l’or, révèle une enquête d’Action de Carême et Pain pour le prochain. Ces ONG dénoncent un vide juridique dans la loi suisse qui favorise les pratiques abusives des firmes à l’étranger.
« Avant on vivait, maintenant on survit », résume Florence Sawadago, 25 ans, du village de Bissa, au nord du Burkina Faso, citée dans l’enquête. Dans ce pays, qui vit depuis dix ans un véritable boum de l’or, 14’000 personnes ont notamment été déplacées pour laisser la place à trois mines, ont révélé les deux ONG lors d’une conférence de presse lundi à Berne.
Or ces mines extraient de l’or traité ensuite en Suisse, où est raffinée 70% de la production mondiale de ce métal précieux et la quasi totalité de l’or burkinabé.
« La Suisse porte ainsi une lourde responsabilité dans les répercussions négatives qu’implique l’extraction de ce métal », a souligné Dorothea Winkler, responsable du dossier « Entreprise et droits humains » à Action de Carême.
Privés de leurs terres
Sur place, les personnes expropriées ont perdu l’ensemble de leurs moyens de subsistance, a expliqué Barthélémy Sam. Economiste, coordinateur des projets d’Action de Carême au Burkina, il a visité les villages autour de trois mines, dont la totalité de l’or est ou a été extraite et raffinée par Metalor, entreprise sise près du lac de Neuchâtel.
Privées d’une grande partie de leurs terres fertiles, dans un pays où 83% de la population vit de l’agriculture, ces personnes ne parviennent plus à nourrir leurs familles toute l’année et s’endettent, a-t-il constaté.
Eau polluée, terrains dégradés
L’orpaillage artisanal, moyen additionnel de subsistance, n’est plus possible, et les entreprises minières n’ont pas non plus fourni les emplois promis. A cela s’ajoute la pénurie d’eau, utilisée en grande quantité dans l’industrie extractive, et sa pollution par l’usage du cyanure.
Dans le village de Gombo, près de la mine de Kalsaka dans le nord du pays, l’entreprise minière a aussi creusé « un grand cratère dans un lieu consacré au culte des ancêtres qu’elle avait promis de ne pas toucher ». Et aujourd’hui, « après un an et demi, la mine est en train de fermer » et personne ne sait qui va remettre les lieux en état ou est responsable de l’assainissement, détaille M. Sam.
« Le Burkina Faso a fait une loi très favorable aux entreprises minières pour les attirer », explique-t-il. « Tout se passe entre Etats, les études d’impact restent souvent dans les tiroirs ». « Et au Burkina, il n’y a pas de gouvernement fort pour se pencher sur ces questions ».
Agir en Suisse
Côté suisse, « le Conseil fédéral ne veut parier que sur des mesures volontaires pour obtenir un meilleur respect des droits humains et de l’environnement de la part des entreprises multinationales actives à l’étranger », a relevé Anne Seydoux-Christe, conseillère aux Etats et membre du conseil de fondation d’action de Carême.
Or, cette étude le démontre, cela ne suffit pas, certaines entreprises n’assumant pas leurs responsabilités, dit-elle. S’agissant de Metalor, « un exemple parmi d’autres », la société, « comme beaucoup, ne reconnaît pas les problèmes ».
Metalor s’inscrit pour sa part en faux contre les conclusions de l’enquête, assurant « agir en conformité avec la loi burkinabé, les standards d’organisations internationales reconnues et ses propres règles internes incluant (…) le respect total des droits humains », lit-on sur son site internet.
Initiative nécessaire
Aux yeux des ONG, l’inscription dans la loi suisse du devoir de diligence pour les multinationales est une question « de justice et de dignité ». C’est pourquoi les deux oeuvres d’entraide et plus de 70 organisations ont décidé de lancer en 2015 l’initiative « Pour des multinationales responsables », dont la récolte de signatures est en cours. Le délai est fixé à septembre.
Craignant les conséquences pour la réputation de la Suisse des violations des droits humains commises par des entreprises helvétiques, Anne Seydoux-Christe voit cette initiative comme « une chance pour l’économie ».