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Droits humains: le grand écart de la Suisse

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La diplomatie suisse promeut depuis de nombreuses années les traités internationaux relatifs aux droits de l'homme. Une législation attaquée en Suisse même.

Le ministre de la Justice vient de critiquer ce cadre lors de la fête nationale, et plusieurs initiatives menacent de lui porter atteinte en cas d’acceptation par les citoyens.

«Les droits de l’homme, quoi qu’en disent les théseux et autres stipendiés du social, ont leurs limites.»

Fort contestable, cette affirmation au cœur d’une chronique sur la délinquance parue récemment dans le Matin dimanche, le journal dominical de la Suisse romande, pose clairement l’enjeu qui se cache derrière une série de déclarations et de propositions de lois.

Lors d’un discours prononcé le jour de la fête nationale suisse (et qui n’engage pas le gouvernement de coalition), le ministre de la Justice Christoph Blocher s’en est pris au droit international qui briderait la démocratie helvétique et ses droits populaires tels que l’initiative et le référendum.

La critique du tribun ministre est tout à fait cohérente, puisque son parti, l’UDC (droite conservatrice), ne cesse de lancer ou de soutenir des initiatives qui pourraient, une fois adoptées et appliquées, contrevenir à la charte des Nations Unies sur les droits de l’homme ou à la Convention européenne des droits de l’homme.

Risque de violation

C’est déjà le cas de l’initiative pour l’internement à vie des délinquants les plus dangereux, que le Parlement n’arrive pas à traduire dans la loi. Et ce sera à l’évidence celui des textes proposant la naturalisation par les urnes, l’interdiction de la construction de minarets et l’expulsion des étrangers délinquants, dernière initiative en date, lancée le 1er août.

Adoptée par le peuple en septembre 2006, la sévère législation sur l’asile et les étrangers se situe, elle aussi, à la limite, d’éventuelles violations dépendant de son mode d’application.

Ce durcissement continu de la législation suisse est une conséquence des peurs d’une partie de la classe politique et de la population suisse face aux étrangers et à une aggravation supposée de la criminalité. Un thème abondamment relayé par les médias du pays.

Un écart grandissant

Mais ces tours de vis répétés commencent aussi à inquiéter au-delà des partis de gauche. «La Suisse reste l’un des pays dont les standards en matière de respects des droits de l’homme est des plus élevés. Même la nouvelle législation sur l’asile et les étrangers que j’ai combattue et que je continue à considérer comme mauvaise ne va pas aussi loin qu’ailleurs en Europe», tient d’abord à relever Claude Ruey, élu du parti libéral (droite) à la chambre basse du parlement suisse.

Mais le parlementaire vaudois ne peut que constater l’écart toujours plus grand entre le fort engagement de la Suisse sur la scène internationale en faveur des droits humains et les mesures de plus en plus restrictives adoptées ou proposées en Suisse même à l’encontre de certaines minorités.

«Nous devons être très vigilants, insiste Claude Ruey. Et comme la Suisse est dépositaire des Conventions de Genève, une ville qui abrite également le Conseil des droits de l’homme, nous devons montrer l’exemple. Or en ce moment, nous sommes en train de déraper. »

Une évolution qui n’échappe pas aux diplomates du reste du monde, selon Claude Ruey.

Nécessaire garde-fou

De leur coté, les juristes commencent également à monter au créneau. C’est par exemple le cas de Walter Kälin, professeur de droit constitutionnel et de droit international public à l’université de Berne.

Cet expert reconnu dans le monde entier ne conteste pas le caractère restrictif du droit international à l’encontre de certains droits populaires. Mais il rappelle qu’il s’agit là d’un garde-fou. «La démocratie a en effet des limites. On ne peut pas voter pour ou contre un génocide ou sur l’instauration d’un régime d’apartheid», souligne Walter Kälin.

Avant de préciser: « Il y a toujours une tension entre la volonté de la majorité et les droits et les intérêts légitimes des minorités. C’est pourquoi la Suisse n’est pas seulement une démocratie, mais aussi un Etat de droit».

«Le droit international met donc des limites à la volonté de la majorité. Mais c’est pour protéger les minorités et les individus, soit, selon les circonstances, chacun d’entre nous», souligne l’éminent juriste.

«C’est sur la base d’une décision souveraine qu’un pays comme la Suisse et son parlement adhère à un traité international. Et la plupart de ces textes sont soumis au referendum populaire», conclut Walter Kälin.

Frédéric Burnand à Genève, swissinfo.ch

La primauté du droit international sur le droit suisse s’est imposée dès le milieu du 19ème siècle (naissance de la Suisse moderne).

A la suite de l’adoption par la Suisse d’un traité international qui était en contradiction avec une loi suisse, le Tribunal fédéral (garant de la Constitution) a tranché en faveur du traité.

A quelques exceptions près dans les années 30, ce principe n’a jamais été remis en question depuis, sauf une fois dans un cas lié à la Lex Koller (limitation des achats de terrains par des étrangers).

Juridiquement, la Suisse aurait la possibilité de sortir de la Convention européenne des droits de l’homme. Jusqu’à maintenant, seule la Grèce a fait le pas, du temps de la dictature des Colonels, avant de la réintégrer au retour de la démocratie.

De plus, la Suisse serait toujours liée au pacte sur les droits civils et politiques des Nations unies. Une Convention dont un pays membre ne peut sortir. La Corée du Nord a essayé de s’y soustraire, avant d’accepter l’impossibilité d’une telle option.

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