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La crise pandémique révèle le rôle stratégique des semi-conducteurs

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Un scientifique montre une fine tranche de matériau semi-conducteur utilisé dans la fabrication de circuits intégrés et d'autres microdispositifs, dans une salle blanche de l'École polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Keystone / Laurent Gillieron

Une pénurie sans précédent de semi-conducteurs affecte plusieurs secteurs économiques sur la planète. La pandémie a fait exploser la demande d'équipements numériques, créant un déséquilibre dans les capacités d'approvisionnement de cette industrie de pointe, devenue hautement stratégique. Les effets se font ressentir aussi en Suisse.

Sans elles, plus aucune machine ou appareil ne fonctionnerait. Les puces électroniques, inventées en 1958, font aujourd’hui partie intégrante des objets du quotidien, de la voiture à la machine à laver, en passant par les téléphones portables, les pacemakers, les consoles de jeux ou les souris d’ordinateur. Les semi-conducteurs sont la mémoire, l’œil et le cerveau de nos machines.

«Il suffit qu’une seule puce essentielle vienne à manquer pour devoir arrêter toute une chaîne de fabrication», affirme Serge-Alain Porret, vice-président du Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEM) à Neuchâtel.

Le défaut d’approvisionnement s’est fait ressentir pour la première fois à l’automne 2020, lorsque le géant Apple a dû retarder la sortie de son iPhone 12. En ce début d’année 2021, c’est le secteur automobile qui est frappé plus durement. Ford, General Motors, PSA, Toyota, Nissan, Renault ou Volkswagen… tous ont dû ralentir, voire stopper leur production.

En Suisse, aucune fermeture n’a été encore rapportée, mais plusieurs secteurs sont touchés par des retards de livraison. Biketec GmbH développe à Huttwil (BE) des solutions pour l’intégration intelligente du système de vélo électrique. Son directeur Ivi Durdevic déplore des délais de livraison de 3 à 4 mois plus longs. Selon l’équipement, un vélo électrique intègre plusieurs centaines de composants électriques. «Actuellement, nous avons des goulots d’étranglement pour les puces hautement intégrées, comme par exemple les microcontrôleurs. Cela concerne environ cinq types de puces par vélo», détaille le directeur.

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Ce qui a provoqué la pénurie

Deux événements majeurs expliquent cette pénurie. Le premier a été initié par le géant chinois Huawei, qui a constitué d’importants stocks avant de se voir couper l’approvisionnement en raison des sanctions américaines. Ses concurrents ont donc fait de même.

Mais selon Serge-Alain Porret, c’est surtout la pandémie de Covid-19 qui est venue accélérer cette tension sur le marché. «Avec le Covid, on a vendu moins de voitures, mais on est restés beaucoup à la maison. Les besoins en webcam, ordinateurs et jeux vidéo ont, en parallèle, nettement augmenté. Donc, les fonderies qui fabriquent les puces électroniques ont pu convertir leur capacité de production de la voiture vers l’industrie du grand public. Et cette demande continue d’être très forte. Mais le secteur automobile est reparti plus tôt que prévu, en particulier en Chine. Il n’y a donc plus assez de capacité pour satisfaire la demande du marché.»

Une voiture moderne contient jusqu’à 4000 différents petits morceaux de semi-conducteurs, pour faire fonctionner Airbags, ABS, freins ou essuie-glaces. L’électronique globale représente environ 40% de la valeur d’une voiture. Une part qui sera plus importante pour une voiture électrique ou autonome.

Des investissements colossaux

L’industrie automobile est l’une des plus voraces en semi-conducteurs, mais elle n’est pas la seule qui en dépend. Plus de 1000 milliards de puces sortent chaque année des usines, qui sont situées pour la plupart en Asie et aux Etats-Unis. Ce marché représente un chiffre d’affaires annuel de 450 milliards de dollars et devrait s’accroître à mesure que de plus en plus de machines industrielles seront connectées et équipées de capteurs. Mais au-delà des chiffres économiques, c’est le potentiel stratégique d’une telle industrie qui affole aujourd’hui les gouvernements de la planète. Car lorsque la chaîne d’approvisionnement se rompt, c’est l’économie toute entière qui est menacée. Et lorsque cette industrie est sous tension, cette dernière se répercute sur les relations géopolitiques.

Le problème structurel vient du fait que tout le monde s’approvisionne à la même source. «Les fonderies reposent sur une technologie extrêmement avancée et extrêmement complexe. C’est probablement la technologie grand public la plus avancée qui existe. Il faut se rendre compte qu’on travaille quasiment à l’échelle de l’atome. Les investissements pour monter une usine qui pourra fabriquer ces circuits intégrés sont colossaux. On parle de 10 à 20 milliards de dollars pour des fonderies de dernière génération. Donc il en existe très peu et elles voudront utiliser leur capacité au maximum pour des questions de retour sur investissement», explique Serge-Alain Porret.

Aujourd’hui, les puces les plus évoluées ne mesurent que cinq nanomètres. TSMC à Taïwan et Samsung en Corée du Sud ont commencé à les produire en 2020. Ils sont actuellement les seuls, car en 20 ans, le nombre de fabriques à la pointe de la technologie a plongé de 25 à 3, à en croire The EconomistLien externe. Mais selon des rumeurs, l’américain Intel, leader historique pendant plus de 30 ans, compte sous-traiter en partie sa production. Il pourrait n’en rester plus que deux.

Taïwan au coeur des tensions

TSCM est un véritable joyau pour l’Etat de Taïwan, pays au coeur des tensions entre la Chine et les Etats-Unis. On estime que l’entreprise de près de 50’000 employés répartis dans ses filiales en Chine et aux Etats-Unis, produit environ la moitié des semi-conducteurs de pointe, et un cinquième de toute la fabrication de puces. En janvier, l’entreprise a annoncé qu’elle comptait augmenter ses dépenses en capital pour l’année en cours, de 17,2 à 28 milliards de dollars.

La Chine, qui revendique ce territoire, souhaite réduire sa dépendance à l’égard de Taïwan. Elle s’est fixé depuis quelques années pour objectif de produire 40% des semi-conducteurs dont elle a besoin en 2020, et vise 70% en 2025. Mais avec 16 à 30% d’autosuffisance actuellement, l’Empire du milieu semble loin du compte.

De leur côté, les Etats-Unis se sont alliés à TSMC, qui s’apprête à installer une fonderie de pointe en Arizona, pour 12 milliards de dollars. Et ceci, en parallèle des restrictions contraignantes contre son rival. L’embargo sur la technologie, qui affecte environ 60 entreprises chinoises, commencerait d’ailleurs à faire effet, puisque les ventes de TSMC aux clients chinois ont chuté de 72% au dernier trimestre 2020.

En réponse, la Chine a débloqué en septembre dernier près de 100 milliards de dollars pour soutenir des projets de développement. La semaine dernière, c’est le président américain Joe Biden, emboîtant le pas à son prédécesseur dans cette stratégie, qui a signé un décret visant notamment à redynamiser la production sur sol américain.

Dans cette lutte aux relents de deuxième guerre froide, l’Europe tente de résister, mais les fleurons européens du secteur ont accumulé beaucoup de retard et ne pèsent que 10% du marché. La plus grande fonderie européenne se classe au 12ème rang mondial en terme de chiffre d’affaires. Il s’agit de STMicroelectronics, dont le siège social se trouve à Genève. En décembre dernier, 16 pays européens ont annoncé une alliance industrielle visant à renforcer les capacités de production sur le continent. L’initiative devrait coûter près de 30 milliards de francs.

Une fonderie suisse pour un marché de niche

A quelques pas du lac de Neuchâtel se situe la seule fonderie à basse consommation du pays: EM Microelectronic à Marin (NE). Cette filiale du groupe Swatch réalise moins de 10% de son chiffre d’affaires dans l’horlogerie. Le reste des centaines de millions de puces produites chaque année sert tous les autres marchés, de l’automobile au médical en passant par l’électronique.

Avec l’explosion de la demande depuis le début de la crise, les employés de l’entreprise n’ont pas chômé. Des disques de silicium sont gravés jour et nuit, sept jours sur sept. «Nous conseillons à nos clients d’anticiper leurs commandes. Mais parmi nos clients historiques, personne n’a été laissé sur la touche jusqu’à ce jour», affirme son directeur Michel Willemin.

Dans cette entreprise de taille «riquiqui sur le marché mondial», les nouveaux clients affluent. Mais une puce électronique, si elle est spécifique à son application, n’est pas disponible du jour au lendemain. «Depuis le premier contact jusqu’à la production, cela peut prendre jusqu’à 2 ans», souligne le directeur.

L’entreprise est capable de produire des puces d’une taille de 110 nanomètres: «C’est le diamètre d’un cheveu divisé par 700», image Michel Willemin. C’est toutefois plus gros que les deux leaders mondiaux, mais ces puces, qui comportent tout de même des millions de transistors, sont largement suffisantes pour la grande majorité des applications. Et la fonderie suisse n’a pas pour vocation de rivaliser avec TSCM, puisque qu’elle vise un marché de niche avec la fourniture de composants à très faible consommation.

Il n’empêche que les clients, craignant une rupture d’approvisionnement, font des stocks. Face à cette demande pressante, la fabrique prévoit de s’agrandir, mais de manière contrôlée. «Pour augmenter la cadence, nous avons déjà investi plusieurs dizaines de millions de francs, au niveau des équipes, mais aussi pour de nouvelles machines et équipements. Mais nous devons rester prudents, car une période de très forte demande est souvent suivie par un tassement».

Hausse des prix

En Suisse comme ailleurs, ces investissements ont engendré une hausse du prix de certaines puces. Dans un marché de l’électronique qui tend plutôt à devenir de moins en moins cher, ce renchérissement n’est pas habituel.

De son côté, le géant taiwanais TSMC a relevé ses prix de 10 à 15% l’automne dernier et envisage de les augmenter de nouveau, selon le quotidien économique NikkeiLien externe.

Le directeur de Biketec GmbH, Ivi Durdevic, a fait quant à lui état d’une augmentation allant jusqu’à 30% pour certaines puces, en particulier lorsqu’il s’agit de produits rares. Mais le directeur de EM Microelectronic relativise: «Une augmentation de 10% sur une puce qui vaut quelques centimes me paraît acceptable».

La plupart des analystes s’attendent à voir durer la pénurie jusqu’en 2022. La demande devrait également rester forte durant ces trois prochaines années, ce qui pourrait encore accentuer la hausse des prix, et donc des produits électroniques connexes.

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