L’habitat participatif en Suisse: épargne et nouvelles formes de sociabilité urbaine
Aujourd’hui, la Suisse est un pays à l’avant-garde en ce qui concerne la culture de l’habitat. On ne parle pas seulement d’architecture, mais aussi de logements à mi-chemin entre location et propriété: les coopératives d’habitation.
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Mattia Lento
Deutsch
de
Wohnbau-Genossenschaften: Erschwingliches Wohnen im urbanen Raum
Les villes alémaniques et Genève sont aujourd’hui un terrain d’expérimentation pour des formes d’habitat hors du commun. Mais dans d’autres régions du pays et à l’étranger, on commence aussi à suivre ce modèle suisse, et en particulier zurichois, pour faire face à de nombreux problèmes liés à l’habitat: la hausse des prix de l’immobilier, les loyers élevés, les phénomènes de gentrification et d’aliénation urbaine.
La «troisième voie de l’habitat»
La coopérative d’habitation se forme à partir de l’union d’au moins sept personnes. Suivant des principes de secours mutuel et de partage des responsabilités, elles décident de construire ou d’acquérir des immeubles pour les administrer sans but lucratif et selon des critères démocratiques. C’est une sorte de «troisième voie de l’habitat», à mi-chemin entre la location et la propriété.
Elle permet tout d’abord à ceux qui vivent dans ces maisons d’économiser, mais elle influence aussi profondément le mode d’habitation. Les coopératives les plus récentes, en effet, ne constituent pas seulement des formes d’administration alternative des immeubles, mais deviennent également de vraies communautés urbaines autogérées, solidaires et écologiques.
En voici quatre exemples, tous en ville de Zurich: la coopérative WogenoLien externe, née à la fin des années huitante, et dont les maisons sont complétement autogérées par les locataires; la coopérative Kraftwerk1Lien externe, un projet innovateur, fortement solidaire et écologique, au sein duquel le partage des espaces communs et l’interaction avec le quartier jouent un rôle fondamental; et finalement, les coopératives Mehr als WohnenLien externe et KalkbreiteLien externe, qui ont gagné une notoriété internationale grâce à leur consommation énergétique particulièrement basse, à leur concept architectural, à la configuration des espaces et à l’organisation de la vie à l’intérieur de ceux-ci.
Ce genre de coopératives d’habitation est une tendance relativement nouvelle et complexe, mais qui a des origines lointaines. Nous avons identifié en particulier trois phénomènes ayant fortement influencé certains de ces nouveaux projets: les utopies de l’habitat au 19e siècle, le mouvement coopératif de manière globale et les mouvements de jeunes des années huitante.
Les utopies de l’habitat au 19e siècle
Elles sont aujourd’hui peu connues, voire méconnues, et pourtant les utopies de l’habitat au 19e siècle ont revêtu une importance politique, sociale et architectural qu’il ne faut pas sous-estimer. Certaines de ces visions sont nées au sein du socialisme utopique, cet ensemble de courants de pensée philosophique, politique, religieuse et sociale qui avaient pour objectif l’émancipation de la classe ouvrière, ou tout au moins l’amélioration de ses conditions de vie.
Parmi les nombreux penseurs qui animèrent le débat de l’époque, le britannique Robert Owen fut l’un des plus célèbres et influents. Son socialisme, considéré par beaucoup comme empreint de paternalisme, n’était pas aussi structuré que celui d’autres penseurs contemporains, mais son activisme intense dans le domaine social, industriel, syndical et pédagogique en fit une personnalité influente de son époque.
Owen était convaincu que le caractère de l’homme est entièrement forgé par son environnement. C’est pourquoi il promut un modèle de société fondé sur les villages coopératifs et les communautés agro-industrielles de dimension réduite et non extensible, en réponse à la misère urbaine croissante de l’époque.
Le village conçu par Owen était constitué d’une grande unité habitable quadrilatérale, à l’intérieur de laquelle se trouvaient des espaces et des édifices publics, et à l’extérieur des champs agricoles. Son expérimentation de vie commune fut réalisée aux Etats-Unis, en Indiana, mais fut de brève durée.
Charles Fourier fut l’un des autres grands noms du socialisme utopique. Bien qu’il provînt d’une famille de commerçants, il critiqua fortement la culture mercantile du 19e siècle, et de manière générale le processus naissant de l’industrialisation. Il conçut un projet de refonte de la société fondé sur la libre association des individus dans des communautés appelées «phalanges».
Le siège de toute phalange est le phalanstère, un énorme édifice à l’intérieur duquel les habitants devraient mener une forme de vie collective, en travaillant sans contrainte et sans propriété privée de biens, et avec des liens affectifs libérés de tout obstacle de fidélité et de famille. Les idées de Fourier firent de nombreux disciples et furent partiellement réalisées, notamment par l’industriel Jean-Baptiste André Godin, qui construisit près de ses usines des «familistères», soit des unités d’habitation strictement liées à la production industrielle, mais comprenant des espaces réservés aux familles isolées.
Le mouvement coopératif
Les coopératives sont des formes économiques, juridiques, et même politiques et de socialisation apparues dès le 19e siècle, et donc typiques de l’ère industrielle moderne. Il existe différents types de coopératives: de production, de consommation, agricoles, d’exploitation du territoire, de crédit et d’épargne, et bien sûr immobilières et d’habitat.
Les coopératives immobilières et d’habitat apparurent en Suisse à la fin du 19e siècle dans les villes alémaniques, en réponse aux conditions de vie déplorables du prolétariat urbain. C’est en particulier durant les années suivant la grande grève générale de 1918 que les autorités communales, cantonales et fédérales helvétiques sentirent la nécessité de soutenir la construction de logements. Ce qui conduisit, entre autres, à une croissance considérable des coopératives d’habitation, un phénomène qui se répéta après la Seconde Guerre mondiale et jusque dans les années soixante au moins, toujours grâce au soutien de l’Etat aux logements d’utilité publique.
Les mouvements de jeunes
Les mouvements de jeunes des années huitante donnèrent une impulsion décisive à de nouvelles politiques liées à l’habitat en Suisse. Une partie considérable des représentants de cette génération décida de tourner le dos aux villes pour se retirer à la campagne, tandis que d’autres s’engagèrent pour soustraire aux mains spéculatives des espaces d’habitation et des espaces publics urbains. Nombre d’entre eux participèrent à des occupations illégales d’immeubles et de maisons.
Dans les villes de Suisse alémanique et à Genève, en particulier, se développèrent de nombreux «squats», un mouvement européen né avant les années huitante déjà, et favorisé par les autorités citadines qui toléraient les occupations d’immeubles en désuétude, voire même passaient des contrats de confiance avec les occupants. Certains de ces squats furent ensuite transformés en coopératives d’habitation, comme celui de LissignolLien externe à Genève.
Toutes les coopératives d’habitation apparues dans les années huitante en Suisse ne furent bien sûr pas créées à partir de squats, mais nombre d’entre elles en étaient la continuation naturelle ou, encore mieux, une sorte d’institutionnalisation des mouvements de jeunes pour l’occupation de l’habitat.
Aujourd’hui, les coopératives d’habitation jouissent d’une grande popularité dans les environnements urbains helvétiques. Il existe même de véritables mouvements de personnes s’engageant au sein des coopératives elles-mêmes ou dans d’autres contextes associatifs pour en favoriser l’expansion. Ces mouvements se battent pour endiguer la spéculation financière dans le secteur immobilier, et ont proposé ces dernières années des initiatives en faveur des logements d’utilité publique qui ont recueilli de bons résultats dans les urnes.
(Traduction de l’italien: Barbara Knopf)
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La voiture n’a plus la cote dans les villes suisses
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Le Salon de l’automobile de Genève est, chaque année, un énorme succès public. Mais cet engouement cache une autre réalité: le taux de motorisation diminue dans les grandes villes du pays et les constructions sans parking ont le vent en poupe.
Quelque 700'000 visiteurs sont attendus à Genève jusqu’à dimanche pour la 85e édition du Salon de l’auto, événement de l’année pour les aficionados de vrombissements et de belle mécanique. Or, depuis 2013, le nombre de voitures neuves immatriculées en Suisse diminue. La tendance à la baisse est la même sur le marché des voitures d’occasion, mais elle est plus récente.
Nombre de voitures en Suisse
Après une augmentation continue jusqu’à 328'000 véhicules de tourisme neufs immatriculés en 2012, le chiffre est tombé à 307'900 en 2013 puis à 302'000 l’an dernier, indique l’association «auto-suisse» qui regroupe 33 importateurs automobiles officiels.
Quant au nombre de voitures d’occasion, il a encore augmenté au premier trimestre 2014, puis la courbe s’est inversée. Les statistiques des trimestres suivants ont montré des taux de croissance nettement négatifs.
Ces chiffres ne sont évidemment pas de bon augure pour un secteur qui dit «employer deux fois plus de personnes que l’industrie pharmaceutique». L’Union professionnelle suisse de l’automobile (UPSA) précise: «Un emploi sur huit, en Suisse, dépend directement ou indirectement de l’automobile». Selon elle, les fluctuations des ventes sont toutefois dictées par la conjoncture. A long terme, elle table sur une stabilité.
L’UPSA rappelle qu’avec 4,32 millions de voitures particulières, soit un peu plus d’une voiture pour deux habitants en moyenne, «la Suisse présente l’un des plus forts taux de motorisation d’Europe», tout en ayant un réseau de transports publics «supérieur à la moyenne». Une comparaison européenne d’Eurostat le confirme: en 2012, la Suisse occupe le 6e rang pour le nombre de voitures par 1000 habitants.
Les méchantes langues diront qu’«on se console comme on peut». Car d’autres indicateurs sont plutôt alarmants pour la voiture traditionnelle, qui n’a pourtant jamais coûté aussi peu. Ainsi, le nombre de kilomètres parcourus par les Suisses en voiture stagne, tandis que ceux parcourus en train ont augmenté de 67% entre 1994 et 2010.
Un ménage sur deux
De plus, un ménage sur cinq (20,8%) n’a pas ou plus de voitures et leur nombre ne cesse de progresser. A Bâle, Berne, Lausanne et Genève, leur proportion a augmenté de dix points entre 2000 et 2010. A Bâle et à Berne, elle dépasse même 50%. Près d’un ménage à une personne sur deux (45%) n’a pas de voiture.
«La stabilité du taux de motorisation à l’échelon national et sa baisse dans les grandes villes ont plusieurs causes, note Vincent Kaufmann, professeur de sociologie urbaine et d’analyse de la mobilité à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL). Ce que l’on peut nommer ‘l’effet train’, et l’extension des offres de transports publics surtout dans les centres urbains, est l’une d’elles.»
Les autres raisons sont structurelles et démographiques: «Dans les villes, de plus en plus de gens vivent seuls, précise Vincent Kaufmann. Les grandes familles, qui sont encore très motorisées, se déplacent vers les périphéries. Le vieillissement est un autre facteur. Le taux de motorisation diminue chez les plus de 80 ans.»
Cette proportion baisse aussi chez les plus jeunes, mais pour d’autres raisons. «La voiture ne fait plus rêver les moins de 35 ans, ajoute le sociologue. A cet égard, elle a été remplacée par internet. Pour les jeunes, ce sont les jeux en ligne qui sont synonymes d’évasion, symboliquement. Ils veulent aussi pouvoir écrire des textos en permanence, ce qui n’est pas compatible avec la conduite…» Ici encore, un passage par les statistiques démontre la tendance: la part des 18 à 24 ans possédant un permis de conduire est en effet tombée de 71% en 1994 à 59% en 2010.
Samuel Bernhard, directeur de la plateforme «Habitat à mobilité durable», qui présente des exemples de constructions dont les habitants n’ont pas de voiture ou qui comptent un faible nombre de places de parc, confirme cette tendance. «Pour les jeunes, le dernier modèle de smartphone est plus important, aujourd’hui, que la voiture.»
La voiture n’est plus l’instrument «établissant le statut social de son propriétaire, ajoute ce spécialiste, collaborateur de l’Association transports et environnement (ATE). Cette pression sociale diminue, surtout chez les gens ayant une bonne formation et un bon salaire. Les habitants des villes sont pragmatiques, voire opportunistes. Ils se demandent ce qui est le plus pratique. Or ce sont souvent les transports publics.»
Lois dépassées
Contrastant avec la diminution du nombre de voitures dans les ménages urbains, la plupart des cantons et des communes suisses exigent encore que les maîtres d’ouvrages construisent des places de parking dans les nouveaux immeubles. Ces règlements avaient été adoptés après la Deuxième Guerre mondiale, pour éviter un chaos dans l’espace public où le nombre de voitures progressait très vite.
Aujourd’hui, cette obligation gêne certains investisseurs, pour de simples raisons économiques. «Il faut compter environ 30'000 à 40’000 francs pour la construction d’une place de stationnement dans un parking souterrain, explique le site de la plateforme «Habitat à mobilité durable». Lorsque la place n’est pas louée, cette somme devient rapidement un risque financier. Elle est souvent reportée sur les loyers. Tout le monde passe à la caisse, y compris les locataires sans voiture.»
Chères places de parc
Selon la plateforme «Habitat à mobilité durable», une enquête réalisée en 2010 en ville de Zurich montrait que les places de stationnement coûtent entre 80 et 170 francs par mois. Avec des coûts de construction estimés entre 30’000 et 60’000 francs par place, les charges mensuelles avec un rendement brut de 6% (maintenance incluse) sont de 180 à 360 francs. Les loyers ne permettent pas de couvrir les coûts et il en résulte des subventions croisées des places de stationnement.
Nombre de cantons et de communes sont en train de réviser leur législation pour s’adapter à la nouvelle donne. Après le canton de Berne, la ville de Baden vient de mettre en œuvre une révision de règlement dans ce sens. Une révision a également été acceptée en ville de Zurich, mais le canton n’a pas encore accordé son feu vert.
Lorsque les législations le permettent, les projets sans parking ou avec un minimum de places de stationnement voient le jour. «Je dirais même que le nombre de projets explose, actuellement», note Samuel Bernhard.
Voiture interdite
En août 2014, un nouveau complexe d’habitations a ainsi ouvert au cœur de la ville de Zurich. Pour en devenir locataire, il faut s’engager par écrit à ne pas posséder de voiture.
Encore faut-il que tout le monde joue le jeu. Dans un quartier semblable, à une dizaine de kilomètres de Zurich, un cas de tricherie a défrayé la chronique locale l’an dernier. Un habitant avait stationné sa voiture dans le voisinage, en catimini. «En fait, finalement, cette personne a résilié son contrat d’elle-même. Les habitants de ces immeubles reçoivent un bon de 800 francs par an pour les transports publics, mais il faut respecter les règles», précise Samuel Bernhard.
Anecdote mise à part, le sociologue Vincent Kaufmann observe ces développements avec un brin de scepticisme. «Ces quartiers ou îlots verts et ces coopératives, ce sont des modèles de niche. Je ne suis pas favorable à une généralisation, qui risquerait d’éjecter les familles hors de la ville. De plus, tant de rigueur risque d’être contreproductif. Une société qui fonctionne bien n’a pas besoin de règles aussi strictes. Sinon l’on en vient, comme on l’a vu à Genève, à résilier le contrat de bail de quelqu’un qui trie mal ses déchets…»
Quant à une éventuelle inversion de la tendance à la diminution du taux de motorisation, Vincent Kaufmann n’y croit pas. «Les véhicules électriques résolvent peut-être les problèmes de la pollution et du bruit, mais pas ceux de l’encombrement de l’espace et de la sécurité», souligne-t-il.
N’empêche: les deux Ecoles polytechniques de Lausanne et de Zurich et des chercheurs du Tessin sont en train de travailler à un projet courant sur plusieurs années et intitulé «Post car world» («Le monde post-voiture»), qui analyse les conséquences qu’aurait une société sans voitures sur de nombreux aspects, y compris économiques et sociaux. Les résultats sont attendus avec impatience…
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