Accord-cadre avec l’UE: la version suisse du «remain or leave»
L’Union européenne presse la Suisse de signer un accord-cadre pour assurer l’avenir de leurs relations bilatérales. La politique intérieure helvétique menace de faire échouer le projet. Quels sont les enjeux?
Bien que la Suisse ne soit pas membre de l’Union européenne (UE), elle est intégrée à l’Espace économique européen (EEE) par le biais d’accords bilatéraux. L’UE souhaite que les questions institutionnelles de cette voie bilatérale soient réglées dans un accord-cadre.
La RTS avait expliqué ce qu’est l’accord-cadre dans un éclairageLien externe en trois épisodes en mars 2019:
Entre 2014 et 2018, la Suisse et l’UE ont négocié un texte. L’UE a poussé pour une signature, mais le gouvernement helvétique a d’abord mené des consultations, qui ont révélé trois points litigieux de l’accord:
- Protection des salaires: Les salaires et le coût de la vie en Suisse étant plus élevés que la moyenne de l’UE, les syndicats et l’industrie helvétiques craignent le dumping salarial.
- Aides d’État: L’UE ne veut pas de subventions publiques. Les cantons suisses craignent que leurs banques ne soient plus autorisées à fonctionner avec les garanties de l’État.
- Directive sur la citoyenneté européenne: Les citoyens de l’UE en Suisse auraient le même droit à l’aide sociale que les Suisses. Les opposants helvétiques craignent une «immigration vers l’aide sociale».
Sous la pression politique intérieure, le Conseil fédéral a tenté de renégocier ces trois points. L’UE a indiqué qu’elle était prête à discuter pour fournir des «clarifications», mais a catégoriquement exclu toute renégociation. La situation est dans l’impasse depuis des mois.
Politologue et présidente du glp Lab, le groupe de réflexion du Parti vert’libéral, Julie Cantalou juge que le Conseil fédéral a manqué de leadership politique après la conclusion des négociations.
Les partis représentés au gouvernement étaient divisés et ne voulaient pas affronter l’épreuve de vérité d’une campagne référendaire, estime-t-elle. «En outre, le Brexit et d’autres crises en Europe ont réduit la marge de manœuvre de la Suisse.»
Un regard en arrière
Les relations entre l’UE et la Suisse avaient pourtant bien commencé: plein d’optimisme, le Conseil fédéral avait soumis à Bruxelles une demande d’adhésion à l’UE en 1992. De son point de vue, la Suisse était dans la dernière ligne droite et prête à rejoindre l’Espace économique européen (EEE), ce qui était considéré comme la première étape vers une adhésion complète à l’UE.
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Mais les choses ne se sont pas passées comme prévu: la même année, l’électorat suisse a rejeté de manière inattendue l’adhésion à l’EEE à une très faible majorité.
Le gouvernement a par la suite abandonné son projet d’adhésion à l’UE et a préféré régler les relations avec l’UE dans le cadre d’accords bilatéraux.
La «voie bilatérale» a fait ses preuves aux yeux de la plupart des Suisses, et l’adhésion à l’UE n’est plus à l’ordre du jour.
En 2014, les bonnes relations ont été ébranlées par le «oui» des citoyens et citoyennes suisses à une initiative populaire visant à restreindre l’immigration, alors même que les traités bilatéraux garantissent la libre circulation des personnes avec l’UE depuis 2002.
Les ministres des affaires étrangères de l’Allemagne et de l’Autriche ont publiquement accusé la Suisse de faire du «cherry picking».
Par la suite, le Parlement a considérablement édulcoré l’initiative et, en 2020, la population helvétique a refusé de mettre explicitement un terme à la libre circulation des personnes. La voie était à nouveau libre pour un accord-cadre.
Et maintenant?
La Suisse est désormais de retour à la case départ. La survie de l’accord-cadre est menacée par les résistances politiques internes. L’UE a clairement fait savoir que sans accord-cadre, les traités existants ne seraient pas actualisés et qu’aucun nouvel accord ne serait conclu.
«Je compare l’accord-cadre à la mise à jour du système d’exploitation d’un smartphone», illustre Julie Cantalou. «On peut bien se passer de la mise à jour, mais alors on ne peut pas installer de nouvelles applications et, au fil du temps, les anciennes applis ne fonctionnent plus non plus.»
En d’autres termes, la Suisse passera à terme du statut de «membre passif de l’UE» à celui de pays tiers. À moins que l’UE et la Suisse réarrangent leurs relations. Tout est encore ouvert.
Les principaux arguments contre l’adhésion de la Suisse à l’UE sont sa neutralité et son système de démocratie directe.
La neutralité au sens traditionnel n’est pas compatible avec l’adhésion à l’UE, puisque cette dernière mène une politique de défense commune depuis 2009, et prévoit un devoir d’assistance. Certes, certains membres de l’UE se considèrent également comme neutres – par exemple l’Irlande, l’Autriche ou Malte. Mais la politique de neutralité est plus prononcée en Suisse.
Par ailleurs, les citoyens et les citoyennes helvétiques ont leur mot à dire sur des questions de fond au niveau national. Ce système de démocratie directe est une particularité. Cependant, les décisions populaires entrent parfois en conflit avec le droit international. C’est pourquoi on craint que l’adhésion à l’UE ne soit possible qu’au prix d’une restriction des droits de la population suisse.
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