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Les producteurs de lait luttent pour survivre

Entre 800 et 900 exploitations laitières disparaissent chaque année en Suisse. Keystone

La surproduction laitière a provoqué un effondrement du prix du lait non seulement sur le marché européen, mais également en Suisse. Pourtant, les paysans sont obligés de produire de manière toujours plus efficace pour pouvoir survivre. Un éleveur de vaches à haut rendement et le propriétaire d’une exploitation laitière high-tech expliquent pourquoi ils n’ont pas (encore) disparu sous cette marée de lait.


Bio et local

Bien que la Suisse, pays riche en pâturages, particulièrement dans les régions de collines et de montagnes, se prête à l’économie laitière, le marché du lait est «hautement problématique» pour certaines exploitations agricoles, relève Regina Fuhrer, présidente de l’Association des petits paysansLien externe. Pour les producteurs de lait bio et pour les exploitations qui ont trouvé un marché de niche, les coûts sont encore plus élevés.

Regina Fuhrer gère une petite exploitation bio dans la campagne bernoise. «Nous produisons des quantités relativement petites de lait biologique et nous le vendons 80 centimes le litre à une laiterie locale. Ce sont surtout les exploitations de taille moyenne et grande qui sont particulièrement frappées par la crise. La production de lait présuppose de gros investissements. Il faut des structures, des machines et des animaux particuliers qu’on ne peut pas remplacer du jour au lendemain. Pour celui qui a investi beaucoup d’argent, l’écroulement des prix signifie s’enfoncer rapidement dans les chiffres rouges.»

Il fait partie des plus grands et des plus modernes de l’industrie laitière suisse. Ses vaches se font traire par un robot lorsqu’elles en ont envie. La distribution du fourrage se fait également de manière totalement automatisée. Même le nettoyage de son étable high-tech est accompli par un robot. «Nous nous sommes spécialisés dans l’élevage de vaches laitières, nous avons investi des millions, rationnalisé et augmenté l’efficacité», déclare ce producteur de lait qui souhaite rester anonyme.

Ces derniers mois, le prix du lait de centrale a encore diminué, passant en dessous de la barre des 50 centimes par litre. Or même en étant parfaitement efficace, il faudrait un prix de 55 centimes pour que son entreprise parvienne tout juste à couvrir ses frais. «Avant d’ouvrir la porte de l’écurie, je dois d’abord y glisser un billet de cent francs», dit-il avec une ironie amère, étant donné qu’avec ce travail, il ne gagne rien, mais perd de l’argent.

Il ne songe cependant pas à tout arrêter. «Je suis condamné à produire. Toujours plus, toujours plus vite, toujours meilleur marché. Et je dois espérer que ce sera le voisin qui restera le premier sur le carreau». Ce producteur est bien conscient de la situation: «cela conduit d’une façon ou d’une autre à ma perte, mais si ne participe pas à cette course, j’ai de toute façon perdu».

En tant qu’entrepreneur avec plusieurs employés, il doit puiser dans ses réserves et investir encore un minimum pour faire traverser à son exploitation cette phase de prix bas, explique-t-il avec l’espoir d’une remontée prochaine des prix.

«Si l’on veut conserver la Suisse en tant que pays producteur de lait, la politique doit modifier les conditions-cadre de sorte que nous puissions produire à meilleur marché», dit-il. Pour illustrer son propos, il cite l’exemple de la protection douanière que la Suisse a mis en place pour les céréales. «Le producteur suisse de céréales s’en réjouit, parce qu’il obtient un bon salaire horaire, mais cela ruine les producteurs de lait qui doivent payer les fourrages deux fois plus cher que leurs collègues allemands», déplore-t-il.

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Organisé jusqu’au moindre détail

Eleveur dans le canton d’Argovie, Toni Peterhans ne veut pas se plaindre malgré la baisse du prix du lait. Ses vaches Holstein font partie des «meilleures du pays»; d’ailleurs, il avait été désigné «éleveur de l’année» en 2013. Alors qu’une vache produit en moyenne 23’000 litres de lait avant de finir à l’abattoir, «les nôtres donnent 58’000 litres et deviennent deux fois plus vieilles, ce qui influe favorablement sur le ratio coûts-rendement», explique-t-il.

Ce succès n’est pas qu’une question de chance. L’éleveur indique que les processus dans son exploitation sont organisés «de manière militaire», jusqu’au moindre détail, depuis la production d’aliments sophistiqués jusqu’à l’analyse des bouses. «Nous sommes très structurés, assure-t-il. Chez nous, la queue des vaches est nettoyée chaque semaine et les vaches sont nettoyées trois fois par an avec une machine à vapeur. Chez nous, l’ordre règne. On peut visiter l’exploitation en petits souliers.»

L’éleveur de l’année 2013. Toni Peterhans

Nouvelle voiture, nouveau tracteur

Avec les prix du lait actuels, les coûts de production ne sont plus couverts, même chez un éleveur de pointe tel que Toni Peterhans. On peut dès lors imaginer à quel point la situation doit être mauvaise pour ses collègues moins efficaces. «Il y en a beaucoup qui dorment mal, qui doivent économiser, renoncer à investir et qui ne payent plus leurs factures qu’en traînant. La situation semble mauvaise dans certaines fermes», déclare Toni Peterhans qui ajoute, non sans fierté: «Mais pas chez moi. Nous avons même acheté et payé – pas financé – un nouveau tracteur pour 150’000 francs.»

Et si l’éleveur peut aussi se permettre l’achat d’une nouvelle voiture, c’est grâce à la diversification de son exploitation. Contrairement à ce que recommandent certains conseillers agricoles, il n’a pas mis tous ses œufs dans le même panier. Sur son exploitation de 52 hectares, il ne se contente pas de faire de l’élevage, mais il cultive également des champs et exploite une installation solaire. En outre, il rentabilise à fond ses machines. «Nous transportons le purin d’autres exploitations à la centrale à biogaz et nous n’ensilons pas uniquement pour nous mais aussi pour d’autres», précise-t-il.

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Lutte pour la survie

Le prix du lait est nettement plus élevé en Suisse que dans l’UE. «La différence de prix par rapport à l’étranger a même encore augmenté d’une dizaine de centimes en 2015, parce que la baisse des prix a été bien plus forte dans l’UE qu’en Suisse», explique Stefan Kohler, directeur de l’Interprofession suisse de la filière laitLien externe (IP Lait). «Selon les bruits qui me parviennent aux oreilles, les producteurs de lait européens sont vraiment au bout du rouleau», témoigne-t-il.

Sur sol suisse, de 800 à 900 exploitations laitières disparaissent chaque année. La situation est difficile pour les producteurs de lait de centrale, même si ce n’est pas dans la même mesure que dans l’UE. L’une des raisons est que le marché du lait n’est que partiellement libéralisé par rapport à l’UE. Dans les secteurs protégés, les producteurs locaux peuvent encore obtenir une plus-value, indique Stefan Kohler. Par exemple, les paysans obtiennent un meilleur prix du lait pour le beurre, qui coûte environ trois fois plus cher en Suisse qu’à l’étranger.

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En comparaison internationale, la production de lait suisse est encore plutôt faiblement structurée et proche de la nature. Les vaches peuvent par exemple se rendre sur les pâturages ou du moins se déplacer dans leur étable, cela grâce à la législation ou aux prescriptions de la branche.

En Suisse, le changement structurel est plus lent que dans l’UE. Selon Stefan Kohler, il est plus limité que les progrès en matière de production. Cela signifie que certaines exploitations n’ont pas encore été éjectées du marché malgré des coûts de production trop élevés. «Au cours des dernières années, le contexte de politique agricole n’a pas forcément favorisé une économie laitière professionnelle. Mais à plus long terme, il est inévitable que certains producteurs de lait cessent leur activité», avertit le responsable de l’organisation faîtière de la branche.

L’ABC du lait

Le fait que la situation des producteurs de lait suisses soit meilleure que celle de leurs collègues européens est lié à ce que l’on appelle la segmentation du marché laitier, c’est-à-dire à la subdivision du lait dans les segments A, B et C, qui ont des prix différents, explique le directeur de l’interprofession du lait, Stefan Kohler.

Cette segmentation ne dépend pas de la qualité du lait, mais elle est une mesure destinée à lutter contre la surproduction qui a été introduite en 2011, deux ans après la suppression du régime des contingentements.

Le segment A regroupe les produits laitiers protégés par des droits de douane et destinés au marché intérieur (par exemple le beurre ou le lait à boire). Le lait du segment B, meilleur marché, est exporté dans l’Union européenne, alors que celui du segment C, dont le prix est encore plus bas, est vendu sur le marché mondial. Ce printemps, le marché laitier comprenait 83% de lait du segment A, 12% du segment B et 5% du segment C.

IP Lait contrôle que cette segmentation soit maintenue tout au long de la chaîne de création de valeur, du producteur au détaillant. On veut ainsi éviter, par exemple, qu’un producteur de beurre destiné au marché intérieur n’achète du lait B pour sa fabrication.

En principe, un paysan ne peut pas être contraint à produire du lait C. Mais s’il veut fournir plus de lait que ce qui est stipulé dans son contrat, il peut déclarer l’excédent comme lait C. 

(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)

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