«J’espère que la Suisse convaincra Trump de ne pas envahir la Corée du Nord»
Depuis des mois, les tirs de missiles nord-coréens tiennent le monde en haleine et nombreux sont ceux qui redoutent une guerre nucléaire. La Suisse pourrait jouer un rôle de médiatrice dans cette crise. Interview exclusive d’Alejandro Cao de Benós, délégué du gouvernement de la Corée du Nord et unique Occidental à travailler pour le régime de Pyongyang.
swissinfo.ch: Il y a quelques semaines, la Suisse s’est dite disposée à jouer les médiateurs dans le conflit entre les Etats-Unis et la Corée du Nord. Comment évaluez-vous cette proposition?
Alejandro Cao de Benós: La Suisse conserve heureusement sa réputation de neutralité, aussi vis-à-vis de la République populaire démocratique de Corée du Nord, comme elle l’a fait depuis la fin de la guerre de Corée. De tous les pays d’Europe, la Suisse, du haut de sa neutralité, est toujours restée un des plus actifs pour collaborer avec la Corée du Nord.
En Suisse, nous avons notre personnel diplomatique: une représentation aux Nations Unies à Genève et l’ambassade à Berne. Nous entretenons des relations à plusieurs niveaux avec le gouvernement suisse et nous pensons que la Confédération helvétique peut jouer un rôle important. Pour nous, toute intervention externe qui fait comprendre aux Etats-Unis que l’invasion ou une action militaire contre la Corée du Nord ne sont pas des voies praticables est toujours la bienvenue.
Mais nous ne voulons pas qu’un autre pays parle à notre place. Nous saluons tous les discours et toutes les initiatives qui peuvent amener les Américains à s’asseoir à la table des négociations et à reconnaître le droit de la Corée du Nord à exister. Nous espérons donc que la Suisse pourra convaincre Donald Trump que l’invasion n’est pas une solution.
L’escalade entre les Etats-Unis et la Corée du Nord suscite des inquiétudes dans le monde entier, après les tirs de missiles de Pyongyang. Pourquoi ces provocations?
La Corée du Nord n’a attaqué personne, c’est un petit pays de 25 millions d’habitants qui se bat pour sa propre existence. Tout son développement dans les domaines balistique et nucléaire est réalisé dans une optique dissuasive et défensive, pour prévenir une invasion de la part des Etats-Unis. Après ce que nous avons vu en Irak, en Afghanistan et en Libye, où des pays prétendument démocratiques se sont amusés à en envahir d’autres, en tuant des civils et en réduisant des nations souveraines à la misère absolue, l’unique moyen pour éviter que tout cela n’arrive aussi en Corée était de créer un bastion suffisamment fort. Un bastion non pas avec une armée traditionnelle, vu que personne ne peut rivaliser avec la force militaire américaine. Donc, nous nous sommes dit que si nous arrivions à développer la bombe H et des missiles balistiques assez puissants pour atteindre le territoire américain, nous pouvions nous prémunir contre une éventuelle invasion de notre territoire par les Etats-Unis.
Pourquoi en est-on arrivé à ce point?
Si les Etats-Unis avaient signé la paix qui aurait mis fin à la Guerre de Corée, alors qu’elle continue depuis 1950, et si les Etats avaient voulu promouvoir des relations diplomatiques avec la Corée du Nord, comme l’a fait Clinton durant son mandat, peut-être que nous n’en serions pas arrivés à ce point. Désormais, la Corée du Nord n’a plus d’autre choix pour survivre que l’arme nucléaire. Et Trump n’a pas d’autre choix que négocier: maintenant que nous avons développé nous aussi cette technologie, maintenant que nous pouvons frapper n’importe quelle ville des Etats-Unis à 10’000 kilomètres de distance avec des armes cent fois plus puissantes que celles qui ont été larguées sur Hiroshima et Nagasaki, l’hypothèse d’une invasion n’est plus abordable, car alors, nous frapperions leur territoire.
Mais cette escalade risque d’être dangereuse, et de dégénérer en une guerre nucléaire, qui menacerait tout le genre humain.
« Il n’y aura jamais de guerre nucléaire, parce qu’ils perdraient tout et que l’humanité disparaîtrait »
Non, il n’y aura jamais de guerre nucléaire, parce qu’ils perdraient tout et que l’humanité disparaîtrait. Les armes nucléaires, même si elles sont apocalyptiques, sont des armes stratégiques, qui ne sont pas conçues pour être utilisées. Les pays qui ont réussi à en avoir s’assurent de cette manière qu’ils ne seront pas envahis. Je veux donc transmettre un relatif message de calme à la population du globe, qui voit les armes nucléaires comme la fin du monde. Trump est un fou, mais pas au point de se détruire lui-même.
Qu’en est-il des relations économiques entre la Suisse et la Corée du Nord?
Nos partenaires commerciaux naturels sont les pays asiatiques, pour des raisons géographiques. Mais il y a aussi quelques relations économiques et de développement avec la Suisse, avant tout dans les domaines de l’agriculture et de l’élevage.
C’est aussi pour cela que le leader coréen Kim Jong-un a étudié en Suisse?
La Suisse a été choisie comme lieu d’études précisément en raison des relations de longue date et aussi de la présence de notre délégation diplomatique à Berne. La Suisse est un pays relativement sûr comparé à d’autres endroits du monde et elle a l’avantage d’être un pays multiculturel où l’on peut apprendre différentes langues. En fait, la principale raison de ces études à l’étranger était de l’orienter vers l’apprentissage des langues étrangères.
Mais il est important de préciser que le fait qu’il ait passé du temps en Suisse (trois ans environ), sous une autre identité, à apprendre les langues étrangères et à améliorer ses connaissances des autres pays, ne signifie pas que sa formation n’a pas eu lieu en Corée du Nord. Notre leader a été formé à l’Université militaire Kim Il Sung de Pyongyang.
L’activiste politique espagnol Alejandro Cao de Benós, né en 1974, est le délégué spécial du Comité pour les relations culturelles avec l’étranger du gouvernement de Pyongyang. Il est le seul étranger à travailler pour le gouvernement de la Corée du Nord. Dans son livre autobiographique «Âme rouge, sang bleu, comment la Corée du Nord m’a conquis», il raconte comment, adolescent, il a été séduit par le pays depuis 1990, en entrant en contact avec les fonctionnaires de l’ambassade de Pyongyang à Madrid.
Personnage controversé, il a été arrêté en juin 2016 dans sa maison de Tarragone, en Espagne, pour possession d’armes. Il a été relâché quelques jours plus tard, mais avec interdiction de quitter le territoire. Son passeport lui a été retiré. La presse l’a accusé d’avoir menacé des journalistes qui se montraient critiques envers la Corée du Nord.
Expert informatique et ancien consultant pour diverses entreprises multinationales, il a déclaré à swissinfo.ch qu’il gagnait sa vie comme consultant en commerce international. «Je ne touche aucun salaire pour accompagner les délégations commerciales et les journalistes internationaux en Corée du Nord et je n’en ai jamais touché. Chaque fois que je vais à Pyongyang, je paie l’avion de ma poche. J’ai un appartement là-bas et le gouvernement me paie la nourriture quand j’y suis».
(Traduction de l’italien: Marc-André Miserez)
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