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L’or et la Suisse: une histoire mouvementée

Au Pérou, un projet suisse pour de l’or «propre»

Le Pérou est le 5e plus important producteur d'or de la planète. swissinfo.ch

La Suisse, qui héberge les principaux raffineurs d’or de la planète, veut rendre la chaîne d’approvisionnement un peu plus transparente et responsable. Mais au Pérou, de nombreux obstacles restent à surmonter pour que la Better Gold Initiative ne reste pas un projet cantonné à la marge.

En 1988, Feliciano Quispe arrive dans le désert côtier avec un sac à dos, une pelle, une boussole et une bouteille d’eau. L’économie de son pays sombre alors dans le chaos et Feliciano Quispe a besoin d’un travail. C’est ainsi que débute sa quête de l’or péruvien. 

«Je ne possédais rien, pas même un vélo pour me déplacer. Nous étions contraints de vivre dans le désert, dans un trou ou dans une grotte». En compagnie de quelques autres pionniers, Feliciano Quispe commence à vendre de l’or aux raffineries. Mais très vite, il a l’impression de se faire arnaquer.

Une situation qui l’incite à fonder, avec 47 autres mineurs artisanaux, une petite société minière, dans le département de l’Arequipa, à 600 kilomètres au Sud de la capitale Lima. A l’heure actuelle, la coopérative Españolita, dont il est le directeur, produit environ 14 kilos d’or par mois.

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La Suisse, carrefour de l’or

Ce contenu a été publié sur En 2011, plus de 2600 tonnes d’or brut ont été importées en Suisse, pour une valeur totale de 96 milliards de francs. Une quantité record, qui a plus que doublé ces dix dernières années (en 2002, les importations avaient atteint 1209 tonnes) et qui n’englobe pas l’or transitant dans les ports francs helvétiques. Pour bien…

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Plus aucun intermédiaire

Españolita est l’ultime projet soutenu par la Better Gold Initiative (BGI), un partenariat public-privé entre le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO), la Swiss Better Gold Association, qui regroupe 9 sociétés aurifères helvétiques, et la fondation pour le commerce équitable Max Havelaar Suisse.

La BGI a pour mission de garantir une chaîne d’approvisionnement «propre» de l’or, en éliminant les intermédiaires et en améliorant la transparence et la traçabilité du produit. La BGI assure également aux mineurs l’accès à des fonds spéciaux et à des financements pour des projets de développement durable.

L’initiative helvétique n’est pas née du hasard. Bien qu’elle ne compte plus de mines sur son territoire, la Suisse est un centre mondial pour le raffinage de l’or et le deuxième plus grand partenaire commercial du Pérou. Près de 70% de l’or mondial transite sur son territoire. Et le métal jaune représente 95% du total des exportations péruviennes vers la Suisse.

D’après les statistiques officielles du Pérou, 5e plus important producteur d’or de la planète, la Suisse a importé 190 tonnes de ce minerais en 2011. Seule une petite partie est toutefois certifiée du label «Fairtrade» ou «Fairmine». L’objectif du directeur de la BGI, Thomas Hentschel, est de permettre d’ici quatre à cinq ans d’importer deux ou trois tonnes d’or «propre» en Suisse.

Les labels Fairmined et Fairtrade sont attribués à de petites mines artisanales qui répondent à certaines normes éthiques, sociales et environnementales. Les deux fondations promeuvent entre autres l’élimination progressive de l’utilisation de mercure dans le processus d’extraction de l’or.

La certification délivrée par l’ONG Responsible Jewellery Council (RJC), dont  font partie la plupart des fabricants de bijoux de luxe, vise à appliquer des standards sociaux et environnementaux aux grandes exploitations minières. Le World Gold Council vise le même objectif, mais plus spécifiquement dans des zones de conflit. 

L’or «propre» coûte plus cher

Au cours des dernières années, les acteurs de l’industrie aurifère ont multiplié les initiatives allant dans ce sens. Mais pour les acheteurs, il n’est pas toujours facile de se retrouver dans cette jungle de labels. En outre, la proportion d’or certifié reste minime. Alors que, selon les estimations, 15 à 25% de l’or raffiné dans le monde provient de mines artisanales, seuls 600 kilos par an sont reconnus par le label «commerce équitable», explique Greg Valerio, de l’organisation non gouvernementale (ONG) Fairtrade International.

Pour sa part, l’expert indépendant Assheton Carton souligne que les grandes marques de joaillerie achètent «des tonnes d’or» chez les quatre principaux raffineurs mondiaux qui ont leur siège en Suisse, car ces derniers leur «garantissent un haut standard de qualité». Les bijoutiers ne rendront pas public la provenance de l’or tant que les consommateurs ne l’exigeront pas, estime Assheton Carter.

Autre facteur qui entrave la croissance du commerce de l’or propre: son coût élevé. Avant le lancement de l’initiative BGI, en novembre 2013, l’or certifié FairTrade ou FairMined se vendait jusqu’à 25% au-dessus du prix du marché, selon Assheton Carter. De quoi décourager les acheteurs potentiels.

La distinction entre mines illégales et informelles est plutôt opaque. Le terme informel se réfère en général aux mineurs qui travaillent en marge de la loi, sans toutefois attirer trop l’attention. Il peut y avoir des problèmes d’exploitation des travailleurs, d’évasion fiscale, de non-respect des normes environnementales, etc. Les autorités parlent au contraire de mines illégales lorsqu’un certain nombre d’abus sont constatés.

Pollution au mercure

La BGI a été lancée dans un contexte de critiques de plus en plus fortes adressées aux multinationales actives dans le commerce de matières premières et aux pays, qui comme la Suisse, les héberge.

Les ONG dénoncent les conditions de travail inhumaines dans les mines ainsi que leurs impacts écologiques et socio-culturels. A l’automne 2013, le Pérou a lancé un ultimatum aux mineurs «informels», afin qu’ils s’adaptent aux standards environnementaux, sociaux et fiscaux en vigueur d’ici au mois d’avril de l’année prochaine.

Selon le gouvernement, il y aurait environ 100’000 mineurs illégaux actifs dans la région. Déforestation, pollution au mercure, traite des êtres humains et travail forcé  sont les principaux problèmes liés à l’exploitation minière illégale, que l’Etat entend combattre avec ce processus de régularisation.

En octobre, le Carnegie Institute a dénoncé publiquement les dommages environnementaux causés par l’exploitation minière illégale dans la région amazonienne de Madre de Dios, où est extrait 20% de l’or du Pérou.

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Lors d’une visite à Huepetuhe, au cœur des activités minières, certains travailleurs ont raconté à swissinfo.ch comment, après des décennies de soutien public sous la forme de subventions ou de crédits facilités, le gouvernement de Lima semble désormais déterminé à venir à bout des mines artisanales pour favoriser les grandes sociétés étrangères.

C’est que le secteur pèse lourd dans les finances de l’Etat. Les quatre principales mines du Pérou, exploitées principalement par des sociétés étrangères, ont contribué à 14% des rentrées fiscales du pays en 2011, selon le World Gold Council.

Derrière les bidonvilles de Huepetuhe, pratiquement toute trace de végétation a disparu et le paysage a été transformé en une étendue de sable poudreux.

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La région de Madre de Dios est jonchée de pelles et d’autres équipements lourds utilisés pour extraire l’or, qui est ensuite «nettoyé» avec du mercure, une substance hautement toxique.

Le gouvernement suisse a décidé le 13 décembre 2013 de rendre plus transparentes les statistiques sur les importations et les exportations d’or. Dès 2014, les données seront ventilées par pays, conformément aux normes internationales.

Documents falsifiés

La mine d’Españolita, dans le département d’Arequipa, a déjà été régularisée. Mais à Madre de Dios, ils seront peu nombreux à s’annoncer d’ici le mois d’avril, estime Ernesto Raez Luna, conseiller auprès du ministère de l’Environnement. Les autorités craignent que de nombreux travailleurs illégaux ne se déplacent dans la jungle pour tenter d’échapper à d’éventuels contrôles.

La falsification de documents semble par ailleurs devenue une pratique courante, comme nous l’ont confirmé certains commerçants à Puerto Maldonado, capitale de Madre de Dios. «C’est un problème connu», confirme Miguel Santanilla, chercheur en chef à l’Institut du Pérou.

Depuis l’introduction de la nouvelle législation, «l’or illégal a été transformé en or légal avec la complicité des autorités», relève Miguel Santanilla. Pour Feliciano Quispe et les autres mineurs d’Españolita, l’initiative BGI semble cependant avoir apporté un peu d’espoir, ainsi qu’une reconnaissance de leur travail et de leur vision.

(Traduction et adaptation de l’anglais: Samuel Jaberg)

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