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Au Tessin, la Suisse se redécouvre en terre d’oliviers

Des oliviers avec des montagnes en arrière-fond
Sans le réchauffement climatique, ces oliveraies tessinoises seraient les plus septentrionales du continent. © Keystone / Ti-press / Pablo Gianinazzi

L’huile d’olive tessinoise est inscrite au Patrimoine culinaire suisse depuis 2021. Alors que plus au sud, une bactérie s’attaque aux oliviers des Pouilles, le Tessin voit renaître la production d’huile depuis une trentaine d’années. C’est là aussi qu’est installé le plus haut moulin d’Europe.

Il est un mythe désormais démenti. Le Tessin n’est pas la région la plus ensoleillée de Suisse. Les statistiques font apparaître qu’il y pleut davantage que sur le Plateau, au nord des Alpes. En revanche, le climat y est plus doux, au point que les oliviers y poussent depuis plus de mille ans.

La culture de l’olivier dans la région du lac de Lugano est attestée par des documents du haut Moyen-Âge, rapporte le Dictionnaire historique de la Suisse. Avec le chanvre et la vigne, elle comptera plus tard au nombre des activités économiques de Bissone, alors village de pêcheurs d’où partait le bac pour la rive luganaise du lac.

En clair, la passion pour l’olivier qui s’observe aujourd’hui au Tessin n’a rien d’une mode passagère. C’est plutôt la tradition qu’on redécouvre… En 2021, 7700 oliviers ont été dénombrés dans le canton. «Aujourd’hui, dans un cas sur trois, tout nouveau jardin et toute nouvelle maison s’accompagne d’un olivier au moins», constate Claudio Premoli, président de l’association Amici dell’Olivo (les amis de l’olivier).

Le fait est que le nombre de propriétaires d’un arbre ou d’une poignée d’entre eux dépasse largement celui des véritables oléiculteurs. Mais les récoltants n’atteignant pas le seuil des 50 kg nécessaires pour accéder au moulin peuvent en faire don à l’association. En 2018 notamment, ils ont reçu en retour une bouteille d’huile résultant de la pression collective effectuée au moulin de Sonvico – le plus haut d’Europe (620 m d’altitude) aux dires de Claudio Premoli.

Plus au nord

Les oliveraies du Tessin ne sont pas les plus septentrionales du continent. Celles plantées en 2007 sur l’île d’Anglesey, au Royaume-Uni, résisteraient à la météo du nord grâce au coup de pouce du changement climatique.

Les ennemis de l’olivier

En pleine période du Covid-19, les Amici dell’Olivo ont recensé les oliviers du canton. L’objectif était de piquer l’intérêt des firmes productrices de produits phytosanitaires pour combattre la mouche de l’olive. Mais aussi, au moyen d’une cartographie ad hoc, d’imaginer ce qui se passerait si la bactérie Xylella fastidiosa, poison de l’oléiculture italienne plus au sud, devait s’attaquer aux arbres tessinois.

«Elle n’a été observée qu’une fois en Suisse alémanique sur un caféier, il y a quelques années, indique Claudio Premoli. Il a fallu arracher tous les arbres dans un rayon de 500 m, sachant qu’en plus des oliviers, elle s’attaque aussi aux arbres fruitiers ou aux rosiers.»

Contenu externe

Mais historiquement, l’ennemi, c’est le froid. «Les oliviers se sont bien acclimatés sur les rives du lac de Lugano jusqu’à ce que trois gelées, entre 1400 et 1700, ne détruisent tout, ne demeurant finalement qu’une quarantaine de plants à Castagnola, précise Claudio Premoli. Ensuite de quoi les gens ont commencé à les planter autour des vignobles.»

À cette époque, les oliviers sauvages étaient répandus. Sélection et greffes permettaient de leur faire porter des fruits plus gros pour en tirer, non pas un aliment, mais de l’huile d’éclairage. Un produit dont l’intérêt sans doute s’est perdu avec l’arrivée de l’électricité.

Amici dell’Olivo

L’association a été fondée en 2001 par un groupe d’amis ayant participé au repeuplement en oliviers de la région de Gandria, à la frontière italienne. À cet endroit, depuis 2002, se trouve le «Sentier des oliviers», un parcours éducatif centré sur l’histoire, la culture et les propriétés bénéfiques de l’huile de l’olive.

Entre huile et cosmétiques

L’artisan du retour de l’olivier au Tessin s’appelle Claudio Tamborini. Un producteur qui en possède 400 plants entre Castelrotto, Lamone et Comano. Avant cela, il en a planté des dizaines sur des domaines qu’il ne gère plus désormais. Au Colle degli Ulivi par exemple, à Coldrerio. C’est là qu’en 1992 lui est venue l’idée de plonger dans l’histoire, mais aussi de commander une étude agronomique destinée à relancer la culture.

Aujourd’hui, Tamborini produit plusieurs centaines de bouteilles d’une «Olio del Ceresio» élaborée à partir de 65% d’olives tessinoises – originaires de ses plantations et des arbres de la ville de Lugano – et à 35% des rives italiennes du lac.

Deux oliviers dont l un est visiblement très vieux
À gauche, un olivier millénaire des Pouilles planté à Lopagno (Capriasca), pas loin de Lugano. © Enzo Ferrari

En revanche, l’huile mise en bouteille par un autre producteur de vins et spiritueux, Angelo Delea, détenteur de 500 oliviers et de son propre pressoir à Losone, est à 100% tessinoise. En 2018 par exemple, avec la participation de particuliers, il a transformé 1300 kg d’olives en 130 litres d’huile.

Les deux huiles vierges extra en question possèdent un faible taux d’acidité. Et à Losone, les grignons d’olive résultant du broyage (utilisés industriellement pour l’extraction ultérieure d’huiles comestibles ou commercialisées comme engrais) sont destinés aux centres de beauté et hôtels pour masques et autres gommages.

Des variétés rares?

«À l’échelle mondiale, indique Claudio Premoli, il existe quelque 1200 variétés d’oliviers. Au Tessin, nous devons en avoir une vingtaine. Les plus courantes, donc les mieux adaptées à nos conditions météorologiques, sont sept ou huit.» Ces dernières ont été choisies par l’association pour sa campagne de plantation qui la voit fournir des plants de deux ou quatre ans à prix coûtant à qui souhaite en planter dans son jardin. Et contribuer ainsi à l’expansion de l’olivier en Suisse italienne.

Pro Specie Rara vise à préserver la diversité génétique et historico-culturelle des plantes et animaux de rente. Les oliviers tessinois ne lui ont pas échappé. «Nous avons effectué des recherches historiques et de terrain pour identifier les oliviers les plus anciens et les multiplier», explique Manuela Ghezzi, responsable de l’antenne tessinoise de la fondation.

Olives dans une caisse en plastique
© Keystone / Ti-press / Pablo Gianinazzi

Sur la base de témoignages anciens et de documents écrits, Pro Specie Rara a déterminé les régions du Tessin qui accueillaient historiquement les oliveraies. Des boutures ont été prélevées sur les arbres subsistants, confiées ensuite à des pépiniéristes qui en ont tiré des plants, eux-mêmes transmis à des cultivateurs pour la culture et la conservation.

Seule une analyse génétique permettra de savoir si ces variétés sont rares, «sachant qu’au niveau morphologique, par l’aspect, il est difficile de reconnaître une variété d’olivier. Mais nous supposons qu’il s’agit d’oliviers particuliers, de sélections plus anciennes que celles que l’on trouve aujourd’hui dans le commerce.»

«Au lac de Côme, ils ont déjà pratiqué des analyses génétiques et observé des génotypes uniques, autrement dit des plantes qui ne correspondent pas à celles qui sont pour la plupart utilisées aujourd’hui, explique Manuela Ghezzi. Il est donc possible que les plantes du passé de chez nous soient des variétés différentes ou des sous-variétés qui se sont mieux adaptées au froid.»

Traduit de l’italien par Pierre-François Besson

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