Augustin Rebetez, des pièces d’art comme outils de survie
Amour et combat animent l’oeuvre protéiforme d’Augustin Rebetez. Photographe, sculpteur, peintre, dessinateur… cet artiste jurassien de 34 ans, fils du romancier et éditeur Pascal Rebetez, porte «Le coeur entre les dents». C’est le titre de son ouvrage paru en octobre, en France. Un très beau livre d’art qui réunit ses innombrables créations. Confidences.
Chez Augustin Rebetez, une horloge pleure et un calendrier indique le «temps perdu». Les jours passent avec leur lot de moments obscurs, qu’un espoir éclaire soudainement. Ainsi va l’art de Rebetez, pris entre ténèbres et lumière. Photographe, dessinateur, peintre, sculpteur, metteur en scène et même chanteur, le Jurassien est un artiste à qui tout réussit. Alors pourquoi pleure-t-il Augustin? Car il n’y a pas que ses objets qui versent des larmes. Même lui s’y est mis. Le voici dans son autoportrait en photo. Ses yeux baissés semblent se concentrer sur deux larmes noires, en forme de triangle, collées sur ses joues.
On l’interroge: sur qui pleurez-vous donc, sur vous même? «Ah non!» répond-il. Mais alors, sur le sort de l’humanité? «Oui, sans doute», reprend-il, avant de marquer quelques secondes de pause, et d’ajouter: «Il faut avoir conscience du temps qui s’écoule et qui à un moment donné s’arrête pour chacun de nous. Je ne veux pas paraître prétentieux et me comparer à Salvador Dalì, mais souvenez-vous de ses ‘Montres molles’, elles disent la bataille impossible contre la finitude».
De bataille, il s’agit beaucoup dans le dernier ouvrage d’Augustin Rebetez: «Le coeur entre les dents. Manifeste primitif». Ce livre d’art, très beau, paru en octobre dernier chez Actes-Sud, prestigieuse maison d’édition française, réunit les pièces (photos, peinture, dessins, sculptures…) réalisées ces dernières années par le Jurassien.
Prix Alfred Latour
«Je me demandais comment faire pour publier un livre qui regroupe mes oeuvres, sans que ce soit une prise de tête pour moi. J’en rêvais depuis longtemps. L’occasion s’est présentée quand j’ai gagné, en 2019, le premier Prix Alfred Latour qui récompense le travail d’un artiste francophone, de moins de 40 ans, pratiquant différentes disciplines». Le lauréat reçut donc une subvention à la création, d’un montant de 20’000 francs, ainsi qu’un soutien de 60’000 francs accordés aux éditions Actes-Sud pour la fabrication du livre.
La bataille pour la publication était gagnée. Une autre, celle-là artistique, s’étale en revanche sur les 400 pages de l’ouvrage, d’une cohérence remarquable tant est présente, dans chaque illustration, un appétit pour la résistance. Ou plutôt «pour le combat», précise Augustin Rebetez qui avoue que le titre de son livre contient l’idée «d’amour et de hargne à la fois». Peut-il en être autrement quand on a «le coeur entre les dents»?
Sauvage et délicat
«Certains objets que je crée sont en quelque sorte des outils de survie». Flèches et couteaux, fabriqués avec du matériel de récupération (carton, fer, verre…) font partie des pièces que Rebetez affectionne. Lui l’auteur de ce «Manifeste primitif» se défend avec des armes propres à l’homme des cavernes. C’était du moins ce qu’on pensait de ses pièces avant qu’il ne nous corrige aujourd’hui en nous lançant: «Attention, «primitif» ne signifie pas rudimentaire. Il y a de la sophistication dans mes oeuvres. Mon travail n’est pas documentaire mais résolument poétique», avoue celui qui pense que l’on peut (sur)vivre de mille manières, «en portant des masques par exemple».
Le jeu de mots est ici opportun. Parle-t-il des pauvres masqués que nous sommes, se protégeant d’un virus planétaire? Il n’est pas interdit d’y songer, même si l’on sait que ses masques à lui, Augustin Rebetez, sont tribaux. Comme le sont les rituels qu’exécutent ses personnages couverts de peaux d’animaux et pris dans une transe.
Sauvage, oui, l’artiste l’est, mais fragile et délicat aussi… et même mystique. Fragile quand il décide d’opposer à des hommes vampires l’image d’un jeune clochard à genoux; délicat quand il fait oublier un paysage désolé par un vol de colombes; mystique quand il évoque une Pieta aux contours charbonnés, ou représente deux mains qui se rejoignent pieusement comme une croisée d’ogives. On pense ici à la «Cathédrale», célèbre sculpture de Rodin.
Influences multiples
Il faut dire que chez Rebetez les influences artistiques sont multiples. Outre Rodin, il y a Calder, mais aussi deux artistes suisses, Jean Tinguely et Louis Soutter. Des «mobiles» et des machines alambiquées émaillent l’ouvrage d’Augustin. Quant à Soutter, on devine son magnétisme dans des personnages à la silhouette noire, au visage flou, reliés entre eux par un fil ténu. Des fils, il y en a plein dans les toiles et les sculptures de Rebetez. «Ce sont des connexions post-mortem, mais en même temps ancrées dans le présent, dit-il. D’une part elles nous mettent en contact avec nos morts et nos fantômes, et d’autre part elles évoquent Internet et les réseaux sociaux».
Pour ses créations, Rebetez fonctionne en équipe. Il collabore avec des artisans, des amis et même des musiciens. Car Augustin chante aussi, oui. Du rap. Bientôt, il sortira un album chez Jelodanti, une maison de disques franco-suisse. Son titre: «Primitive Rap and Dirty Shamanic Sabotage from Swiss Jura». No Comment!
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