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Quand la nouvelle gauche s’enthousiasmait pour les minijupes

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Brandissant des drapeaux et des affiches de Rosa Luxemburg et Mao Zedong, des manifestants courent dans une rue de Zurich, en Suisse, le 1er mai 1969. Keystone

1968 n’est pas sorti de nulle part: cette année est restée dans les mémoires comme le point culminant et le symbole d’une grande variété de bouleversements. Notre série «Avant 1968» présente différentes facettes des mutations intervenues en Suisse après 1945. L’émergence de la nouvelle gauche en fait partie.

Durant l’été 1967 à Zurich, le patron du café de l’Odeon expulsa une jeune femme parce qu’elle portait une minijupeLien externe. Dans les jours suivants, des rassemblements bruyants exigèrent, banderoles à l’appui, qu’on accepte ces jupes. Des mini-manifestations de ce type avaient déjà eu lieu à Londres l’année précédente lorsque Dior avait voulu les retirer de son assortiment. La minijupe était devenue le symbole des mutations qui secouaient le monde des années 60. Et une ombre révolutionnaire touchait à nouveau l’Odeon, l’établissement où Lénine venait lire son journal au début du siècle.

De la discussion à la révolution

Cette question de mode fut également copieusement abordée lors d’une réunion conspiratrice d’une Section jeunesse du Parti du travailLien externe (communisteLien externe). Les manifestations en faveur des minis montrent qu’il est possible de mobiliser les jeunes pour des actions politiques, déclara notamment un des intervenants, selon un protocole établi à son insu par la police. Il souligna qu’à l’époque de la pop music, ce genre de polémiques pouvait jouer un rôle important pour l’action politique, ajoutant qu’il fallait maintenant essayer «de l’amener à un niveau supérieur» ceux qui avaient spontanément participé aux manifestations. Autrement dit: les fans des minis et de la pop devaient devenir des révolutionnaires utiles.

1967
Le 23 novembre 1967, Bahman Nirumand, un exilé iranien vivant à Berlin, parle de « la contre-révolution permanente de l’Occident contre les pays sous-développés » dans l’auditorium de l’Université de Zurich dans le cadre d’une série de conférences sur le «Tiers-Monde». Keystone

L’adieu à la gauche prolétarienne

La Section jeunesse du Parti du travail de Zurich n’était pas bien grande. Dans ses meilleurs jours, elle n’a pas compté plus de deux ou trois douzaines de membres – et elle n’a existé que de 1964 à 1969. Mais sa brève histoire reflète celle de la gauche dure ou néo-révolutionnaire dans les années 60: du rejet du socialisme prôné par la direction du parti à la recherche de nouveaux acteurs révolutionnaires en lieu et place du prolétariat. Le conflit de générations entre la vieille et la nouvelle gauche a marqué cette époque aussi bien en Europe qu’aux Etats-Unis. Il a aussi touché le Parti du travail dans d’autres cantons, notamment à Bâle, Genève, au Tessin et dans le canton de Vaud où il est connu sous le nom de Parti ouvrier populaire (POP).

Conflit de générations au sein du parti

Dépassé, sclérosé, le PdT/POP du début des années 60 portait encore les stigmates de sa marginalisation suite à la répression de l’insurrection de Budapest par l’armée soviétique. C’est pourquoi la fondation d’une Section jeunesse en 1964 a été bien accueillie. La plupart des nouveaux membres du parti s’étaient politisés dans le sillage des marches de Pâques contre les armes atomiques du début des années 60. Or, cette jeunesse antinucléaire avait été si souvent acculée dans l’extrême gauche qu’elle avait fini par s’y installer. Elle contestait et dénonçait ouvertement les médias de masse et les partis traditionnels – autrement dit, «le système». Mais les noces entre les jeunes et les anciens du PdT/POP furent de courte durée. Bientôt, la vieille garde ne fut plus disposée à tolérer «l’impatience et l’arrogance» des jeunes. En 1969, toutes les sections de jeunes de Suisse furent démantelées.

Critique de la civilisation

Pourquoi cette fin précipitée? Après le stalinisme et l’invasion soviétique de la Hongrie en 1956, les dissidents arrivés de l’Est et les socialistes de l’Ouest avaient cherché de nouvelles formes de socialisme. Et la plupart de ceux qu’on aurait si volontiers expédiés à Moscou en 1968 auraient été immédiatement renvoyés en raison de leur idéologie. Les divergences avec l’orthodoxie communiste étaient profondes. Ainsi, les théoriciens de la nouvelle gauche ne voyaient plus dans les usines l’instrument principal de l’oppression, mais dans les médias de masse. Dans sa déclaration constitutive, les Jeunes du PdT zurichois écrivaient que le combat devait être mené davantage «au niveau moral et culturel (idéologique)». Il ne faut plus se concentrer sur la détresse économique, mais sur la misère morale des travailleurs suisses. La haute conjoncture des années 60 reléguait au second plan le combat pour la subsistance matérielle et, dans les années précédant 1968, la gauche réorienta sa critique de la société vers une critique de la civilisation. Pour révolutionner les conditions sociales, il fallait d’abord mettre fin à la crise morale et culturelle. 

Studenten
Le 1er octobre 1967, des étudiants protestent à Zurich contre la guerre du Vietnam. Keystone

Les étudiants font la révolution

Les désaccords portaient aussi sur la question des principaux acteurs de cette révolution. Pour les anciens, ce rôle revenait au prolétariat, donc à la classe ouvrière. Mais les adeptes de la nouvelle gaucheLien externe, et donc les jeunes du PdT zurichois, donnaient une réponse bien différente. Pour eux, la révolution ne serait pas portée par les travailleurs, mais par une jeunesse révoltée sous la conduite des étudiants critiques. Ils s’appuyaient sur des théoriciens tels que Herbert Marcuse qui allaient chercher dans les groupes marginaux le potentiel explosif que l’on prêtait auparavant aux ouvriers. L’enthousiasme de la gauche pour les manifestations en faveur des minijupes et pour les fans de musique pop était un rejeton des théories marxistes les plus récentes.

Plus de radicalisme et d’humour

Pour enthousiasmer cette nouvelle clientèle, il fallait également recourir à d’autres instruments politiques. On se prononça pour des actions de taille réduite, mais passibles de connaître un large écho médiatique. Les jeunes communistes zurichois demandaient «Plus de choses intéressantes, plus d’extraordinaire, plus de radicalisme et plus d’humour!». Le PdT était, lui, plutôt irrité, comme l’a écrit il y a quelques années un ancien un membre de la SJ, Franz Rueb: 

 «Les gars et les filles de la Section jeunesse de ce parti virevoltaient dans les rues et sur les places, distribuaient des tracts de style pop dont ils étaient incroyablement fiers, organisaient des sit-in, de teach-in et dénonçaient dans la rue en colonnes de douze, la police, la justice, la répression et l’éducation. Et tout cela sans l’approbation du parti. Les anciens camarades secouaient leurs têtes grisonnantes avec des mines dégoutées.»

Les actions se multiplièrent au cours du printemps de 1968. Les jeunes descendirent dans les rues de la ville après l’assassinat de Martin Luther King, brûlèrent une effigie devant le siège de la société Dow Chemical, la principale productrice de napalm utilisé au Vietnam, et perturbèrent fin mai le traditionnel cortège aux flambeaux des étudiants de l’Université de Zurich. Entretemps, les jeunes communistes avaient constitué avec d’autres formations de la nouvelle gauche, le Groupement des ouvriers, étudiants et écoliers progressistesLien externe (FASS). Il comprenait non seulement les Etudiants progressistes de Zurich, les organisations d’écoliers du secondaire et la Jeunesse socialiste, mais aussi le groupe de rock Lone Star Gang.

Jimmy Hendricks
zVg

A la fin du mois de mai 1968, Jimi Hendrix donna un concert au Hallenstadion – la police était présente avec des chiens et des marchands furent violemment expulsés vers la fin. Dans une action planifiée de longue date, le FASS y distribua un tract et pour un instant, théorie et pratique se rejoignirent: les jeunes dansaient alors que les tracts révolutionnaires arrivaient de la scène. Le tract avait été conçu par Roland Gretler, un graphiste qui avait participé à la fondation des jeunes PdT. Il reproduisait le portrait de Jimi Hendrix et pouvait également servir de poster, comme ceux qu’on trouvait dans les magazines en vogue tels que la revue alémanique «Pop». Le texte, lui, voulait faire vibrer la fibre anti-autoritaire des jeunes et transformer leur enthousiasme pour la musique en énergie révolutionnaire.

«Le Beat est une révolution culturelle… Si nous ne pouvons trouver aucune satisfaction, c’est la faute de ceux qui veulent nous faire croire qu’il n’y a rien d’autre dans la vie que la soumission et l’avancement, le respect et la carrière, les études et les diplômes, le travail et le jour de paie, le zèle et les économies, l’ordre et le calme, les convenances et les lois, VW et Opel, les saucisses à rôtir et les röstis.»

Les émeutes qui suivirent le concert furent entièrement mises sur le dos de la Section jeunesse. Indignée, la «Zürcher Woche» écrivit: «On distribue ce tract à 10 000 jeunes, on les bombarde de beat, de pop et de hurlements pendant des heures et on se régale du résultat (…) C’est ainsi que la Section du PdA et ses jeunes anti-autoritaires fomentent la révolte».

Le chaos en France

Entretemps, le chaos avait gagné la France. Mai 68Lien externe avait élargi le champ des possibles et la presse bourgeoise craignait que le pays ne sombre dans l’anarchie. A fin juin, Zurich rejoignit elle aussi la liste des villes touchées par les révoltesLien externe – précisément autour de la création d’un centre autonome pour la jeunesse, un lieu de liberté où conjuguer musique et politique.

Traduction de l’allemand: Olivier Hüther

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