Avons-nous besoin chaque année d’une pause pour le climat?
La pandémie de coronavirus nous a cantonnés à la maison, forcés à renoncer à consommer et remis sur nos vélos. Cet effet ne durera pas. Mais le confinement pourrait nous encourager à expérimenter davantage, estime Katrin Schregenberger, rédactrice en chef de la revue scientifique higgs.chLien externe.
Pendant cette période, les niveaux de pollution relevés à Bâle ont diminuéLien externe de 25 à 44 %, car pratiquement plus personne ne se déplaçait. Au plus fort du confinement, les émissions quotidiennes globalesLien externe de CO2 ont baissé d’un sixième environ. Les avions sont restés au sol. Les trajets parcourus en Suisse ont été de 50 à 75 % moins nombreux: au moins un tiers des employés ont travaillé à domicile, s’épargnant ainsi le déplacement jusqu’à leur lieu de travail. Les Suisses ont redécouvert les produits locaux et ont fait leurs courses auprès de commerçants de la région, comme l’a montré un sondage réalisé par la Haute école de Lucerne.
«L’être humain est attaché à ses habitudes et préfère les solutions les plus commodes»
Cet effet sera-t-il durable? C’est peu probable. L’être humain est attaché à ses habitudes et préfère les solutions les plus commodes. Il ne change de comportement que si les circonstances l’imposent. Quand la vie quotidienne a repris son cours, nous avons vu avec quelle rapidité les règles de distance ont été jetées aux oubliettes. Certes, le télétravail entrera désormais dans les mœurs, ce qui, dans le meilleur des cas, permettra de décharger le trafic pendulaire. En 2017, neuf personnes sur dix étaient des pendulaires. Cependant, la tendance à voyager toujours plus souvent et toujours plus loin se poursuivra une fois la pandémie passée.
Alors, que faire pour que la Suisse devienne plus durable en matière de consommation et de transports? Que pouvons-nous apprendre du confinement?
Deux options sont esquissées ci-après, l’une étant très radicale, l’autre axée sur l’innovation.
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Le confinement climatique
Le confinement imposé par le coronavirus a entraîné une diminution des émissions et nous a montré qu’il était possible de vivre en se déplaçant et en consommant moins. Avons-nous besoin chaque année d’une pause pour le climat? Ce serait la première possibilité, une option radicale, qui comporte toutefois des aspects problématiques.
Imaginons le scénario suivant: chaque année, un confinement climatique d’un mois serait décrété. Par exemple en janvier, lorsque la bourse est de toute façon vide, que nous avons pris des kilos à Noël et n’avons plus envie de faire la fête. Il s’agirait d’un confinement allégé: les heures d’ouverture des magasins seraient réduites, le trafic automobile serait limité par exemple par une interdiction d’accès au centre-ville, les transports publics circuleraient selon l’horaire du dimanche, il n’y aurait pas de manifestations et – suivant la radicalité du projet – la viande et les billets d’avion coûteraient très cher. Ce serait comme le carême par le passé, mais dans le but de mettre le climat au centre des préoccupations. Quant à la nature, elle bénéficierait ainsi d’une «anthropause» qui lui permettrait de se remettre, ne serait-ce que temporairement, des atteintes subies.
L’objectif? Premièrement, les émissions diminueraient pendant ce mois. En Suisse, la plus grande partie du CO2 est générée par les transports (32 %). Dans le domaine de la mobilité, le transport privé de personnes et le transport aérien sont les principales sources d’émission de CO2. Comme l’a montré une étude de la Confédération de 2017, 98 % des coûts climatiques externes sont imputables à la voiture et à l’avion (transport motorisé privé: 60 %, transport aérien: 38 %).
Cependant, les coûts liés au CO2 que ce confinement climatique permettrait d’économiser ne sont pas particulièrement élevés. Et il n’est pas sûr que ces économies soient durables: selon une autre étude, le confinement dû au coronavirus entraînera peut-être une augmentation des émissions à long terme, car il a freiné entre autres les investissements dans les énergies propres.
Mais ce confinement viserait aussi un deuxième objectif: il attirerait régulièrement notre attention sur les coûts externes de la consommation et des transports. Chaque année, nous prendrions ainsi de nouveau conscience du fait que notre mode de vie a un prix.
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Le confinement climatique poserait toutefois aussi de nombreux problèmes, le principal étant celui des coûts. Selon les estimations de la Confédération, le confinement imposé par le coronavirus a coûté entre 30 et 80 milliards de francs. En avril, la production économique a accusé un recul de 20 à 28 %. Et les secteurs ont été très diversement touchés.
Même un confinement allégé occasionnerait des coûts excessifs, qui seraient en outre inégalement répartis – les domaines skiables seraient par exemple touchés de manière disproportionnée. À cela s’ajoute la question de l’efficacité. Beaucoup de gens ne participeraient à ces actions climatiques que s’ils y étaient forcés, ce qui est exclu dans une société libérale. Or une faible participation ne produirait pas d’effet. Une autre question plus générale est de savoir si le renoncement, car c’est de cela qu’il s’agit avec ce type de confinement, constitue la bonne voie pour gérer la crise climatique. La mobilité actuelle est le résultat d’une évolution de la civilisation et de la technologie, et elle présente d’innombrables avantages – elle peut par exemple favoriser une plus grande justice sociale.
Il conviendrait donc plutôt de promouvoir de nouvelles technologies performantes, à la fois respectueuses du climat et adaptées aux exigences modernes.
La semaine d’expérimentation
«Le confinement a en outre contribué à renforcer la cohésion sociale dans certains milieux»
Le confinement lié au coronavirus a aussi eu d’autres conséquences. Il a par exemple accéléré la mise en œuvre des technologies et méthodes de télétravail. Celles-ci continueront d’être utilisées, car elles se sont révélées utiles et avantageuses pour les employés comme pour les employeurs. D’autres domaines se sont aussi distingués par leur inventivité et leur rapidité d’innovation, à l’image des structures d’aide entre voisins et de travail bénévole qui ont été rapidement mises en place.
En quelques jours, les restaurants ont trouvé diverses solutions pour adapter leur mobilier, installé des plexiglas ou d’autres dispositifs et remplacé les cartes des menus par des codes QR. Le confinement imposé par le coronavirus a ouvert la voie à des technologies innovantes.
Nous pourrions nous inspirer de cette volonté observée durant le confinement pour tenter des expériences. Au lieu d’une pause d’un mois pour le climat, nous pourrions organiser par exemple une semaine nationale d’expérimentation climatique: les communes, mais aussi les entreprises ainsi que d’autres groupes, auraient ainsi l’occasion de tester de nouvelles stratégies en faveur d’une Suisse plus respectueuse du climat. Une commune déciderait peut-être de transformer pendant une semaine le centre-ville en zone piétonne afin d’identifier concrètement les avantages et les inconvénients de ce type de mesure. Une autre organiserait un hackathon avec des personnes issues de différents secteurs qui chercheraient des possibilités peu coûteuses pour rendre la commune plus respectueuse du climat. Chaque année, les citoyens pourraient présenter à la commune des projets climatiques, dont les plus porteurs seraient ensuite soutenus pendant la semaine pour le climat. Celle-ci serait donc inscrite dans le budget communal et financée par les impôts. Cette manifestation ne serait toutefois pas seulement organisée par l’État. L’économie privée pourrait aussi y être associée. Les commerces de détail pourraient proposer par exemple des panneaux solaires ou la plantation d’un palétuvier au Myanmar, de manière analogue à la vente de feux d’artifice et de drapeaux le 1er août.
Le confinement a en outre contribué à renforcer la cohésion sociale dans certains milieux. Cette semaine serait l’occasion de ranimer cette cohésion par des actions en faveur du climat, comme une collecte bénévole de déchets dans des lacs, rivières, forêts ou prairies.
Ce serait une semaine durant laquelle toute la Suisse testerait les limites du possible. Elle assumerait ainsi sa fonction potentielle d’État modèle respectueux du climat. Cette semaine donnerait aux citoyens le sentiment d’être efficaces. Beaucoup de personnes ne changent pas leur propre comportement parce qu’elles ont l’impression que celui-ci n’a guère d’influence, que leur impact personnel est insuffisant. Cette semaine test pour le climat pourrait changer cette façon de penser et, dans l’idéal, deviendrait un moteur de l’innovation.
Cette deuxième option recueillerait certainement une plus large adhésion et serait plus économique et plus efficace. Ce serait une mesure créative inspirée de notre expérience du confinement lié au coronavirus. Nous pourrions ainsi célébrer et développer la prééminence de la Suisse en matière d’innovation, et élaborer des solutions viables en faveur de la neutralité climatique de la Suisse.
Depuis 2019, Katrin Schregenberger est rédactrice en chef de la revue scientifique higgs.chLien externe. Auparavant, elle a travaillé au sein de la rédaction des pages de chroniques de Neue Zürcher Zeitung (NZZ). Katrin Schregenberger est historienne, journaliste et auteure de livres.
Cet article a été écrit sur mandat de l’Office fédéral de l’environnement (Ofev). Il a été publié sur le microsite Internet de l’Ofev environnement-suisse.cLien externeh. Les opinions exprimées dans l’article sont exclusivement celles de l’auteure.
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