Une campagne d’affichage chrétienne vire à l’aigre
Des affiches présentant des versets bibliques et circulant sur les transports publics de la ville de Bienne, dans le canton de Berne, créent la polémique. Un député socialiste de la commune a fait part sur Facebook de ses interrogations sur le support utilisé. Ce qui lui a valu en retour une série de réactions hostiles voire haineuses prenant prétexte de ses origines algériennes.
Journaliste et député du Parti socialiste à Bienne et au parlement du canton de Berne, Mohamed Hamdaoui n’a pas pour habitude de garder sa langue dans sa poche. Il s’est notamment fait connaître dans l’ensemble de la Suisse romande pour ses critiques sans concession des mouvements islamistes, en Suisse comme ailleurs.
Et c’est toujours en laïc convaincu qu’il interroge la campagne d’affichage biblique dans sa commune, en pointant l’usage d’un bien public financé par le contribuable.
Les attaques que Mohamed Hamdaoui subit se contentent le plus souvent de le renvoyer à son appartenance au monde musulman, à son état supposé, non à ses dires et ses actions. C’est là une expression classique de ce qui nourrit la discrimination et le racisme, comme le rappelleLien externe le DFI, le ministère en charge notamment de la lutte contre le racisme: «L’être humain n’est alors plus considéré ni traité comme individu, mais comme membre d’un groupe soi-disant naturel et doté de caractéristiques collectives jugées immuables.»
Des attaques qui ont été fortement stimulées par un post Facebook du Comité d’Egerkingen (à l’origine de l’initiative contre la construction de nouveaux minarets approuvéeLien externe par les citoyens en 2009). Sur fond rouge et noir, ledit comité y affirme: «Le conseiller de ville musulman socialiste veut bannir la publicité chrétienne de l’espace public. Reconnaissez le signal, l’infiltration commence ainsi.»
Par la suite, le Comité d’Egerkingen a retiré son post et présenté ses excuses au député. Comme il l’a confirmé à swissinfo.ch, Mohamed Hamdaoui compte porter plainte pour diffamation et incitation à la haine raciale.
Quant à l’Agence C, instigatrice de la campagne d’affichage sur les bus biennois, elle précise par écrit à swissinfo.ch: «Nous dénonçons les commentaires haineux contre quiconque critique nos campagnes. La liberté d’expression vaut pour tous. Par contre, nous comprenons que de nombreux habitants de notre pays soient attristés par les déclarations politiques de cet élu, en raison de leur attachement à la Bible et à l’espérance qu’elle propose.»
Reste que pour un certain nombre de Suisses, un étranger au bénéfice d’un passeport à croix banche reste un étranger, surtout s’il vient d’un pays musulman. Il ne serait donc pas légitimé à critiquer son pays d’accueil, en particulier les traditions religieuses anciennes qui s’y sont développées, essentiellement chrétiennes.
Les religions sont l’affaire des cantons
Mohamed Hamdaoui souligne pourtant qu’il ne fait que questionner la campagne d’affichage de slogans chrétiens et la place accordée aux démarches prosélytes dans l’espace public. Une question qui n’est pas tranchée sur le plan national. Contrairement à un pays comme la France, la Suisse ne connaît pas un régime général de séparation de l’Eglise et de l’Etat.
«Dans l’Etat fédéral contemporain coexistent non seulement des cantons de confessions différentes, mais des attitudes opposées quant aux relations entre l’Eglise et l’Etat, les uns cultivant par tradition des liens étroits (Berne, Zurich et Vaud chez les protestants, Fribourg et Valais chez les catholiques), les autres posant une séparation nette (Genève et Neuchâtel par exemple)», préciseLien externe le Dictionnaire historique de la Suisse.
Au niveau national, la Constitution fédérale rappelle dans son Article 72Lien externe le rôle prépondérant des cantons, tout en soulignant une possible intervention des autorités si la paix confessionnelle est menacée: «Dans les limites de leurs compétences respectives, la Confédération et les cantons peuvent prendre des mesures propres à maintenir la paix entre les membres des diverses communautés religieuses.»
La paix confessionnelle menacée?
Or pour Mohamed HamdaouiLien externe, les versets bibliques placardés sur les bus de sa ville menacent la paix confessionnelle voulue par les fondateurs de la Suisse moderne (1848), qui cadre le prosélytisme dans l’espace public, sans pour autant l’interdire.
L’Agence CLien externe, qui organise et finance de telles campagnes dans toute la Suisse depuis une vingtaine d’années, tient pourtant à rejeter toute visée prosélyte: «L’Agence C s’est fixée comme mission de faire connaître les richesses contenues dans la Bible. Aucune de nos campagnes ne recrute qui que ce soit pour un mouvement ou une communauté religieuse. La seule chose que nous offrons, c’est une Bible gratuite à celui qui nous en fait la demande», répond par écrit son président Peter Stucki.
Une agence qui assure n’être affiliée à aucune Eglise en particulier: «La Bible est la référence principale de l’ensemble des branches du christianisme et non pas seulement des courants évangéliques. D’ailleurs, les donateurs de l’Agence C, qui permettent ces campagnes, sont des croyants de différentes confessions.»
Un prosélytisme qui ne dit pas son nom
Cette campagne serait-elle donc si innocente que ça ? Certainement pas, répond Philippe BorgeaudLien externe, helléniste et historien des religions à l’Université de Genève: «En placardant ‘Que l’Eternel vous bénisse’, l’affiche n’invite pas à la réflexion, mais manifeste une action à l’égard de ses spectateurs. Personnellement, je trouve cela insupportable. C’est comme si un sorcier me jetait un sort.»
Pour Claudio ZamagniLien externe, qui enseigne l’histoire du christianisme à l’Université de Genève, les campagnes de l’Agence C sont bel et bien des actions prosélytes typiques des courants évangéliques.
Pas de quoi fouetter un chat, rétorque Roland CampicheLien externe, sociologue des religions et fondateur de l’Observatoire des religions à l’Université de Lausanne: «Ces affiches ne posent aucun problème, assure cet ancien pasteur. Cette affaire est montée par des médias en mal de copie et par un musulman.»
Concurrence des croyances
De son coté, Pascal TannerLien externe, chercheur à l’Institut de sciences sociales des religions de l’Université de Lausanne, rappelle que le paysage religieux a passablement évolué en Suisse ces dernières années, remettant sur la table la question de la visibilité et des expressions publiques des multiples confessions religieuses présentes aujourd’hui en Suisse.
Et de rappeler que les campagnes de l’Agence C suscitent régulièrement des réactions plus ou moins courroucées, citant l’exemple des Libres penseursLien externe qui, en 2009, ont répliqué par une contre-campagne avec le slogan suivant: «Il n’y a probablement pas de dieu. Alors ne vous inquiétez pas – profitez de la vie».
La réplique se veut légère et humoristique. Mais elle alimente, elle aussi, une concurrence ouverte des croyances qui pourrait virer à l’aigre dans le climat tendu que suscitent actuellement les questions religieuses.
C’est justement ce que souligne un récent éditorial du Journal du JuraLien externe, le quotidien francophone de la ville de Bienne: «Les paroles divines nécessitent-elles d’être étalées aux yeux de tous? La réponse est clairement: non. La foi ne se vend pas comme un abonnement à internet ou un smartphone. Sa quête et sa pratique doivent se confiner à la sphère privée ou se partager entre personnes consentantes, sans qu’une affiche ne cherche à l’imposer. Car aussi anodin qu’il puisse paraître, le message ‘Que l’Eternel te bénisse’ n’en demeure pas moins un appel, discret certes, à la conversion.»
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