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Comment la Déclaration universelle a accompagné la transition démocratique tunisienne

Démocratie et droits Hamains en Tunisie
Illustration: Helen James / swissinfo.ch

La Déclaration des droits l’Homme a donné à la Tunisie une base légale pour proclamer son indépendance. Depuis plus de 70 ans elle accompagne ainsi la démocratie tunisienne. Analyse historique de Salaheddine Jourchi, journaliste et écrivain tunisien.  

L’histoire de la Tunisie a été liée à celle de la Déclaration des droits de l’Homme dès sa promulgation en 1948. Tout d’abord, elle a été d’une influence capitale pour le mouvement national tunisien qui prônait l’indépendance du pays et la fin de la colonisation française. Elle lui a notamment permis de faire avancer sa cause à l’international, de faire pression sur l’État français et de légitimer ses revendications.  

Ensuite, la Constitution du 1er juin 1959, promulguée après l’indépendance, si elle ne fait pas directement référence à la Déclaration universelle, mentionne dans son préambule explicitement un certain nombre de droits fondamentaux dont la séparation des pouvoirs et « l’adhésion aux valeurs humaines communes aux peuples attachés à la dignité humaine, à la justice et à la liberté ».   

A l’époque, la Tunisie « souhaitait apparaître comme un Etat moderne et civilisé fondé sur le droit international et reconnaissant les conventions internationales », explique Faraj Fenniche militant des droits de l’homme basé à Tunis. C’est dans ce contexte, que la Tunisie a adopté le Code du Statut personnel qui se caractérise par son parti pris en faveur des idées réformistes exprimées par les élites éclairées. Il a notamment promu le droit des femmes.  La réalité de la vie politique n’a pas suivi.  Pour vivre la nouvelle constitution à la lettre, il aurait fallu avoir une opposition efficace et une société civile mature, ce qui n’était pas encore le cas en Tunisie en 1959.  

Il faut pour cela attendre la fin des années soixante. C’est alors que le régime se heurte à un mouvement étudiant et aux aspirations d’une nouvelle génération assoiffée de liberté et de justice.  

Ainsi, une opposition civile et politique efficace a-t-elle progressivement vu le jour dans les années 1970 et 1980, notamment avec la création de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme en 1977. Cette dernière est considérée comme la première organisation indépendante de défense des droits humains sur le continent africain.  

Les droits humains font leur chemin 

Il est intéressant de noter que la demande de démocratie en Tunisie s’est accompagnée d’un intérêt accru des partis politiques pour les droits de l’Homme.  Comme exemple, il suffit de mentionner le rôle clé joué par le mouvement des sociaux-démocrates dans la création de la Ligue tunisienne pour la défense des droits de l’Homme. Ce sont aussi des membres de ce mouvement qui l’ont dirigé pendant de nombreuses années.  

Ainsi, la plupart des partis politiques ont-ils inclus – avec plus ou moins d’importance — la question des droits humains dans leurs programmes, leurs chartes et leurs revendications fondamentales. D’ailleurs les partis célèbrent chaque année le 10 décembre, date de l’adoption de la Déclaration de 1948. C’est l’occasion de faire pression sur l’État pour qu’il respecte les libertés individuelles et libère les prisonniers politiques.

Notons que cette adhésion n’allait pas de soi. La plupart des familles politiques ont été influencées par les idées des droits de l’homme après les avoir combattues pour des raisons idéologiques : les marxistes considéraient la Déclaration comme un discours bourgeois qui dissimulait l’arrogance du capital, les islamistes comme représentant l’idéologie occidentale et les nationalistes voient l’État-nation comme  la  seule voie vers la vraie liberté, ce qui souvent voulait dire ne pas respecter les droits fondamentaux. 

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À l’occasion de ses 75 ans, nous consacrons une série spéciale à la Déclaration universelle. Que voulez-vous mieux comprendre à son sujet?

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Les beaux slogans du président Ben Ali 

Lorsque le président Ben Ali arrive au pouvoir en 1987, il trouve une élite politique et une opposition qui réclament plus de démocratie et de respect des droits de l’Homme.  

Pragmatique, il a eu un double discours. D’un côté il a ratifié de nombreux pactes et traités internationaux relatifs aux droits humains, dont celui des droits civils et politiques et celui des droits économiques et sociaux. Il a également décerné des prix à des personnalités connues pour leur défense acharnée des droits humains. Il a aussi inclus les valeurs universelles des droits de l’homme dans les programmes d’enseignement depuis le secondaire jusqu’à l’université, et a nommé Muhammad Al-Sharfi, un ancien président de la Ligue arabe des droits de l’homme à la tête du ministère de l’Éducation. Il est même allé jusqu’à placarder la Déclaration universelle des droits de l’Homme dans tous les commissariats de police du pays.  

Et une fois ces éléments du décor politique habilement placés, il n’a pas hésité à violer la plupart des droits fondamentaux, tant des opposants que des citoyens.  

Les partis politiques et les pays occidentaux ainsi que de nombreuses ONG, dont Amnesty International, ont largement critiqué le paradoxe d’une législation qui d’un côté défendait les droits humains et de l’autre les bafouait. Ben Ali s’est justifié en invoquant des besoins sécuritaires pour protéger les intérêts de l’État et parvenir à la stabilité politique.  

Revolution 2011
Photo montrant des manifestants se rassemblant devant le ministère de l’Intérieur lors d’une manifestation contre le président tunisien Zine El Abidine Ben Ali, à Tunis, 14 janvier 2011. Keystone / Lucas Dolega

Une rare percée des droits de l’Homme 

La révolution tunisienne du 17 décembre 2010 et celle du 14 janvier 2011 marquent un tournant dans la relation de la Tunisie avec la Déclaration de 1948. Le président de l’Institut arabe des droits de l’Homme, Basset Belhassen, a estimé dans une interview à SWI que ses principes « étaient fortement présents dans les revendications de la révolution tunisienne et ses slogans, tels que dignité, travail, liberté ».   

L’Assemblée constituante a rédigé la nouvelle Constitution après une consultation des élites universitaires et de la société civile. Pendant trois ans, le pays a questionné le rôle de la liberté de pensée et d’expression, la liberté de religion, la place que devrait avoir l’Islam dans la Constitution.  

«Les principes contenus dans la Déclaration universelle sont parmi les références les plus importantes sur lesquelles l’Assemblée constituante s’est appuyée pour rédiger la nouvelle Constitution, qui a été approuvée par tous les partis, les groupes parlementaires et les organisations de la société civile», explique Finniche.  

Les institutions des Nations Unies ainsi que d’autres organisations internationales et régionales ont complété la Constitution. Ils ont notamment inspiré la création d’organes constitutionnels, — dont le rôle est de garantir les objectifs fixés par le Parlement – et surveillé le processus de transition. Ils ont aussi apporté un soutien financier et logistique dans le but d’établir un système démocratique fondé sur les droits et les libertés.  

Tout cela a abouti à la Constitution de 2014, qui a été approuvée à l’unanimité par toutes les parties, y compris les islamistes, et saluée par les Nations Unies et divers gouvernements démocratiques dans le monde. 

La transition démocratique en Tunisie
Kai Reusser / swissinfo.ch

Le retour en arrière de Kais Saied 

Tout comme Borguiba ou Ben Ali avant lui, l’actuel président Kais Saied, arrivé au pouvoir en 2019, au lieu d’approfondir ces différents acquis, décide de remettre en cause ces droits.  En juillet 2021 sous prétexte de faire face à ce qu’il a appelé un « danger imminent », il a non seulement dissous le Gouvernement ainsi que le Parlement et suspendu la Constitution, mais a également publié un décret qui donne au président les pleins pouvoirs. Il a appelé à fonder un nouveau système politique qu’il nomme «le système de base», ou le peuple gouverne sans les intermédiaires: partis politiques, syndicats ou société civile.  

Il a également rédigé une nouvelle Constitution qu’il a publiée le 18 août 2022 sans consulter ni les associations, ni les partis et la société civile.  

Cette dernière est radicalement différente de la Constitution de 2014.  Elle ne mentionne plus le principe de séparation des pouvoirs. Ainsi lance-t-il dans la foulée une campagne sans précédent pour ce qu’il a appelé la «purification du pouvoir judiciaire », qui a conduit à la mise en place d’un système présidentiel excessif. Les quatre organes constitutionnels ont été abolis dont la Commission des droits de l’homme et la Commission de bonne gouvernance et de lutte contre la corruption.   

Malgré les vives critiques adressées au président Saied, que ce soit par des spécialistes du droit constitutionnel, des militants des droits humains et des organisations et organismes internationaux, il refuse le titre de dictateur et continue à clamer que le peuple est souverain et maître de ses choix.   

Ce tournant a provoqué une fracture majeure dans le discours et la pratique, et a entraîné des violations généralisées des droits humains que l’ONG Human Rights Watch a résumé dans un rapport sombre sur la réalité des libertés en Tunisie en 2022.Lien externe   

Les ambassadeurs des pays du G7 en Tunisie ont également publié une déclaration appelant à un «retour rapide à un système constitutionnel dans lequel un parlement élu joue un rôle de premier plan». Ils ont appelé le président à «s’engager de manière générale à respecter les droits civils, politiques, sociaux et économiques de tous les Tunisiens et à respecter l’État de droit».

Cependant, Feniche estime que la Déclaration universelle a encore un rôle à jouer en Tunisie, et «constitue une référence fondamentale pour le mouvement démocratique face à ce déclin effrayant des droits et des libertés». Le président de l’Institut arabe des droits de l’Homme,  Belhassen a souligné quant à lui, que les principes de la Déclaration universelle « resteront nécessaires» comme garde-fou contre, notamment «le retour  du discours populiste et des  pratiques autoritaires, qui sont devenus un danger».  

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin

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