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Comment la Suisse pourrait agir en faveur de l’Arctique

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Un brise-glace dans la baie de Buffin (Canada) en 2008. Des bateaux devenus superflus en été. Keystone / Jonathan Hayward

Avec la fonte des glaces, les régions arctiques suscitent de nouvelles convoitises. Une course vers le Grand Nord lourde de menaces, selon Anna Stünzi, présidente du think tank Foraus. La scientifique plaide pour un engagement accru de Berne en faveur d’un développement durable et pacifique de l'Arctique.

Avec 38 degrés Celsius dans le village sibérien de Verkhoiansk, l’Arctique a enregistré l’été dernier un nouveau record de température. L’étendue de la calotte glaciaire arctique a également atteint un creux historique, alors que sa taille perd, chaque année, une surface équivalente à celle de l’Autriche (le double de la Suisse).

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Avec la fonte des glaces, de nouvelles routes commerciales apparaissent et les ressources naturelles de l’Arctique deviennent accessibles. Une évolution scrutée par les pays de la région, la Russie et les États-Unis en particulier. L’administration Trump a donné son feu vert à un projet de forage dans une zone naturelle protégée en Alaska (un chantier bloqué par Joe Biden le jour même de son investiture), la Russie a lancé le projet Vostok, le plus grand plan d’exploitation du pétrole arctique, tandis que le Canada et la Norvège ont accru leur présence militaire dans la région.

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Anna Stünzi est présidente de Foraus, un laboratoire d’idées sur la politique étrangère de la Suisse créé en 2009. Anna Stünzi

Ce qui se passe dans l’Arctique concerne aussi la Suisse, malgré son éloignement géographique et son poids réduit sur l’échiquier géopolitique international. Elle pourrait même y jouer un rôle important. C’est la proposition que défend Anna Stünzi, présidente du Forum de réflexion sur la politique étrangère (ForausLien externe), également chercheuse à l’Institut de recherche sur le climat de Potsdam et coauteure d’un article proposant «une vision suisse pour l’ArctiqueLien externe».

swissinfo.ch: L’Arctique est une région désertique. Pourquoi faut-il s’y intéresser?

Anna Stünzi : L’Arctique n’est pas seulement une région polaire constituée de montagnes de glace. Quatre millions de personnes vivent au-delà du cercle arctique. C’est aussi un écosystème incroyablement riche avec un haut degré de biodiversité. Il existe des ressources abondantes telles que le cuivre, le nickel, le zinc et les diamants. On estime aussi que la région arctique contient 22% des réserves mondiales de pétrole et 30% des réserves de gaz.

Les enjeux géopolitiques qui pèsent sur l’Arctique ne font que croître. Ils mobilisent les acteurs régionaux – Canada, Danemark, Norvège, Russie, États-Unis, Finlande, Islande et Suède – mais aussi de grandes puissances telles que la Chine. (Un thème abordé en 2017 par l’émission GéopolitisLien externe de la RTS).

L’Arctique est l’une des régions de la planète les plus touchées par le réchauffement climatique. Nous savons que la glace est en train de fondre et que les ours polaires sont menacés. Mais comment les changements dans l’Arctique affectent-ils nos vies?

Le changement climatique dans l’Arctique menace non seulement les peuples indigènes et la faune locale, mais l’ensemble de la planète. Le pergélisol (permafrost) de l’Arctique est un énorme puits de carbone naturel. Sa fonte libère des gaz à effet de serre, ce qui accélère le réchauffement climatique.

Un esprit de coopération internationale y a longtemps prévalu dans la recherche scientifique et l’extraction des ressources. Mais l’accroissement actuel des activités militaires et commerciales dans la région pourrait entraîner une escalade aux conséquences de grande envergure.

Nous devons éviter que l’Arctique ne devienne le théâtre des rivalités géopolitiques actuelles, entre la Russie et l’Occident ou entre les États-Unis et la Chine, et veiller à ce qu’il reste une région pacifique et coopérative.

Avec la fonte des glaces, nous pourrions avoir plus de terres, plus de ressources énergétiques et de nouvelles routes commerciales. N’est-ce pas une bonne chose?

Depuis 1979, le volume de la glace arctique a diminué de 75% et, en été, il est désormais possible de naviguer de l’Atlantique au Pacifique sans brise-glace. Certains parlent d’un «nouveau canal de Suez» au Pôle Nord. Pour les peuples autochtones, cette perspective peut créer des emplois, apporter une nouvelle activité économique et contribuer à l’extension des routes, des chemins de fer, des télécommunications et des réseaux électriques.

Mais ces développements comportent aussi des risques. L’augmentation de l’activité maritime peut avoir des effets négatifs en termes d’accidents et de pollution. En raison des conditions difficiles, les opérations de sauvetage ou de nettoyage en cas de marée noire restent difficiles dans l’Arctique. La récente marée noire à Norilsk, en Sibérie, montre que les accidents industriels ont des effets dévastateurs sur l’environnement et les populations de l’Arctique.

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Les routes maritimes de l’Arctique. Malte Humpert / The arctic institute

Pourquoi la Suisse est-elle concernée par l’Arctique ?

La Suisse et l’Arctique sont plus proches qu’on l’imagine. L’économie très mondialisée de la Suisse est tributaire des routes commerciales mondiales. Certains groupes d’intérêt pourraient également y voir des opportunités, alors que la Suisse est un centre de négoce de matières premières et de sociétés extractives.

L’antagonisme géopolitique actuel dans l’Arctique constitue aussi une menace pour la sécurité de l’Europe et donc aussi pour la Suisse. La protection de l’environnement et la sécurité humaine sont des défis mondiaux communs.

Nous savons que la Suisse est plus touchée par le réchauffement climatique que d’autres pays. Comme elle a ratifié l’accord de Paris sur le climat et les objectifs de développement durable [Agenda 2030Lien externe des Nations unies], il lui incombe de surveiller ce qui se passe dans l’Arctique.

En 2017, la Suisse est devenue membreLien externe du Conseil de l’Arctique en tant qu’observatrice, principalement en raison de son expertise scientifique dans les régions alpines et polaires. La Suisse alpine est parfois décrite comme un Arctique vertical. Le pays a de nombreuses années d’expérience scientifique dans l’exploration de la cryosphèreLien externe.

Comment la Suisse a-t-elle contribué aux discussions et aux décisions du Conseil de l’Arctique?

L’influence d’un pays ayant le statut d’observateur est très limitée. Toutefois, la Suisse entretient de très bonnes relations avec tous les États membres du Conseil de l’Arctique et peut donc aborder certaines questions de manière bilatérale.

Des chercheurs suisses participent à trois des six groupes de travail du Conseil. Par exemple, ils travaillent ensemble sur la protection de l’environnement marin arctique et sur le développement durable.

Quelle est votre vision pour l’Arctique?

Les activités commerciales et le développement régional dans l’Arctique doivent être menés conformément aux objectifs de développement durable et bénéficier aux populations locales.

L’Arctique doit être une ancre de stabilité et un exemple de gouvernance dans un esprit de collaboration et de multilatéralisme. Comme la sécurité et la prospérité de la Suisse dépendent du bon fonctionnement de l’ordre international, il faut créer des mécanismes de règlement pacifique des différends et limiter les activités militaires.

Que peut faire la Suisse concrètement?

Elle peut agir à différents niveaux. Compte tenu de son expertise dans les environnements alpins et glaciaires, elle peut encourager la création d’un nouveau groupe de travail axé sur le développement durable des infrastructures.

Berne dispose de deux canaux institutionnels: au sein du Conseil de l’Arctique et par l’intermédiaire de l’Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (OSCE). Ayant de bonnes relations avec tous les acteurs de l’Arctique, la Suisse pourrait faciliter l’établissement d’un ordre de sécurité régional par le biais de l’OSCE, bien qu’à l’heure actuelle, l’environnement politique ne soit pas encore mûr pour une implication de l’OSCE dans les questions concernant les régions arctiques.

La Suisse peut offrir ses bons offices pour faciliter la résolution pacifique des conflits et encourager les discussions entre les gouvernements, les experts et la société civile. Par exemple, la Genève internationale peut organiser des réunions pour des dialogues constructifs sur les peuples autochtones, la préservation du patrimoine culturel et la gestion des ressources.

Enfin, dans le cadre de la diplomatie scientifique, le gouvernement suisse pourrait promouvoir l’élaboration d’une déclaration commune sur l’impact du changement climatique dans l’Arctique.

Cela dit, il convient de souligner qu’en dehors de la recherche, la Suisse est toujours en train de «découvrir» l’Arctique. L’objectif de notre vision est de susciter des discussions à moyen et long terme et de faire connaître les différentes options possibles.

Traduit de l’italien par Frédéric Burnand

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