Trafic de cigarettes: Madrid cible des comptes genevois
Les autorités espagnoles accusent José Ramón Nené Barral, ancien maire de Ribadumia, en Galice, d’avoir dirigé l’une des plus importantes organisations de contrebande de tabac d’Europe. Le Tribunal fédéral (TF) vient de valider une demande d’entraide qui permettra au juge en charge de l’affaire de consulter les relevés bancaires suisses d’une des filles de l’accusé, une résidente genevoise soupçonnée de faire partie de l’organisation criminelle.
Lors de ses 18 ans passés au poste de maire de la petite ville côtière de Ribadunia, Nené Barral avait fait «de la majorité absolue son mode de gouvernement», écrit La Voz de GaliciaLien externe.
A en croire les autorités fiscales et pénales espagnoles, ce goût du pouvoir ne se limitait pas à son mandat d’élu du Parti populaire. En réalité, Nené Barral aurait dirigé un vaste réseau international de contrebande de tabac, et ce pendant près de 35 ans.
Les autorités de son pays le poursuivent depuis 2001, date d’un premier coup de filet qui avait conduit à son arrestation avec 17 autres personnes. Mais après huit ans de procédure, dont plusieurs demandes d’entraide à la Suisse, les accusations pénales avaient été abandonnées en 2009.
«Les autorités suisses ont posé des obstacles dans l’affaire Barral»
El Pais
Résistances côté suisse
«Les autorités suisses ont posé des obstacles dans l’affaire Barral, dénonçait à l’époque El PaisLien externe, chaque commission rogatoire faisant l’objet d’esquives pour retarder le processus». Malgré cet échec, le procureur de Ponteverda se disait persuadé que Nené Barral dirigeait bel et bien «une organisation solide et très sophistiquée de contrebande du tabac».
Poursuivi sur le seul volet fiscal, Nené Barral avait conclu un accord en 2016 avec le Ministère public de Pontevedra, qui s’apprêtait à requérir huit ans de prison ferme à son encontre. Le maire déchu s’en était sorti avec une peine d’un an et une amende de 700’000 euros.
Mais les procureurs de Galice n’avaient pas lâché l’affaire pour autant. En parallèle de la procédure fiscale, le parquet de Lugo a relancé l’enquête pénale, dès 2014, dans une nouvelle opération baptisée Zebra. C’est dans ce cadre que l’Espagne a à nouveau sollicité l’aide des autorités suisses, en juin 2018.
Selon la demande espagnole résumée dans un arrêt du Tribunal pénal fédéral (TPF), «Nené Barral serait le chef de l’une des plus importantes organisations de contrebande de tabac d’Europe avec des connexions s’étendant à plusieurs pays, comme le Portugal, les Etats-Unis, la Grèce, la Roumanie, la Chine, les Emirats arabes unis, le Royaume-Uni et autres. Les membres de la famille Barral feraient partie de l’organisation criminelle et prendraient part aux activités illégales de contrebande de tabac et de blanchiment de capitaux.»
Une des branches du trafic passerait par Genève
«Une partie des bénéfices de l’activité́ illicite de l’organisation pourrait être située en Suisse»
Les autorités espagnoles
Au cœur de ce réseau familial, les autorités espagnoles désignent une des filles de Nené Barral qui agirait «en tant qu’adjointe et bras droit de son père». Viennent ensuite trois autres enfants, dont un fils basé en Italie et deux filles établies en Suisse.
Toujours selon la demande d’entraide, «ces derniers utiliseraient précisément cette localisation pour atteindre un degré́ maximal d’impunité́ dans leurs activités criminelles tant pour celles qui sont susceptibles de présenter un support aux opérations de contrebande de tabac que celles dérivées du blanchiment de capitaux».
C’est l’une des deux filles, M., résidente genevoise, qui s’est opposée à la demande des autorités espagnoles. Celles-ci supposent qu’une «partie des bénéfices de l’activité́ illicite de l’organisation pourrait être située en Suisse au nom de la recourante et de son frère».
Chargé de l’exécution de la demande, le Ministère public de Genève a ordonné la transmission à l’Espagne de plusieurs documents bancaires en mars 2019. Le Tribunal pénal fédéral a débouté le recours de M. le 3 septembre 2019. Le Tribunal fédéral a fait de même le 2 octobre.
Gotham City
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