Des mouvements pro-climat rebelles mais pragmatiques avant tout
Les mouvements actifs dans la lutte contre le changement climatique se mobilisent avant les élections fédérales de cet automne en Suisse. Leur rapport à la politique institutionnelle est moins dogmatique que celui de leurs aînés. Témoignages.
Des cartes postales pour alerter les pouvoirs publics face aux dangers que font peser les changements climatiques extrêmes sur la santé. Sous l’appellation Doctors for Extinction Rebellion, une antenne d’Extinction Rebellion, une quarantaine de soignants et de soignantes du canton de Neuchâtel en ont envoyé tout un lot fin janvier à leur gouvernement. «Et si nous collaborions pour créer un système de santé plus résilient et respectueux du vivant?», ont-ils demandé à leurs autorités.
Mouvement d’origine britannique aux ramifications internationales, Extinction Rebellion a opté depuis le début de cette année pour une méthode d’approche plus douce pour capter l’attention de l’opinion publique et de la classe politique que les habituelles actions coup de poing. En ciblant toujours les centres de décision, mais en voulant cette fois aussi changer ouvertement la politique de l’intérieur.
Les actions marquées du sceau de la désobéissance civile sont en effet souvent mal perçues par la population. Les actions de collage de main sur des tableaux menées par des militants écologistes dans plusieurs musées européens ont largement alimenté le débat ces derniers mois, provoquant souvent un effet repoussoir.
Militantisme plus pragmatique
En Suisse, Extinction Rebellion propose désormais de constituer des assemblées citoyennes pour mieux répondre aux défis environnementaux. C’est le cas notamment à Genève, où les partis politiques ont été invités à se familiariser avec ces agoras où la population d’une ville exprime ses désirs, idées et objections.
Aux yeux de Marco Giugni, professeur en sciences politiques à l’Université de Genève, «le militantisme de ces mouvements et celui de ses membres est de nos jours plus pragmatique. À l’époque des premières luttes anti-nucléaire menées contre la centrale de Kaiseraugst par exemple, au milieu des années 1970, le combat était surtout d’ordre idéologique», explique-t-il à swissinfo.ch.
«Selon nos études, les jeunes montrent aujourd’hui moins de réticences à endosser des responsabilités politiques en continuant d’honorer leur lutte et en adoptant des comportements adéquats, notamment en termes de mobilité, note encore Marco Giugni. Par conséquent, chaque opportunité est bonne à prendre. Je les vois moins anti-système qu’avant».
Une posture «parfois ambiguë»
Nombre d’ex-activistes, voire pour certains toujours dans le combat, siègent en effet dans des parlements cantonaux ou communaux. Lancé en 2018 à l’initiative de la militante suédoise Greta Thunberg, le mouvement de la Grève du climat est en une illustration, puisqu’il a déjà largement forcé les portes des instances politiques traditionnelles. «Plusieurs de nos membres ont en effet leurs cartes dans des partis, mais pas la majorité», souligne Robin Augsburger, 25 ans, activiste du climat de la ville de La Chaux-de-Fonds, dans le canton de Neuchâtel.
Chez les Vert-e-s, les socialistes ou chez Solidarités (gauche de la gauche). Mais aussi, plus surprenant, dans des formations du centre (Verts libéraux) et de la droite. «De jeunes libéraux-radicaux nous avaient rejoints au début. Mais l’ère Covid a décimé nos rangs», relève Robin Augsburger.
Cette posture «est parfois ambiguë», concède le militant, car il est difficile à ses yeux «de fustiger l’action des institutions politiques officielles en comptant des activistes du climat en leur sein». Mais face à des actions politiques «très lentes à venir», le dépôt de référendums et de motions dans les parlements permet de faire avancer les dossiers. Plusieurs motions de la section neuchâteloise de la Grève du climat demandant au canton d’agir pour un avenir viable et juste et des investissements durables ont ainsi été acceptées par le parlement.
À l’intersection
Co-présidente du parti des Jeunes Vert-e-s suisses, membre du législatif de la ville de Fribourg et ancienne de la Grève féministe, Margot Chauderna met elle aussi en exergue les accointances qui existent entre mouvements rebelles et classe politique. «Notre parti se situe à l’intersection entre politique institutionnelle et militantisme radical, avec un pied dans les parlements, un autre dans la Grève du climat, Grève pour l’avenir, Grève féministe ou des mouvements utilisant la désobéissance civile comme moyen d’action».
Des actions qui sont ciblées contre de gros pollueurs, des multinationales et les ultrariches. «Beaucoup d’entre nous ont été politisé-es par les grandes grèves pour le climat de 2019», rappelle-t-elle.
À Genève, alors que les autorités cantonales seront renouvelées en avril, des activistes veulent là aussi se projeter dans l’arène politique. C’est le cas d’Antoine Mayerat, qui se lance dans la course au parlement, «déçu par l’immobilisme et avec l’envie de changer ça», confie-t-il.
«Une question de survie»
Reste que les rapports entre la sphère politique et des mouvements tels qu’Extinction Rebellion, la Grève du climat ou Renovate Switzerland sont à la fois proches et distants. La défiance envers la politique institutionnelle est grande chez une partie de la jeunesse engagée, pouvant aller jusqu’à la dépolitisation.
«Si la politique institutionnelle n’est pas capable de prendre en mains l’urgence, comment puis-je laisser ma vie entre les mains de politiciens et politiciennes qui ne peuvent pas agir. C’est simplement une question de survie», souligne ainsi Cécile Bessire, porte-parole de Renovate Switzerland, mouvement composé d’un noyau dur d’une centaine de personnes actives en Suisse, qui a pour credo la résistance civile non violente.
«Aucun mot d’ordre ne sera donné en prévision des élections fédérales», confesse-t-elle. «Mais j’irai voter. C’est mon choix personnel. Chacun et chacune est libre». Elle ne sait toutefois pas encore sur quel parti son choix se portera au moment de glisser son bulletin dans l’urne.
Les limites de la démocratie élective
La méfiance envers le monde politique est encore plus perceptible chez les Doctors for Extinction Rebellion du canton de Neuchâtel qui s’impliquent depuis maintenant un an et demi dans la vie locale.
«Nous n’avons pas d’intérêt pour les élections puisque la démocratie élective a atteint ses limites en raison de l’incapacité des institutions politiques à prendre des décisions courageuses et nécessaires dans l’intérêt de la population, larvées qu’elles sont par les lobbies et le souhait persistant d’être réélu», nous a répondu anonymement le collectif de Neuchâtel pour expliquer son rejet de la politique institutionnelle.
«Notre but n’est pas de nous faire élire, notre action vise à exercer une pression de l’extérieur sans relais spécifique», souligne le collectif. Mais selon ces militants et militantes en blouse blanche, un changement du système politique s’impose. «Voilà pourquoi nous pensons que les chambres ou assemblées citoyennes sont la meilleure option. Espérons que des initiatives seront déposées dans plus de communes et cantons. Au niveau fédéral aussi, c’est une des seules solutions pour prendre la bonne direction».
La rue restera donc un champ de lutte privilégié de la jeunesse engagée pour le climat ces prochains mois. Plusieurs manifestations d’envergure ne manqueront d’ailleurs pas d’émailler l’année électorale, dont des défilés pour le climat. Co-autrice du dernier rapport du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), la scientifique Julia Steinberger prépare pour avril, avec d’autres activistes, une Marche bleue en Suisse romande jusqu’à Berne. Avec comme point d’orgue un passage sous les fenêtres du Palais fédéral, épicentre du pouvoir.
Texte relu et vérifié par Samuel Jaberg
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