Petit guide des relations irano-suisses
La Suisse, comme de nombreux autres pays, s’intéresse aux opportunités commerciales suscitées par l’ouverture du marché iranien. La nation alpine compte s’appuyer sur sa relation longue de plusieurs décennies avec l’Iran pour y implanter ses entreprises.
Le président Johann Schneider-Ammann se rend fin février à Téhéran, à un moment particulier: l’Iran vient de signer un accord avec six pays qui vise à limiter son programme nucléaire en échange de la levée des sanctions internationales qui ont handicapé son économie ces dernières années.
L’accord sur le nucléaire
Les relations commerciales entre l’Iran et la Suisse vont s’approfondir à la suite de l’accord sur le nucléaire signé plus tôt cette année entre la République islamique, les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, la Chine, la France, l’Allemagne et la Russie.
Le nouvel accord cherche à limiter le programme nucléaire iranien en échange d’une levée des sanctions imposées par les Nations Unies, les Etats-Unis et l’Union européenne, qui ont sérieusement entravé le développement économique du pays.
L’accord avec l’Iran a été conclu après 12 ans de négociations, dont plusieurs sessions ont été tenues à Genève et à Lausanne. La Suisse entretient une relation particulière avec le pays perse, puisqu’elle a représenté ses intérêts auprès des Etats-Unis pendant plus de 35 ans.
swissinfo.ch explique quelles opportunités économiques vont émerger de l’ouverture de l’Iran, un marché d’environ 80 millions de personnes, et analyse les potentiels soucis qui se trouvent sur la route des entreprises helvétiques.
Quels sont les objectifs de la visite de Johann Schneider-Ammann en Iran?
Le président suisse se joint à une cohorte de dirigeants mondiaux qui se rendent en Iran pour évaluer le potentiel du marché iranien et pour envoyer un message aux investisseurs. Fin janvier, le président chinois Xi Jinping était le premier homme d’Etat à visiter Téhéran depuis la conclusion de l’accord nucléaire.
La levée des sanctions contre l’Iran et la libération de plus de 100 milliards de dollars d’avoirs iraniens bloqués – une clause de l’accord sur le nucléaire – vont revitaliser l’économie du pays perse. La présence de Johann Schneider-Ammann reflète les responsabilités croissantes endossées par la Suisse envers l’Iran.
Quelles sont ces nouvelles responsabilités diplomatiques?
Ce mois-ci, la Suisse a annoncé avoir accepté de représenter les intérêts de l’Arabie Saoudite en Iran pour que les Iraniens puissent continuer à visiter le royaume. La Suisse a également proposé de représenter les intérêts iraniens en Arabie saoudite, une fois que la représentation suisse en Arabie saoudite sera installée.
L’Arabie Saoudite a rompu ses liens diplomatiques avec l’Iran en janvier dernier après que des manifestants, fâchés par l’exécution d’un imam chiite, ont le mis feu à l’ambassade d’Arabie saoudite à Téhéran et à une autre mission diplomatique. Le rôle de la Suisse serait principalement de faciliter les visites des musulmans iraniens en Arabie saoudite dans le cadre de pèlerinages religieux.
Quelles sont les opportunités pour la Suisse?
Selon la Banque Mondiale, l’Iran possède la seconde plus grande économie du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord, après l’Arabie saoudite. En 2014, la production économique iranienne était estimée à 406 milliards de dollars. Le pays comptait 78,5 millions d’habitants.
Les exportations suisses en Iran s’élevaient à 610 millions de francs (630 millions de dollars) en 2014 et pourraient doubler ou tripler en une décennie, estime le Secrétariat d’État à l’économie (SECO). Cependant, même en doublant ou en triplant cette somme, cela ne représenterait que 1% du total des exportations suisses.
Quels sont les défis?
Les investissements directs suisses en Iran ont augmenté de manière significative durant ces dernières années. Trois traités entre la Suisse et l’Iran ont déjà été signé. Ceux-ci ont trait à la protection des investissements, la double imposition et l’aviation. La Suisse abrite aussi la gouvernance mondiale dans les affaires commerciales, avec le siège de l’OMC à Genève.
Notamment en raison du fait que la Suisse ne fait pas partie de l’Union européenne, l’Iran a utilisé la Suisse comme plaque tournante – parfois grâce à des intermédiaires opaques – pour le négoce de pétrole et les services financiers. La bureaucratie, le blanchiment d’argent et d’autres problèmes de corruption sont des problèmes souvent cités comme un obstacle au commerce dans la région. Les centres financiers helvétiques et les banques peuvent courir des risques de réputation en fournissant des services en Iran.
Peut-on trouver des cibles faciles?
Les fabricants de montres suisses et d’articles ménagers, ainsi que les principaux producteurs industriels helvétiques comme Nestlé (agro-alimentaire), Novartis et Roche (pharmaceutique), et LafargeHolcim (construction), peuvent profiter de la consommation du marché iranien, qui compte par exemple 55 millions d’abonnés mobiles, soit presque autant que la France ou l’Angleterre.
Les compagnies suisses qui peuvent prodiguer une amélioration de la qualité et de l’efficacité – technologique ou autre – des secteurs agraires, industriels et des services ont le plus de chances d’enregistrer de bonnes performances dans la région. En particulier, les domaines de l’alimentation, des produits sanitaires, la pharmaceutique, les cosmétiques, les assurances, les banques et l’aviation ont le plus grand potentiel de s’y développer.
L’économie iranienne est dominée par les hydrocarbures, les exploitations agricoles de petite taille et le secteur des services. Près de 45% du PIB est généré par le secteur des services, 44,5% par le secteur secondaire et 10,5% par le secteur primaire, selon le SECO.
Qu’en est-il du pétrole et du gaz?
L’Iran dispose des deuxièmes plus importantes réserves de gaz naturel et les quatrièmes plus grandes réserves de pétrole au monde. Le pays jouit également d’une présence dans les services manufacturiers et financiers. Plusieurs grands négociants de pétrole comme Vitol, Glencore et Trafigura sont basés en Suisse.
Ces négociants ont pour la plupart mis fin à leurs opérations pétrolières dans la région à la suite des sanctions américaines et européennes, qui interdisent l’achat de brut iranien. Mais avec la levée des sanctions, l’Iran prévoit désormais de vendre 300’000 barils de pétrole par jour sur le marché européen. Négociant basé à Zoug, GlencoreXstrata est la première compagnie occidentale à renégocier du pétrole iranien.
Les firmes suisses sont-elles compétitives en Iran?
A un moment où l’économie globale est très volatile, la Suisse obtient les meilleures notes en terme d’innovation, de sophistication économique et d’efficience du marché du travail, selon le rapport sur la compétitivité mondiale du World Economic Forum – qui comprend 140 pays. Singapour, les Etats-Unis, l’Allemagne et les Pays-Bas suivent la Suisse. Mais il s’agit surtout d’un classement des performances économiques sur territoire helvétique.
Le rapport de compétitivité de l’IMD de Lausanne, où les pays sont jugés par 6000 cadres de différents pays, donne aussi d’excellentes notes à la Suisse. En 2014, les leaders économiques suisses et iraniens ont lancé une chambre du commerce entre les deux pays. Celle-ci a sponsorisé des séminaires pour les entreprises potentiellement intéressées à faire des affaires dans cette région. Une discussion a notamment porté sur les difficultés rencontrées par les représentants du gouvernement suisse et d’autres acteurs du secteur privé.
Quel est le statut des sanctions suisses?
En janvier, la Suisse a levé des sanctions économiques à l’égard de l’Iran en accord avec les Nations Unies et l’Union européenne.
Les restrictions restantes, basées sur les mesures de l’ONU et de l’UE, cherchent à limiter le négoce d’armes et d’autres outils qui pourraient être utilisés pour réprimer la population. D’autres sanctions ciblent les biens nucléaires et/ou liés aux armes nucléaires. Il existe également des restrictions financières et de mobilité sur un nombre limité d’individus et de firmes, ainsi que des sanctions sur les avions cargos.
Pourquoi les Suisses ont-ils une relation spéciale avec l’Iran?
Pendant des décennies, la Suisse a participé à des échanges diplomatiques, commerciaux et autres avec l’Iran. La Suisse a joué un rôle de pont vers l’Iran et également pour aider la puissance régionale riche en gaz à revenir au sein de la communauté internationale.
La Suisse représente les intérêts des Etats-Unis en Iran depuis 1980, lorsque Washington a rompu ses relations avec Téhéran à la suite de la prise d’otage au sein de l’ambassade américaine. La Suisse représente les intérêts iraniens en Egypte depuis la révolution iranienne de 1979.
Que dire de la situation sur les droits humains?
Lors des négociations avec l’Iran, la Suisse devait constamment maintenir un équilibre délicat entre le développement des relations commerciales et la protection des droits humains. La Suisse et l’Iran tiennent des discussions régulières lors desquelles des soucis concernant la liberté d’expression et la peine de mort en Iran ont été soulevés.
Le Secrétaire d’Etat aux affaires étrangères, Yves Rossier, a expliqué que l’Iran avait clairement l’intention de retourner au sein de la communauté internationale et voulait tenir des discussions à ce sujet. Les discussions vont néanmoins se dérouler dans le contexte d’une amélioration globale des droits humains.
Le pipeline helvético-iranien enterré
Un contrat de livraison de gaz iranien à Expo, une entreprise énergétique suisse, n’a jamais vu le jour, a indiqué Axpo à l’Agence télégraphique suisse lundi.
L’accord, signé en 2008 entre EGL, une filiale d’Axpo, et la National Iranian Gas Export Company (NIGEC) , était censé durer 25 ans. EGl et NIGEC auraient transporté près de 5,5 milliards de mètres cubes de gaz naturel en Europe grâce à un pipeline.
Comme Axpo l’a expliqué à l’Agence télégraphique suisse, le prix, le transport et des raisons politiques ont mené à l’annulation de l’accord. Le groupe Axpo importe désormais son gaz de l’Azerbaïdjan.
(Traduction de l’anglais: Clément Bürge)
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