Pierre Maudet, un Macron suisse au gouvernement?
Brillant orateur, vif d’esprit, charismatique, efficace, ambitieux: à 39 ans, Pierre Maudet détonne au sein d’une classe politique helvétique réputée plutôt terne et timorée. Malgré des qualités que lui reconnaissent jusqu’à ses plus fervents détracteurs, le libéral-radical genevois ne part pas favori dans la course à la succession de Didier Burkhalter au Conseil fédéral. Portrait.
«Dès notre première rencontre, Pierre Maudet m’a impressionné par la clarté de sa pensée, sa volonté, son énergie et aussi un certain charme qui se dégageait de sa personnalité. J’ai connu d’autres personnes programmées pour faire de la politique, mais Pierre Maudet sort clairement du lot».
Un hyperchef «controlfreak»
Marié et père de trois enfants, Pierre MaudetLien externe reste plutôt discret sur sa vie privée. Hyperactif, acharné du travail, obsédé par le contrôle – il est capable selon Le Temps de réveiller ses haut-fonctionnaires à 3 heures du matin pour un incendie de poubelle –, le Genevois vit pour et par la politique. «Je n’ai pas beaucoup de temps libre et lorsque c’est le cas, je le consacre à mes enfants», dit-il.
Comme beaucoup d’hommes de pouvoir, Pierre Maudet n’attend pas le lever du soleil pour débuter sa journée. «Je me lève souvent vers 4 heures du matin. Je parcours déjà une partie des journaux. Je sors courir et suis de retour pour nos trois jeunes enfants à l’heure de leur réveil (…) C’est un moment particulier, qui m’est propre de longue date. Les activités n’ont pas encore repris et, statistiquement, cette tranche horaire n’est pas un pic pour les appels urgents», expliquait-il en 2012 au Temps.
L’éloge a un certain poids car il sort de la bouche de Pascal Couchepin,Lien externe un politicien qui a siégé durant plus de dix ans au gouvernement suisse (1998-2009) et qui y a marqué les esprits par sa force de caractère. Il s’ajoute à une liste impressionnante de commentaires positifs sur la personnalité et l’action politique de Pierre Maudet depuis que ce dernier a annoncé le 4 août sa candidature à la succession de Didier Burkhalter au Conseil fédéral.
Dans la presse – surtout alémanique -, pas un jour ou presque ne passe sans que Pierre Maudet ne fasse l’objet d’une longue interview ou d’un portrait généralement bienveillant. «Brillant communicateur», «stratège hors du commun», «surdoué de la politique», «mâle alpha», «étoile montante», «force de la jeunesse» sont quelques-uns des qualificatifs utilisés par les éditorialistes du pays.
Un «vin imbuvable»
Même ses plus fervents détracteurs n’hésitent pas à vanter ses qualités. «Efficacité, sens de l’Etat, rapidité de réflexion hors du commun, forte intuition, belle gueule: si on ne considère que le flacon Maudet, c’est un produit dont le terroir genevois a tout lieu d’être très fier», déclare Yves NideggerLien externe, député de l’Union démocratique du centre (UDC / droite nationaliste).
En se pressant toutefois d’ajouter: «En revanche, le vin Maudet est imbuvable. C’est un euro-turbo, il veut abolir le système de milice au profit d’une armée professionnelle et est favorable à la légalisation des clandestins. Il a donc tout pour déplaire à l’UDC».
Peu connu jusqu’ici dans la partie germanophone du pays, Pierre Maudet semble en passe de réussir son opération séduction, en tout cas hors des cercles de la droite dure, seule force politique à s’opposer frontalement au magistrat genevois. Les Suisses découvrent avec intérêt le parcours politique météoritique et quasiment sans faute de ce juriste de formation qui, fait rare pour un Genevois, maîtrise parfaitement la langue de Goethe.
Le «shérif» genevois
Pierre Maudet est tombé très tôt dans la marmite de la politique. A 11 ans déjà, il écrit à la ville de Genève pour demander la création d’une rampe de skateboard. A 15 ans, il fonde le Parlement des jeunes de la Municipalité. A 21 ans, il entre au législatif de la ville de Genève, à 29 ans à l’exécutif. A 33 ans, il endosse pour un an le costume de maire, une fonction qui lui permet de rencontrer de nombreux dignitaires étrangers dans le cadre des réunions onusiennes à Genève.
«Pierre Maudet est un euro-turbo, il veut abolir le système de milice au profit d’une armée professionnelle et est favorable à la légalisation des clandestins. Il a donc tout pour déplaire à l’UDC»
Yves Nidegger
S’ensuit dès 2012 une carrière au niveau cantonal. Il prend les rênes du département de la Sécurité, auquel s’ajoute un an plus tard celui de l’Economie. Contrairement à nombre de ses prédécesseurs, Pierre Maudet convainc à ce poste: il réussit à faire baisser drastiquement les statistiques de la criminalité, même si certains lui reprochent d’agir en shérif et d’être obsédé par une posture sécuritaire pour plaire à l’opinion publique et faire barrage aux populistes du MCGLien externe.
Seul échec connu pour ce capitaine dans les troupes de sauvetage de l’armée: il n’est pas élu au Conseil national (Chambre basse du parlement fédéral) en 2003. Mais, parrainé par Pascal Couchepin, il préside la Commission fédérale pour l’enfance et la jeunesseLien externe de 2005 à 2015. En 2011, il n’hésite pas à s’immiscer dans le débat national sur l’armée en s’attaquant directement au ministre UDC de la Défense Ueli Maurer, ce qui lui vaudra d’être qualifié d’«agent provocateur» par la Neue Zürcher Zeitung.
Un Macron suisse?
Pas étonnant dès lors qu’avec un tel profil, Pierre Maudet soit régulièrement comparé à Emmanuel Macron. Les deux hommes ont le même âge et partagent beaucoup de points communs au-delà de leur jeunesse: une ambition assumée, une europhilie décomplexée et la volonté de surmonter les oppositions politiques traditionnelles au profit du bon sens.
Affilié au Parti libéral-radical (PLR)Lien externe, Pierre Maudet est souvent classé à gauche de cette formation politique de droite. Il n’hésite pas à sortir de la ligne du PLR pour défendre une vision plus progressiste, sans toutefois passer pour un frondeur. «Pierre Maudet ne s’embarrasse pas au-delà de ce qui est indispensable de considérations idéologiques. Ce qui prime chez lui, c’est de parvenir à des résultats concrets», souligne Pascal Couchepin.
Autre point commun: un passeport français que Pierre Maudet a hérité de son père et qu’il s’est dit prêt à rendre en cas d’élection au Conseil fédéral. Des concessions faites à la suite de critiques émanant des rangs de l’UDC qui mettaient en doute sa loyauté envers la Suisse.
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Pas d’homme providentiel
Reste que le parallèle avec Emmanuel Macron est accueilli avec une certaine réserve par le principal intéressé. «Comme moi, Emmanuel Macron n’hésite pas à bousculer les codes, en tentant notamment de casser les murs idéologiques. Mais la comparaison s’arrête vite dès lors que l’on observe nos parcours respectifs et les systèmes politiques de nos deux pays», dit Pierre Maudet à swissinfo.ch.
En Suisse, les conseillers fédéraux sont en effet élus par les membres du Parlement et l’élection obéit à une série de règles subtiles et informelles qui font, qu’au final, les personnalités politiques les plus brillantes ne sont pas forcément celles qui ont le plus de chances d’accéder à la fonction suprême. Au contraire, le Parlement a souvent tendance à éliminer les têtes qui dépassent un peu trop au profit de profils plus lisses – et donc jugés plus malléables.
Les handicaps de Maudet
Avant de pouvoir se présenter à l’élection du 20 septembre, Pierre Maudet devra franchir un premier obstacle de taille: figurer sur le ticket officiel présenté par son parti aux autres membres de l’Assemblée fédérale. Face aux deux autres candidats déclarés, Ignazio CassisLien externe et Isabelle MoretLien externe, Pierre Maudet part avec trois handicaps majeurs: il n’est pas issu du sérail fédéral, n’est pas tessinois (la Suisse italophone est exclue du gouvernement depuis 1999) et il est un homme (il n’y a plus que deux femmes sur sept à l’exécutif fédéral).
Pas de quoi toutefois décourager Pierre Maudet. En cas d’échec, le Genevois, que l’on dit programmé depuis longtemps pour le Conseil fédéral, sait que d’autres opportunités se présenteront à lui. Et il aura, dans tous les cas de figure, réussi un pari d’envergure: se faire un nom et une réputation au-delà de son canton d’origine.
«Soyons clairs: je mène cette campagne pour elle-même et avec le seul objectif d’être élu, souligne Pierre Maudet. Mais il est vrai que les rencontres avec la population et les parlementaires m’ont permis d’emmagasiner énormément d’expérience. Je consacre beaucoup d’énergie à me faire connaître et je constate que ce n’est pas du temps perdu, même si je suis conscient qu’on nous oublie très vite en politique.»
Priorité à l’économie
S’il est élu au Conseil fédéral, Pierre Maudet entend faire de l’économie son objectif prioritaire. «On peut discuter longtemps de santé ou de prévoyance vieillesse, sans une économie forte, il sera très difficile de relever les défis qui attendent notre pays», relève le politicien genevois.
Pour se démarquer de ses concurrents dans la course à la succession de Didier Burkhalter au gouvernement suisse, Pierre Maudet n’hésite pas à afficher publiquement son indépendance face aux lobbies et à mettre en avant son expérience de dix ans au sein d’un Exécutif.
«A Genève, j’ai 4000 fonctionnaires sous mes ordres dans des secteurs aussi stratégiques que la police, les prisons, la migration ou encore le marché du travail. Grâce à ma capacité de conduite, je suis parvenu à des résultats tangibles avec un sens du consensus et de la négociation jamais démentis. A Berne, où l’approche est souvent très idéologique, un tel pragmatisme ferait du bien», estime-t-il.
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