En France, les banques suisses cherchent la parade
L’offensive judiciaire contre les banques suisses soupçonnées d’opérer illégalement sur le territoire français se confirme. En cinq mois, trois établissements financiers helvétiques, ou leurs dirigeants, ont été mis en examen par la justice française: UBS et les banques genevoises Reyl et Syz.
Syz & Co, assez peu connue du grand public, se serait bien passé d’une telle publicité. Le juge français Renaud van Ruymbeke l’a mise en examen récemment pour travail dissimulé et vente illégale de fonds de placement.
L’affaire commence en 2009. À l’époque, les activités bancaires suisses n’intéressent pas encore la justice française. Personne ne parle d’UBS France. Et Jérôme Cahuzac n’est encore qu’un obscur député socialiste.
Un employé de Syz & Co dépose alors une plainte contre la banque pour «délits de travail dissimulé». «Pendant cinq ans, j’ai vendu des produits financiers proposés par la banque Syz depuis ma cuisine», raconte, en 2010, l’ancien employé au journal Le Courrier. Le salarié aurait travaillé à Paris en toute illégalité, écoulant des fonds de placement à des clients institutionnels français.
La banque conteste aujourd’hui cette version des faits. «Le litige porte sur la proportion du temps de travail passée en France par un ancien collaborateur qui, contrevenant à ce que prévoyait son contrat de travail, a, de sa propre initiative et pour des raisons d’ordre purement personnel, passé en France plus de temps que demandé», corrige Ricardo Payro, directeur de la communication de Syz.
Un «conflit du travail»
Autrement dit, un simple «conflit du travail», selon la banque. Si c’est le cas, on peut se demander pourquoi il retient l’attention du très expérimenté juge Renaud Van Ruymbeke, spécialiste des questions financières. En 2011, la banque, qui emploie au total environ 400 employés, décide d’ouvrir un bureau à Paris. Une façon de «légaliser» des activités jusque-là «clandestines»? Absolument pas, affirme-t-on chez Syz: cela reflète simplement le passage à un stade de développement plus actif en France.
Redoutant l’amalgame avec des affaires beaucoup plus médiatisées, Syz & Co précise qu’elle ne s’intéresse pas aux clients fortunés et ne fait que commercialiser des fonds de placement auprès de banques et d’assurances. Contrairement à UBS France. Et à la banque Reyl.
Plus
Banque suisse
La liste qui n’existe pas
Qui connaissait la petite banque Reyl, et ses «modestes» 7 milliards de francs sous gestion, avant qu’elle ne soit éclaboussée par l’affaire Cahuzac? En avril dernier, l’ancien ministre français du budget Jérôme Cahuzac avoue détenir, depuis une vingtaine d’années, environ 685’000 euros sur des comptes en Suisse non déclarés au fisc français. Il admet avoir d’abord ouvert un compte chez UBS, puis transféré ses avoirs chez Reyl & Cie, toujours à Genève, banque qui a tout déplacé vers Singapour en 2009.
François Reyl, directeur général de la banque, et son père Dominique, fondateur et président du conseil d’administration, ont été mis en examen cette semaine par le même juge Renaud Van Ruymbeke. Chef d’inculpation: blanchiment de fraude fiscale.
Au-delà du seul cas Cahuzac, la banque est soupçonnée d’avoir organisé la fuite vers la Suisse des capitaux de plusieurs personnalités françaises. À la suite du «tremblement de terre» Cahuzac, un ancien cadre de Reyl & Cie, Pierre Condamin-Gerbier, affirme posséder une liste d’hommes politiques détenant un compte en Suisse. Toutes sortes de noms circulent alors. Arrêté en Suisse et placé en détention provisoire, Condamin-Gerbier revient sur ses propos et dément l’existence de cette liste.
La réaction de la banque à ces événements est particulièrement significative. Dans un communiqué, elle note que «la procédure en cours concerne des faits datant de plusieurs années et s’inscrit dans une évolution globale du métier de gestion de fortune dont la banque a pris la mesure.»
Autrement dit, ces pratiques dateraient d’une autre époque: celle où les gérants de fortune suisses, mallette en main, conseillaient discrètement leurs clients français sans que personne n’y trouve à redire, même la justice française. Le métier a changé? La banque Reyl d’adaptera.
UBS prête à négocier
Eviter à tout prix l’épreuve d’un procès. Montrer qu’avec le changement du paysage bancaire et fiscal, on a profondément modifié ses pratiques: c’est aussi le pari d’UBS, qui a dû affronter des procédures judiciaires aux États-Unis, en Allemagne, mais aussi en France.
Mis en examen en juin dernier pour démarchage illicite de clients dans l’affaire UBS France, le géant bancaire cherche à trouver une solution négociée avec la justice française. Dans un rapport paru cette semaine, UBS explique que «dans certains cas, le groupe pourrait s’engager dans la voie d’accords négociés».
Depuis 2011, la loi française autorise la comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. Un «plaider coupable» qui, s’il débouche sur un accord entre le parquet et les parties, permet d’éviter un procès. UBS pourrait suivre cette piste, qui lui avait coûté cher aux Etats-Unis – 700 millions de francs – mais lui avait évité des poursuites judiciaires.
1999: création d’UBS France.
2009 une note anonyme, écrite par d’anciens salariés et transmise à l’Autorité de contrôle prudentiel, détaille l’existence de «carnets du lait» entre 2002 et 2007: système destiné à enregistrer les ouvertures de comptes non déclarées en Suisse réalisées par les commerciaux.
2010: une dizaine d’anciens salariés contestent leur licenciement, demandent des indemnités ou se plaignent d’avoir été victimes de harcèlement moral. Ils reprochent à leur ex-employeur des mesures de rétorsion à la suite de la découverte ou de la dénonciation des pratiques d’aide à l’évasion fiscale.
2012: trois anciens cadres d’UBS France, dont un ex-directeur général, sont mis en examen, notamment pour blanchiment et recel de l’évasion fiscale.
2013: la justice adresse au fisc français une liste de 353 noms qui auraient été contactés par UBS. Paris envoie à Berne quatre demandes d’entraide administrative, pour savoir si ces personnes détiennent des comptes non déclarés en Suisse.
Début juin, UBS est mise en examen en France pour démarchage bancaire illicite. La justice place aussi la banque sous le statut de témoin assisté pour blanchiment de démarchage illicite et blanchiment de fraude fiscale.
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.