L’emballage suisse des déchets, un art convoité
Notre société produit des déchets en continu. Lorsque les usines qui doivent les incinérer et les valoriser s’arrêtent pour réviser leurs installations, il faut trouver une solution de stockage. Une entreprise suisse parcourt le pays pour les emballer. Un système qui a fait connaître la petite société au-delà des frontières helvétiques.
Seule l’une des deux cheminées de l’incinérateur de déchets de l’entreprise SatomLien externe, à Monthey (canton du Valais), laisse s’échapper une fine fumée blanche. L’autre est à l’arrêt pour cause de révision des installations. En plein mois de mai, le flux de déchets lui, par contre, ne se tarit pas. Au contraire, il s’intensifie avec le travail sur les chantiers qui bat son plein.
Pour pallier l’arrêt des installations, une partie des déchets, notamment les ordures ménagères, est stockée dans une fosse. Quant aux autres déchets encombrants et bois usagés, ils sont mis en balles. L’entreprise PrestaballLien externe est mandatée pour effectuer ce travail. La petite société, basée dans le Jura bernois, a elle-même développé le système.
«Pour avoir du succès en Suisse, il faut travailler proprement et bien»
Jean-Pierre Haussener
Durant l’été, toutes les usines de valorisation thermique des déchets (UVTD) entreprennent des révisions de leurs installations. «C’est à ce moment-là que nous entrons en action. Lorsque les incinérateurs sont à l’arrêt, nous emballons les déchets, qui arrivent en quantité à cette période de l’année», explique Jean-Pierre Haussener, directeur et fondateur de Prestaball.
La société est aussi prête à intervenir en cas d’imprévus ou de défaillance des installations. «A titre d’exemple, il y a quelques années, une fosse à déchets avait brûlé à Winterthour. On nous a mandatés pour faire des balles, le temps de réparer la structure de stockage», raconte Jean-Pierre Haussener.
Équilibrer le marché du déchet
Prestaball est la seule entreprise en Suisse qui fabrique des balles de déchets de manière itinérante. «Certaines usines disposent de leur propre machine mais la plupart préfèrent faire appel à Prestaball. Le problème se pose toutefois quand tout le monde a besoin d’eux en même temps», explique Robin Quartier, le directeur de l’Association suisse des exploitants d’installations de traitement des déchets (ASED).
L’emballage est une solution appréciée, car les fosses de livraison que possède chaque site ont une capacité limitée. De plus, il n’est souvent pas possible de dévier les déchets vers une autre usine. «Elles n’ont pas forcément les capacités pour le faire ou sont trop éloignées pour s’y rendre avec un camion-poubelle, qui est lourd et cher avec trois hommes à bord», note Robin Quartier.
Il ne s’agit toutefois pas d’une simple solution de stockage mais également d’une manière d’équilibrer le marché du déchet. «En hiver, la production de déchets est moindre. Pourtant, les usines doivent en brûler davantage, car l’énergie qu’ils contiennent est utilisée pour produire de l’électricité et chauffer des bâtiments», note Jean-Pierre Haussener. Par exemple, l’énergie produite par Satom permet de chauffer 5500 foyers dans les communes de Collombey-Muraz et de Monthey. Avec les balles constituées pendant la période estivale, elle dispose ainsi d’une réserve de combustible.
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Plus de 10’000 balles de déchets en quelques semaines
Une grande partie de la montagne de détritus qui attend d’être broyée provient des chantiers. On distingue aussi beaucoup de bois, qui ne peut être recyclé car il est par exemple enduit de peinture. Soudain, une fumée rougeâtre se dégage du broyeur. «Ce sont des cartouches d’encre d’imprimante», commente Alexandre Haussener, également directeur de l’entreprise familiale.
L’emballage des déchets présente l’avantage de stopper le processus de fermentation. «Ainsi, il n’y pas d’odeur qui s’en dégage et leur valeur calorifique n’est pas altérée», souligne Alexandre Haussener. Sur le site de Satom, ce sont des déchets encombrants qui sont emballés. D’autres usines choisissent de stocker ainsi les déchets urbains (notamment les ordures ménagères).
L’idée de l’emballage des déchets a germé dans l’esprit de Jean-Pierre Haussener, lorsqu’il était directeur de Celtor, le centre de gestion des déchets de la région du Jura bernois. En l’an 2000, l’interdiction de stocker en décharge des déchets combustibles est entrée en vigueur. Depuis lors, les UVTD ont pour tâche de les incinérer dans le respect de l’environnement et de valoriser la chaleur produite.
«Une encyclopédie vivante»
Au moment de la transition des questions de stockage ont commencé à se poser. Après avoir découvert une machine à emballer conçue en Suède, Jean-Pierre Haussener a fait le pari d’en acquérir un exemplaire pour Celtor, en 1997 déjà. «Lorsque j’ai présenté mon idée à mes collègues incinérateurs, ils se sont moqués de moi», se souvient-il. Pourtant, les usines voisines ont commencé à lui envoyer ponctuellement des déchets à emballer. «En 2002, j’ai alors décidé de lancer mon entreprise et de travailler de manière itinérante», raconte-t-il.
Passionné par la gestion et le traitement des déchets, le directeur de Prestaball n’a cessé de développer et d’améliorer le processus. «Il est une vraie encyclopédie vivante sur tout ce qui a trait aux déchets en Suisse romande», remarque Robin Quartier. Désormais, les machines de Prestaball parviennent à emballer 45 à 50 balles par heure, 25’000 balles au total par année.
L’entreprise reçoit même des demandes de l’étranger, surtout de France. Elle en a déjà reçu quatre cette année, dont une pour un mandat de trois semaines en Corse. «Par le passé, nous avons travaillé en Allemagne mais désormais je refuse les mandats à l’étranger. Trouver du personnel qui veut se déplacer si loin est trop compliqué, et nous avons assez de travail en Suisse», analyse Jean-Pierre Haussener. Après Monthey, les prochaines étapes sont donc: Brigue, Sion, Genève, Neuchâtel et Lausanne.
Des balles musicales
Travailler avec des détritus ne rime pas avec saleté. «Pour avoir du succès en Suisse, il faut travailler proprement et bien», martèle Jean-Pierre Haussener. Et il met un point d’honneur à appliquer la formule: «Nous utilisons du plastique d’emballage vert, même si ce n’est pas le meilleur marché, car il se fond mieux dans le paysage.»
Empiler des balles sur huit étages requiert aussi précision et savoir-faire. «Il faut les manipuler correctement pour ne pas les trouer ou les faire tomber en les plaçant au sommet de la pile», explique le directeur. Comme elles pèsent entre 700 et mille kilos, une mauvaise manœuvre pourrait effectivement se révéler périlleuse.
«Tout est un art dans l’emballage», souligne Jean-Pierre Haussener. Un art qui réserve parfois des surprises. «Nous avons déjà eu des balles qui commençaient à émettre de la musique, car une radio avait résisté à la broyeuse», raconte-t-il. Autre phénomène étonnant qui le fait sourire: «La nuit, on aperçoit parfois une balle qui se met à briller, parce que parmi les déchets une lumière a survécu.»
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