Flambée du franc, un test pour la solidité des entreprises
Colonne vertébrale de l’économie suisse, les petites et moyennes entreprises (PME) sont durement pénalisées par la force du franc. Pour elles, la décision de la Banque nationale suisse (BNS) d’abandonner le taux plancher de 1,20 franc pour 1 euro constitue un véritable test de survie.
L’annonce surprise de la BNS, jeudi dernier, d’abandonner le taux plancher a une conséquence bien concrète pour l’économie suisse d’exportation: les produits «made in Switzerland» coûteront désormais 20% plus cher au sein de l’Union européenne, principal partenaire commercial de la Suisse. Dans la panique qui a suivi cette annonce, plusieurs organisations économiques ont averti que cette décision aura des conséquences désastreuses pour de nombreuses entreprises.
«Même avec un cours de change de 1,20 franc, le franc suisse était surévalué par rapport à l’euro. Une surévaluation durable et sensible de la monnaie helvétique par rapport à l’euro et au dollar pourrait menacer de nombreuses entreprises dans leur existence. Les marges, comparativement minces dans notre branche, diminueront», écrit ainsi swissmem, l’organisation faîtière de l’industrie des machines, des équipements électriques et des métaux (MEM) dans un communiquéLien externe.
S’exprimant dans les colonnes de la NZZ am Sonntag, le président de swissmem s’est fait plus précis, parlant d’une entreprise sur cinq en danger, ce qui aura certainement des conséquences sur l’emploi. Cependant, «le secteur a surmonté la crise du franc de 2011 et réussira aussi à surmonter celle-ci», a tout de même rassuré Hans Hess.
Un horloger en colère
Dès vendredi, de nombreuses entreprises du pays ont tenu des réunions d’urgence pour digérer les conséquences de ce changement de politique de la BNS et pour établir de nouvelles stratégies. De leur point de vue, la principale vertu du taux plancher était de leur donner un certain sentiment de sécurité en matière de planification financière. Mais c’est terminé.
L’une des réactions les plus vives est venue d’Edouard Meylan, président-directeur général de H. Moser & CieLien externe, une entreprise d’horlogerie de niche. Celui-ci a fait part de son mécontentement dans une lettre ouverteLien externe adressée au président de la BNS, Thomas Jordan. «Je suis convaincu que vous avez un plan qui va nous aider à traverser tout ça sur le long terme. Parce que, si tel n’est pas le cas, comme beaucoup d’autres merveilleuses créations suisses, les montres H. Moser risquent de devenir vraiment très très rares…», a-t-il écrit.
«En tant qu’entrepreneur dans une petite compagnie suisse, j’aime les défis, a poursuivi le PDG. Et bien aujourd’hui, Monsieur le Président, votre décision spectaculaire a encore rendu les choses plus complexes: en effet, 95% de notre production est vendue à l’étranger et à des clients autour du monde – hors de Suisse. Je profite d’ailleurs pour mentionner, de manière concrète et transparente, que les premiers détaillants ont annulé leurs commandes suite à votre annonce», a encore indiqué Edouard Meylan.
Dans le secteur du luxe, tout le monde n’est cependant pas aussi inquiet. Au Salon International de la Haute HorlogerieLien externe (SIHH), qui s’est ouvert lundi à Genève, il n’y a pas vraiment de trace de panique. «Le secteur très haut de gamme est moins influencé que d’autres. Ce n’est pas la première fois que nous devons nous adapter», a par exemple déclaré Jean-Marc Pontroué, directeur général de Roger DubuisLien externe, à l’Agence télégraphique suisse (ATS).
Aussi une question de taille
Les problèmes créés par l’appréciation du franc affectent tous les exportateurs, quelle que soit leur taille. Mais les grandes multinationales peuvent mieux amortir le choc: elles obtiennent en effet de bons prix grâce aux achats de masse, elles profitent d’une implantation plus large dans le monde et peuvent compter sur des départements spécialisés qui se procurent les matières premières et qui se protègent contre les fluctuations des taux de change.
Or, la grande majorité (72%) des entreprises membres de swissmem emploient moins de dix personnes, alors que seulement 1,4% comptent plus de 250 collaborateurs, selon les statistiques de 2011. Environ 80% des membres de l’organisation exportent leurs produits spécialisés et 64% de ces exportations sont destinés à la zone euro. Ces chiffres sont également typique d’autres secteurs.
Les entreprises suisses qui emploient moins de 250 personnes (99,6% donc) représentent les deux tiers des emplois du pays. Une étude réalisée l’an dernier par l’institut de recherches conjoncturelles KOF a montré que le secteur industriel s’attendait à une baisse des ventes de 3,4% dans les six moins suivant la fin de la politique du taux plancher, et même de 4,2% après 18 mois.
Les plus en forme survivront
L’Union suisse des arts et métiersLien externe (USAM), qui est l’organe faîtier des PME suisses, se montre plus mesurée dans l’évaluation des évènements. Elle estime que les entreprises auraient dû savoir que l’intervention de la BNS en matière de change de l’euro ne pourrait pas durer éternellement.
«La BNS nous a dit de manière répétée que le taux plancher était une mesure provisoire, a indiqué à swissinfo.ch Henrique Schneider, responsable du dossier auprès de l’USAM. Les entreprises ont eu trois ans et demi pour se préparer à ce moment. Certaines des réactions à l’annonce de la BNS, parlant de faillites et autres choses du genre, sont juste un sentiment de choc dû à la soudaineté de l’annonce. Maintenant, il appartient à chaque entreprise de faire une évaluation. Les mois à venir vont nous montrer combien d’entre elles se sont bien préparées à ce moment.»
Ces préparations auraient pu être des mesures telles que des diminutions de coûts, l’amélioration des processus de fabrication, l’investissement dans de nouvelles technologies ou encore l’ouverture de nouveaux marchés hors de la zone euro.
Ces remarques de Henrique Schneider font largement écho à celles Thomas Jordan, jeudi, peu après l’annonce de la BNS. «L’économie était en mesure de profiter de cette phase pour s’adapter à la nouvelle situation».
Réduire la «paperasse»
L’USAM, qui regroupe 300’000 entreprises, a appelé le gouvernement a réduire de toute urgence les coûts de la bureaucratie, afin d’aider les petites entreprises au cours des mois et des années à venir. L’automne dernier, le gouvernement avait présenté un «Rapport sur les coûts de la réglementationLien externe», estimant que les obligations administratives représentent un fardeau pouvant atteindre jusqu’à 10 milliards de francs par an pour l’économie. Cette bureaucratie concerne par exemple la montagne de paperasse que les entreprises doivent remplir pour satisfaire aux prescriptions en matières de TVA ou encore des réglementations suisses et européennes différentes en matière d’importations et d’exportations.
«Après la publication du rapport, nous avions demandé au gouvernement d’agir rapidement, rappelle Henrique Schneider. Celui-ci avait répondu que ce n’était pas le dossier le plus urgent. Eh bien maintenant, c’est devenu le dossier le plus urgent!»
Pas d’intervention pour le moment
Dans une interview publiée par plusieurs journaux de la presse dominicale, la ministre des Finances Eveline Widmer-Schlumpf a cherché pour sa part à calmer le jeu en affirmant que l’économie suisse était en mesure de faire face à l’abandon du taux plancher.
La ministre juge donc que pour l’heure, il n’est pas nécessaire d’intervenir. Cependant, Eveline Widmer-Schlumpf n’exclut pas de le faire dans un futur proche, par exemple par le biais d’allègements fiscaux. «Nous devons observer la situation. Si, dans trois mois, nous constatons qu’il faut des mesures, nous en reparlerons», a-t-elle ajouté.
Serge Gaillard, directeur de l’Administration fédérale des finances, a lui chiffré la «zone de danger» pour l’économie. Dans une interview accordée à la Zentralschweiz am Sonntag, il estime que les perspectives économiques vont «radicalement» s’aggraver si l’euro reste de manière durable sous la barre de 1,10 franc. En revanche, elles demeurent positives avec un cours à 1,15. Quant à une récession à long terme, le haut fonctionnaire ne la redoute que si «le taux de change reste à parité sur le long terme».
(Adaptation de l’anglais: Olivier Pauchard)
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