Quand le numérique se met au service de l’enseignement
L’enseignement aussi entre dans l’ère numérique. Petit à petit, en Suisse, les nouvelles technologies deviennent des outils pédagogiques. L’école obligatoire intègre des tableaux interactifs, alors que les Moocs, ces cours en ligne gratuits et accessibles à tous, font leur arrivée dans les études supérieures. Le développement de ces outils varie toutefois selon les établissements.
La Chaux-de-Fonds. Une fine pluie qui tombe sans discontinuer, de façon presque indue, sur cette ville du canton de Neuchâtel, à une saison censée être le printemps, en rajoute à l’atmosphère studieuse qui se dégage de la Haute école pédagogique Bejune (HEP).
Ce 31 mai, la responsable de la communication de l’institution qui nous accueille est enthousiaste: «Chaque année, la HEP forme plusieurs centaines d’étudiants aux métiers de l’enseignement aux différents degrés de la scolarité obligatoire et post-obligatoire, du niveau primaire au niveau secondaire. Elle propose également un programme de formation continue.»
Problèmes techniques et choix politiques
Les propos de Christian Jeanrenaud, formateur MITIC (Médias, images, technologies de l’information et de la communication), sont plus circonspects. Sa tâche est de former les étudiants à intégrer les MITIC dans leur enseignement futur et d’augmenter leur taux d’utilisation.
L’usage de ces technologies n’est toutefois pas uniforme d’une ville à l’autre et d’un canton à un autre. Certes, les collèges sont dotés de salles informatiques mais il y a encore beaucoup de problèmes d’ordre technique: wifi ou non dans les salles selon les villes, les investissements dépendant des communes qui décident ou non de la dotation en matériel.
Au niveau de l’école obligatoire, s’il y a une volonté de vulgariser l’enseignement via la technologie, des cours en ligne ne sont pas encore conçus ni dispensés; cela est encore de l’ordre de la musique d’avenir, les cours se font en présence de l’enseignant.
Outre les problèmes techniques, il y a aussi le fait que l’enseignant n’est plus le détenteur exclusif du savoir: les étudiants peuvent en savoir autant qu’eux via internet et cela est parfois déstabilisant pour les maîtres.
«La grande impulsion dans les années 2000 est aujourd’hui un peu émoussée par des choix politiques alors qu’il aurait fallu maintenir la vitesse de croisière. Ce qui n’a pas été fait», regrette Christian Jeanrenaud, pour qui l’optimisation véritable de l’enseignement par les outils technologiques ne se fera pas avant deux décennies au moins, à moins que l’on n’en fasse une priorité en Suisse.
Oumou Dosso
Chroniqueuse depuis 2011, puis secrétaire de rédaction au quotidien Fraternité Matin d’Abidjan (Côte d’Ivoire) depuis 2014 (avec stage au Centre de formation et de perfectionnement des journalistes à Paris en février 2014), Oumou Dosso a été nommée conseillère du rédacteur en chef central en mars 2016. Elle est titulaire d’un doctorat de philosophie de l’université de Cocody (2015). Formée en éducation musicale en 1977, elle a enseigné dans ce domaine de 1998 à 2012. De 2011 à 2013, elle a été chercheuse au Centre de recherche sur les arts et la culture à Abidjan.
Un tableau qui joue avec l’écriture manuscrite
Le responsable de la formation des enseignants du niveau primaire à la HEP, Raphaël Lehmann, est plus optimiste. Il nous présente la dernière nouveauté: un tableau interactif biface. Ce tableau est capable de reconnaître l’écriture manuscrite et de la transformer, de redimensionner, dupliquer, déplacer, faire des exercices ludiques, des graphiques, mettre des couleurs, etc.
L’outil interactif sur lequel des démonstrations peuvent être enregistrées et remises aux élèves (un peu dans l’esprit des Moocs), a été conçu pour améliorer l’enseignement, sans remettre en cause la présence des enseignants en classe. Ce matériel nec plus ultra permet aussi une relation entre les enseignants et les parents qui ont un regard (via les enregistrements de ce qui a été écrit au tableau) sur le déroulement des cours en classe. Le huis clos entre les maîtres et les élèves est ainsi brisé.
Les démonstrations des fonctions du tableau interactif qui sont faites devant nous – nous avons aussi expérimenté le tableau – sont édifiantes. Pourtant, là encore, il y a des difficultés: certains évoquent le prix du tableau (un peu moins de 10’000 francs suisses, presque autant en euros), le matériel annexe devant l’accompagner (ordinateur, et éventuellement des tablettes pour les élèves) et la maîtrise de l’outil informatique par les enseignants qui n’est pas toujours performante. Pour Raphaël Lehmann, il faudrait tout au plus une dizaine d’années pour l’implémenter partout.
Le potentiel des MOOC
Dès le primaire et également au degré secondaire, les élèves sont familiarisés avec les nouvelles technologies. Mais qu’en est-il dans les universités? A Neuchâtel, bien que tout le matériel pour l’enregistrement ne fasse pas défaut, les cours en ligne ouverts à un large public ne sont pas très développés.
L’adjointe du vice-recteur de l’Université, Françoise Voillat, explique que, pour l’instant, son établissement n’a pas développé de stratégie en matière de réalisations de Moocs. «Nos professeurs ne bénéficient pas d’aménagements spécifiques qui leurs permettent de dégager du temps pour enregistrer un cours. Ainsi, leur engagement dans ce domaine dépend de leur bonne volonté.» Compte tenu de l’effectif des étudiants, un peu moins de 5000 pour plus de 120 enseignants, et du coût de la réalisation d’un Mooc (au minimum 50’000 francs suisses), les cours en ligne ne sont pas vraiment une priorité pour l’établissement.
Si l’Université de Neuchâtel n’investit pour l’instant pas dans les Moocs, certains professeurs ont commencé depuis quelques années à produire des vidéos de leurs cours, à l’image du professeur en informatique Pascal Felber. «Nous avons un système qui nous permet d’enregistrer nos cours et les éditer par la suite. Nous mettons ensuite les enregistrements à disposition des étudiants. Toutefois, ce n’est pas un Mooc à proprement parlé, car ces vidéos ne sont ni accessibles à tous et ni scénarisées. On peut dire que c’est un premier pas vers les Moocs», dit-il en esquissant un petit sourire.
L’EPFL, précurseur
A l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne, les laboratoires sont impressionnants, les studios d’enregistrement dignes des grandes maisons de production. Les Moocs ne sont, ici, pas le menu fretin. Des enseignants s’y donnent à fond.
Certains, à l’image de Jérôme Chenal, maître d’enseignement et de recherche au sein de la communauté d’études pour l’aménagement du territoire, sont carrément devenus des stars. Vêtu comme un jeune premier, veste bleue sur un jean, chaussures rouges, l’enseignant n’est pas peu fier d’être un promoteur des Moocs: «Les Moocs ont un grand impact et répondent à la soif et au besoin d’apprendre de nombreuses personnes qui ne peuvent pas avoir accès au savoir pour une raison ou une autre.» Il indique que 28’000 personnes ont suivi son Mooc intitulé «Villes africaines: introduction à la planification urbaine».
Pour lui, les cours en ligne sont aussi l’opportunité de bénéficier d’une certaine visibilité: «Je reçois parfois des emails de participants, que je ne connais pas et qui s’excusent de ne pas avoir pu suivre certains modules ou encore qui me sollicitent pour devenir leur directeur de thèse, etc. Aujourd’hui, dans toutes les villes africaines où je vais, on me reconnaît.»
A l’Epfl, l’engouement pour ce nouvel outil d’enseignement est grand. «Ici, nous nous engageons à créer des Moocs pour participer de manière collaborative à la vulgarisation du savoir», explique le directeur du programme Moocs pour l’Afrique, Dimitrios Noukakis. Il souligne aussi qu’un professeur qui enregistre un cours est obligé d’améliorer la qualité de celui-ci.
Le directeur du ‘Center for Digital Education’ de l’Epfl Patrick Jermann perçoit également les Moocs comme l’un des moyens de rendre l’éducation accessible à un grand nombre. Il rappelle que plus d’un million de personnes ont déjà suivi des Moocs de l’Epfl.
Le numérique au service de l’enseignement est une réalité en Suisse, même si la courbe de son évolution n’est pas la même d’une école à l’autre ou d’une université à l’autre. Pour les universités comme celle d’Abidjan qui ont le projet d’utiliser les Moocs comme moyen de résorption face aux effectifs pléthoriques, il importe d’établir un ratio entre le coût des cours (entre 100’000 et 150’000 francs suisses) et la construction de nouvelles salles de classes.
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