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Giuliano da Empoli: «La guerre en Ukraine a largement contribué au succès de mon roman»

L'écrivain italo-suisse Giuliano da Empoli a reçu le 27 octobre le Grand Prix du roman de l’Académie française pour sa fiction politique «Le Mage du Kremlin». Keystone/opale.photo/Mantovani

L’écrivain italo-suisse Giuliano da Empoli a reçu le 27 octobre le Grand Prix du roman de l’Académie française pour sa fiction politique «Le Mage du Kremlin». Une entrée étourdissante dans les coulisses du pouvoir russe qui lui vaut également une place dans le dernier carré du Goncourt. Il est finaliste de ce prestigieux prix qui sera proclamé le 3 novembre. En attendant, il se confie.

Hauteur de vue, réflexion rapide, charisme intellectuel. Trois qualités attrayantes auxquelles il faut ajouter la modestie, et vous voilà en face de Giuliano da Empoli, désormais vedette, qui a séduit la presse et les milieux littéraires depuis la publication en avril dernier de son roman politique «Le Mage du Kremlin» (Gallimard). Il n’était donc pas étonnant que l’Académie française, à l’affût de perles rares, lui accorde l’une de ses plus prestigieuses récompenses: le Grand prix du roman. Pour ce même «Mage», écrit directement en français, l’auteur est également finaliste d’un autre prix illustre, le Goncourt, qui, lui, sera proclamé jeudi 3 novembre.

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Le même scénario s’était produit il y a exactement dix ans avec un autre écrivain suisse, Joël Dicker, qui, en 2012, emportait le Grand Prix du roman de l’Académie française pour son thriller «La Vérité sur l’affaire Harry Quebert». Lui aussi était alors finaliste du Prix Goncourt 2012 – qu’il ne gagna pas.

Né en 1973 à Neuilly-sur-Seine (près de Paris), Giuliano da Empoli suit des études de droit et de sciences politiques en Italie et en France. Journaliste et essayiste, il enseigne également à Sciences-Po, Paris. Parmi ses essais, «Les ingénieurs du chaos» et «Le Florentin», portrait de Matteo Renzi dont il fut le conseiller. «Le Mage du Kremlin» est sa première œuvre de fiction.

Vendu jusqu’ici à 120’000 exemplaires environ rien qu’en France, le livre donne accès aux coulisses du pouvoir russe, via le personnage de Vadim Baranov. Conseiller de Poutine, autrefois homme de théâtre et de télévision, Baranov, «Le Mage», va transposer au Kremlin son savoir-faire théâtral. La politique est une affaire de mise en scène. Entretien.

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Giuliano da Empoli: Oh! je ne veux faire aucun pronostic, je n’échafaude pas de scénarios de succès non plus, je préfère me limiter aux faits, à ce qui a eu lieu et non à ce qui pourrait advenir. Je suis récompensé par la vénérable Académie française, et c’est déjà une fête.

Pensez-vous que lavis de Hélène Carrère dEncausse, doyenne d’âge de lAcadémie, écrivaine française dorigine russe, a eu une influence sur le choix du lauréat?

Oui, sans doute. Elle est historienne et possède une grande connaissance de la Russie. C’est elle qui dirige les travaux au sein de l’Académie. J’avoue que j’appréhendais son jugement. Mais j’ai été soulagé quand j’ai su qu’elle a apprécié mon ouvrage, et encore plus flatté quand j’ai appris que j’étais le lauréat.

«Le Mage du Kremlin» connaît un succès à très grande échelle. En combien de langues sera-t-il traduit?

Il y a vingt-six traductions en cours, je ne m’attendais pas à autant de demandes. J’ai écrit ce livre principalement durant l’année 2021. À l’époque, il n’y avait pas de guerre en Ukraine. Si le roman avait été publié à ce moment-là, mon projet aurait été perçu comme bizarre: je crée un personnage, Vadim Baranov, conseiller de Poutine, afin de pouvoir entrer avec lui dans les coulisses du pouvoir russe. J’ai l’air malin de faire parler aujourd’hui ce spin doctor qu’est Baranov. Mais en 2021, je ne pouvais pas imaginer un instant que mon roman allait avoir une telle résonance. Je dois reconnaître que l’actualité politique et la guerre ont largement contribué au succès de l’ouvrage.

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Une traduction en langue russe est-elle envisagée? Avez-vous, par ailleurs, des réactions de la part de personnes russes qui auraient lu votre ouvrage?

Une traduction avait été envisagée l’an dernier. À ce moment-là, il existait encore une certaine liberté en Russie, aujourd’hui peu respectée. Donc non, je n’ai pas de projet de traduction pour l’instant. Vous savez, on a l’impression qu’un mur a poussé subitement là-bas, faisant revenir le pays à l’époque soviétique. Pour ce qui est des réactions, j’en ai, oui, de la part d’Européens que je connais, qui vivent en Russie et considèrent avec pertinence la situation politique; ou alors de la part de personnes russes, avisées, qui vivent en Europe.

Vous avez reçu ce prix pour un roman. Le considérez-vous comme une valeur ajoutée à votre travail de journaliste, denseignant et dessayiste?

Oui, dans la mesure où il me relie à toute une littérature historique. Je connais la Russie, mais d’autres avant moi et bien plus célèbres que moi en ont parlé dans leurs écrits. Je cite dans mon roman l’auteur français La Bruyère (1645-1696) qui, mieux que n’importe quel journaliste, évoque la Russie sans y avoir jamais posé les pieds. Cela signifie qu’il existe une philosophie du livre alimentée par un imaginaire foisonnant. La Bruyère était membre de l’Académie française, comme l’est aujourd’hui l’écrivain péruvien Mario Vargas Llosa (86 ans), dont l’œuvre observe avec acuité le pouvoir politique. C’est dire que cette littérature historique demeure encore vivante au sein d’une grande institution, qui reconnaît mon travail.

Il y a eu dinnombrables articles sur votre livre depuis sa parution. Rares sont ceux qui soulignent laspect littéraire du «Mage », pourtant très important car il évoque le pouvoir des grands écrivains russes qui ont fait la Russie autant que les tsars. Un commentaire? 

Il faut dire que l’actualité a pris le dessus. Elle a en quelque sorte éclipsé d’autres aspects du livre. Mais bon, je ne suis pas inquiet pour autant, car j’estime que le succès du «Mage…» demeure malgré tout lié à sa valeur littéraire. Je m’explique. L’intérêt que suscite le roman se fonde après tout sur la pensée des grands écrivains russes que je cite. Leurs œuvres en disent long sur le fonctionnement de la raison politique.

Last but not least. Vous êtes suisse par votre mère. Diriez-vous que cest là aussi une valeur ajoutée à votre identité?

Oui, absolument. Je tiens beaucoup à mon identité helvétique, tout sauf accessoire. J’ai d’ailleurs demandé à mon éditeur de préciser, en quatrième de couverture de mon roman, que j’étais également Suisse. Ce n’est pas une posture, mais une conviction: j’ai écrit une grande partie du «Mage…» à Interlaken où ma mère possède une propriété. La ville est touristique, mais néanmoins très calme. Un lieu propice à la concentration.

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