Les contradictions de la Genève internationale
Connaît-on Genève pour ses organisations internationales et ses négociations de paix ou pour ses scandales de corruption et d'évasion fiscale? Tentative de réponse.
«Pour une grande partie du monde, la Genève internationale est synonyme de corruption», a déclaré récemment Jamil Chade, correspondant du journal brésilien «O Estado do São Paulo», lors d’une rencontre entre journalistes organisée par le Club suisse de la presse pour discuter de la meilleure manière de parler de Genève.
Dans le passé, Genève a fait la une des journaux pour des cas de corruption ou de blanchiment d’argent impliquant souvent des comptes ou des biens de personnes politiquement exposées (PPE), telles que le dictateur haïtien déchu, Jean-Claude «Baby Doc» Duvalier, ou l’ancien président de la République démocratique du Congo, Mobutu Sese Seko.
Plus récemment, c’est dans l’affaire des données volées concernant des clients de la branche genevoise de HSBC et de celle d’un compte non déclaré appartenant à l’ex-ministre français du budget, Jérôme Cahuzac, que Genève a nouveau fait parler d’elle.
Jamil Chade a couvert tout récemment le scandale de corruption Odebrecht, auquel de nombreux pays d’Amérique latine étaient mêlés avec des fonds qui auraient été déposés dans des banques suisses.
Delphine Dezempte, analyste principale chez Alaco, un cabinet de renseignement qui enquête sur des personnes privées et publiques, a confié à SWI swissinfo.ch qu’elle avait la même impression.
Manque de transparence
«Bien que Genève fait tout pour promouvoir des initiatives internationales, sa juridiction demeure opaque et elle n’encourage pas toujours comme la transparence en matière d’entreprises, de litiges ou de régimes fiscaux,» ajoute-elle.
Alaco est mandatée par des institutions financières suisses et des négociants en matières premières pour enquêter sur des clients potentiels, celles-ci étant devenues soucieuses de se soumettre aux exigences de vérification de l’identité des clients «Know Your Client» (KYC).
Delphine Dezempte a constaté un manque de transparence de la part des banques locales dans le gel des avoirs de personnalités politiquement exposées (PPE), dont ceux des dictateurs Mouammar Kadhafi (Libye) et Zine El Abidine Ben Ali (Tunisie), procédure jugée trop longue.
«Cela va à l’encontre de l’image que Genève aimerait donner d’elle, une ville internationale accueillant tout le monde et tous les secteurs.»
Et c’est cette image que Genève et les autorités suisses aimeraient véhiculer pour positionner la ville comme lieu où les gouvernements viennent résoudre les différends internationaux.
Quand les négociations de paix boostent l’économie
Siège de douzaines d’organisations internationales, de centaines de missions permanentes et d’organismes non gouvernementaux, Genève accueille depuis des années des négociations de paix.
Conformément à une étude menée par l’Université de Genève en 2012, les organisations internationales, les organisations non gouvernementales, les missions et les consulats dépensent quelque 3,3 milliards de francs suissesLien externe rien que dans le canton du bout du lac et sont responsables de la création d’un poste sur dix.
C’est pourquoi il est tellement important aux yeux de certains de promouvoir le caractère international de la ville.
«Le nom donne un sens de communauté à l’ensemble des acteurs internationaux basés à Genève et qui se battent pour un monde meilleur, affirme M. Coutau. Si ces acteurs ont l’impression d’appartenir à la même communauté, la coopération peut seulement en être facilitée. Plus ils coopèrent, plus ils partagent leurs ressources, plus ils sont efficaces et plus c’est bon pour la Genève internationale.»
Les laissés-pour-compte
Mais convaincre le monde extérieur de la place unique de Genève ne suffit pas. Il ne faut pas laisser ignorer les habitants de la ville qui se sentent oubliés et qui subissent les effets négatifs de la croissance urbaine.
Récemment, Présence Suisse, l’organe gouvernemental fédéral responsable de l’image de la Suisse à l’étranger, a collaboré avec l’ONU Genève dans le cadre d’un programme visant à promouvoir l’action de la communauté internationale sur le plan local.
Par des travaux d’étudiants, des initiatives prises avec des hôpitaux locaux et un livre interactif, ledit programme, intitulé Projet de changement de perceptionLien externe, vise à montrer comment les organisations internationales participent à la réalisation des Objectifs de développement durable de l’ONULien externe.
Aziyadé Poltier-Mutal, cheffe du projet, explique que ce projet représente une opportunité de changer la manière dont l’ONU est présentée dans les médias.
Nicolas Bideau, ambassadeur et chef de Présence Suisse, reconnaît toutefois qu’il est difficile de promouvoir la Genève internationale.
Quel impact sur le monde?
Conformément à la veille médiatique menée par l’équipe de M. Bideau, les médias parlent plutôt des négociations et des décisions à proprement parler, comme par exemple le programme nucléaire iranien ou les négociations de paix en Syrie, plutôt que du lieu où elles ont lieu.
«Ce n’est pas la Genève internationale en tant que telle qui est perçue à l’étranger, explique M. Bideau. Nous avons du pain sur la planche pour renforcer la perception de la Genève internationale et éviter à tout prix que les organisations quittent Genève.»
Présence Suisse saisira l’occasion de l’Expo 2017 à Astana, la capitale du Kazakhstan, pour faire la promotion de Genève et pour souligner le rôle qu’elle joue dans la réalisation des Objectifs de développement durable de l’ONU.
«Nous avons un problème d’image. La plupart des gens ne réalisent pas à quel point Genève est importante pour la stabilité dans le monde.»
De nouvelles règles du jeu
Pour Nicolas Bideau, les règles du jeu ont changé ces dernières années avec la fin du secret bancaire en Suisse et la mise en œuvre par la Suisse des normes internationales en matière d’échange d’informations fiscales.
Delphine Dezempte, en revanche, n’est pas convaincue que ces mesures suffiront à améliorer l’image de la ville à l’étranger. «Il y a toujours de nombreuses choses pas très nettes qui se passent en coulisses», ajoute-elle.
De retour à la réunion des journalistes, certains d’entre eux insistent sur le fait que la marque internationale aurait plus d’impact si on ouvrait davantage les principales conférences et négociations aux journalistes.
Mais pour d’autres, comme Philippe Mottaz, ancien responsable des actualités à la RTS, Genève aura toujours deux facettes. «Nous devons accepter la Genève internationale telle qu’elle est, avec toutes ses contradictions, comme d’abriter à la fois le géant mondial du tabac, JTI, et l’Organisation mondiale de la santé.
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