«Pour les lignes les plus raides, il n’y a que la technologie suisse»
L’industrie ferroviaire suisse continue à subir la pression du franc fort. Toutefois, sa capacité d’innovation et sa flexibilité lui permet de rester compétitive, estime Michaela Stöckli, la directrice de l’association Swissrail, à l’occasion du salon Innotrans, le plus grand salon du secteur dans le monde.
swissinfo.ch: Le pavillon suisse à Innotrans se trouve en face de la concurrence chinoise, qui présente ses innovations. La Chine est-elle un marché pour l’industrie suisse ou plutôt un danger?
Michaela Stöckli: Les deux. La Chine est un important marché d’exportation mais aussi extrêmement difficile en raison du mépris de la propriété intellectuelle. Lorsque vous vendez quelque chose en Chine, vous pouvez être sûrs, qu’une copie arrive sur le marché peu de temps après. Sur ce point, nos membres sont très divisés. Certains préfèrent ne pas s’exposer, d’autres prennent le risque.
swissinfo.ch: Quels sont les marchés d’exportation les plus importants pour l’industrie suisse?
M.S.: En premier lieu, c‘est l’Allemagne et plus généralement l’Europe dans son ensemble. Nous sommes également très présents dans les anciennes républiques soviétiques et en Amérique du Sud. Nous préparons une offre pour la Bolivie en collaboration avec les entreprises allemandes. Elle concerne une ligne qui traverse les Andes. Pour ce projet, les Chinois sont nos principaux concurrents.
Swissrail
L’association Swissrail représente environ 110 entreprises qui offrent des services et des produits pour l’industrie ferroviaire, y compris les téléphériques et les remontées mécaniques. L’industrie ferroviaire suisse emploie environ 38’000 personnes en Suisse et génère un chiffre d’affaires de 9,5 milliards de francs, dont 60% proviennent des exportations. Michaela Stöckli a pris en 2009 la direction de Swissrail.
(Source: swissrail)
swissinfo.ch: La Suisse avec ses prix élevés a-t-elle une chance?
M.S.: Le prix ne fait pas tout. Notre approche est très différente de celle des Chinois. Ils proposent toujours un financement complet et apportent l’ensemble du personnel, jusqu’à 20’000 travailleurs pour un projet majeur. Nous ne mettons certes pas à disposition notre savoir-faire, mais nous sommes prêts à coopérer avec des entreprises boliviennes. Nous pouvons former le personnel et ainsi créer des emplois localement.
swissinfo.ch: Les entreprises suisses ont également une vaste expérience dans les lignes de haute montagne. L’altitude des Andes est toutefois encore plus haute que celle des Alpes.
M.S.: Pour les lignes les plus raides, il n’y a que la technologie suisse sur le marché. Nous avons presque le monopole dans le secteur des chemins de fer à crémaillère. Ce savoir-faire, lié à la topographie suisse, est particulièrement utile en Amérique du Sud.
swissinfo.ch: Aujourd’hui, les trains ne doivent-ils pas surtout être très rapides pour être compétitifs au niveau international?
M.S.: C’est en effet important de faire face à la concurrence des compagnies à bas prix. Ici, les exigences sont très élevées. Les trains devraient être rapides, ponctuels, confortable, climatisés, offrir une connexion à internet et rouler agréablement. Afin d’assurer un trafic ferroviaire moderne et compétitif, il faut pourtant une infrastructure financée par l’Etat, comme celle que nous avons en Suisse. Les trains les plus modernes sont inutiles, s’ils doivent rouler sur des lignes ferroviaires en désuétude.
Innotrans
Innotrans, qui a lieu tous les deux ans à Berlin, est le plus grand salon international dédié aux transports ferroviaires. L’édition 2016 s’est tenue entre les 20 et 23 septembre et a réuni 114 exposants. Locomotives, wagons, de fret et les trains régionaux ont été présentés sur une voie ferrée de 3500 mètres de long.
(Source: Innotrans)
La Suisse a toujours eu la volonté politique de soutenir les transports publics avec des financements publics. Ce n’est pas le cas dans d’autres pays. Par exemple aux Etats-Unis, le pays a le plus grand réseau de chemin de fer au monde mais il est utilisé uniquement pour le transport de marchandises. Par manque de prise de conscience, il n’est pas adapté au transport des passagers, sauf dans la zone nord-est entre New York et Washington.
swissinfo.ch: Quelle est l’importance des travailleurs internationaux pour l’industrie ferroviaire suisse?
M.S.: Nous sommes en faveur d’un marché du travail ouvert. C’est pourquoi nous nous positionnons depuis le début sur «l’immigration de masse». De l’avis des experts internationaux, la Suisse est un pays attrayant qui compte des employeurs attrayants. Nous ne devons pas perdre cet avantage face aux concurrents internationaux.
swissinfo.ch: L’appréciation du franc suisse continue-t-elle à jouer un rôle dans le domaine des exportations?
M.S.: La décision de la Banque nationale suisse d’abandonner le taux plancher entre le franc et l’euro, en janvier 2015, a été un coup dur pour nous. Nos produits sont soudainement devenus 20% plus chers sur le marché international. La haute qualité et la capacité d’innovation ne peuvent pas combler ce désavantage concurrentiel du jour au lendemain. A la suite de l’appréciation du franc, certaines entreprises ont délocalisé une partie de leur production à l’étranger, par exemple en Pologne. Pour les petites entreprises, la concurrence est devenue plus rude.
swissinfo.ch: L’ouverture du nouveau tunnel ferroviaire du Gothard a fait les gros titres de la presse dans le monde entier. Cela a-t-il eu des répercussions positives pour votre branche?
M.S.: Le tunnel du Gothard est un ouvrage de prestige qui fait rayonner notre entreprise. Nous sommes très fiers d’avoir pu terminer les travaux dans les temps et en respectant le budget prévu. Ici à Berlin, vous ne pouvez pas en dire autant de la construction du nouvel aéroport. Compte tenu du niveau de nos prix, il est important pour nous d’être en mesure de présenter un projet exemplaire comme celui du Gothard. Nous ne construisons pas aux prix les plus avantageux mais de manière fiable et nous proposons une haute qualité.
swissinfo.ch: Quels sont les produits les plus représentatifs présentés par la Suisse à Innotrans?
M.S.: L’un d’entre eux est probablement Giruno, qui traversera le tunnel du Gothard en 2019. C’est incroyable de constater que Stadler ait réussi à produire ce train en un si court laps de temps.
swissinfo.ch: Qu’est-ce que ce train a de spécial?
M.S.: C’est le premier train à grande vitesse fabriqué en Suisse. Il peut rouler à 249 km/h. Le tunnel du Gothard est la première ligne en Suisse adapté à cette vitesse.
swissinfo.ch: Cela signifie-t-il que les trains à grande vitesse représentent encore une nouveauté pour la Suisse?
S.M.: La grande vitesse n’est pas un grand thème en Suisse. Cela est lié à la taille restreinte du pays et à sa topographie. Notre industrie est spécialisée en particulier dans les trains à crémaillère mais aussi dans les transports urbains régionaux. De nouveaux concepts de transport dans les grandes régions métropolitaines du monde ouvrent ainsi d’excellentes perspectives à notre industrie.
(Traduction de l’allemand: Katy Romy)
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