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Une retraite plus douce pour tous? Non merci, dit le peuple suisse

Le peuple suisse a rejeté dimanche une initiative visant à augmenter de 10% toutes les rentes de retraite versées par l'Etat. Keystone

Seuls citoyens au monde à pouvoir décider d'une hausse des rentes de retraite versées par l'Etat, les Suisses s'y sont fermement opposés ce dimanche. Près de 60% des votants et une majorité des cantons ont rejeté l’initiative «AVSplus: pour une AVS forte» lancée par les syndicats. Une fracture se dessine toutefois entre les cantons germanophones et latins. 

Mise en place d’un mécanisme visant à freiner les écarts salariaux (initiative 1:12), abolition des forfaits fiscaux pour riches étrangers, instauration d’un salaire minimum, d’une caisse maladie unique ou encore d’un impôt national sur les successions, interdiction de la spéculation sur les denrées alimentaires: la liste est longue des initiatives populaires lancées par la gauche politique et les syndicats qui ont échoué dans les urnes ces trois dernières années.

Celle-ci s’est encore allongée dimanche, puisque le peuple suisse a une nouvelle fois exprimé son rejet des réformes constitutionnelles prônées par la gauche en votant contre l’initiative dite «AVSplus: pour une AVS forte»Lien externe, qui visait à augmenter de 10% toutes les rentes de vieillesse. 

La netteté du résultat sur le plan national (59,4% de «non») contraste cependant avec le retour remarqué du «Röstibragen», ce fossé linguistique et culturel qui avait eu tendance à s’estomper au cours des derniers scrutins portant sur les questions de politique économique et sociale. Si tous les cantons germanophones ou bilingues ont nettement rejeté l’initiative, celle-ci a en effet été acceptée par les cantons francophones du Jura (59,5%), de Neuchâtel (54%), de Genève (53,6%) et de Vaud (50,3%) ainsi que par le canton italophone du Tessin (53,4%).  

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La Suisse francophone et le Tessin ont traditionnellement une autre perception du rôle de l’Etat et de ses devoirs, a expliqué le politologue Claude Longchamp à l’issue du scrutin. L’Etat doit s’y montrer «un peu plus concerné» par la sécurité sociale qu’en Suisse germanophone. Autre facteur qui a pu jouer un rôle dans ce fossé linguistique: des revenus en moyenne inférieurs à la moyenne nationale en Suisse romande et au Tessin. «Plus on est aisé financièrement, moins on juge nécessaire d’augmenter les rentes», a estimé Claude Longchamp. 

Pour une réforme globale

Lancée par l’Union syndicale suisse (USS), l’initiative était soutenue par les principales associations de salariés et les partis de gauche. Elle était en revanche combattue par les partis de droite et du centre ainsi que les associations patronales. La campagne a donc donné lieu à un affrontement classique entre la gauche et la droite, dont cette dernière est, comme très souvent dans ce cas de figure, sortie victorieuse.

L’AVS – actuellement au maximum 2350 francs par mois pour une personne seule et 3525 francs pour un couple marié – est censée couvrir les besoins vitaux. Elle est généralement complétée par une rente de la prévoyance professionnelle. Ensemble, les deux rentes devraient compenser environ 60% du dernier salaire, le solde étant éventuellement financé par l’épargne individuelle. 

D’après ce qui ressort des deux sondages effectués avant la votation par l’institut gfs.bern, l’électorat suisse s’est particulièrement laissé convaincre par l’argument martelé dès le début de la campagne par le gouvernement et les opposants au projet, à savoir qu’il ne faut pas intervenir de manière isolée sur le montant des rentes AVS, mais au contraire privilégier une réforme globale du système de retraite pour faire face au défi du vieillissement de la population.

En d’autres termes, la majorité de l’électorat approuve la stratégie du gouvernement et son projet de réforme Prévoyance vieillesse 2020Lien externe, actuellement en cours d’examen au parlement. Portée par le ministre socialiste Alain Berset, en porte-à-faux avec son parti durant cette campagne, la réforme vise à garantir le financement des rentes au cours des prochaines années, qui verront un nombre important de représentants dits de la génération du baby-boom prendre leur retraite. Le plan comprend toute une série de mesures qui touchent à la fois l’AVS et la prévoyance professionnelle.

En refusant l’initiative «AVSplus: pour une AVS forte», les citoyens suisses «ont eu la maturité de réaliser qu’il n’y a pas de solution simpliste au défi énorme de la démographie galopante», a ainsi réagi le député libéral-radical (PLR / droite) Ignazio Cassis. 

Selon le Tessinois, qui préside la commission préparatoire du Conseil national (Chambre basse), «la bonne voie, c’est celle qui est en train d’être analysée au Parlement». Mais les Suisses «devront faire preuve de patience»: le politicien prédit une «grande partie de ping-pong entre les Chambres» qui devrait durer 6 à 9 mois.

Injuste et coûteux

Outre l’augmentation généralisée des rentes selon le principe dit de l’arrosoir, à savoir sans distinction de la situation économique des bénéficiaires, le coût de la mise en place de cette mesure – près de 4 milliards de francs par année dès 2018, et jusqu’à 5,5 milliards en 2030 – a été l’autre pierre d’achoppement qui a fait couler le texte. 

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Seule une minorité des citoyens a donc suivi les syndicats et la gauche pour qui il était urgent de compenser l’érosion constante des retraites due notamment à la diminution des prestations de la prévoyance professionnelle. Le deuxième pilier du système de retraite helvétique est en effet mis à mal par la crise persistante des marchés financiers et la baisse des intérêts servis sur les capitaux de vieillesse par les caisses de pension.

En cas d’acceptation de l’initiative, un retraité vivant seul aurait perçu entre 1400 et 2800 francs de plus par année et un couple 4200 francs maximum. Les initiants auraient également souhaité adapter l’AVS au renchérissement et donner un coup de pouce aux femmes, puisqu’il s’agit de la seule assurance sociale qui tient compte des tâches éducatives et d’assistance assumées par ces dernières. 

Campagne jugée «irresponsable»

Des arguments qui n’ont pas fait mouche auprès de l’électorat alémanique. Reste que malgré le refus net de leur texte dimanche, les instigateurs de l’initiative préfèrent voir le verre à moitié plein et restent en mode offensif. De l’avis du président de l’Union syndicale suisse (USS) Paul Rechsteiner, les 40% de voix positives montrent qu’un affaiblissement des rentes n’entre pas en question.

Le président de l’USS rejette la critique selon laquelle l’initiative était trop extrême. Si le texte a été rejeté dimanche, c’est essentiellement en raison de la «campagne irresponsable» des opposants. En menant une campagne fondée sur la peur, ils ont «généré un conflit de générations», a-t-il estimé. 

La présidente du syndicat Unia Vania Alleva a pour sa part admis certaines faiblesses dans la campagne des initiants. «Le financement de notre projet était notamment trop peu clair», a-t-elle déclaré. Ce résultat constitue néanmoins pour Unia un avertissement clair au Conseil national, qui se penchera la semaine prochaine sur la réforme Prévoyance vieillesse 2020. «Le massacre des rentes annoncé par la droite (démantèlement massif du deuxième pilier, retraite à 67 ans) doit être empêché», écrit le plus grand syndicat de Suisse dans un communiqué.

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Le «juste milieu» d’Alain Berset

Aux yeux d’Alain BersetLien externe, le rejet de l’initiative clarifie la situation avant les débats au Conseil national. Par leur «non» au texte des syndicats et de la gauche, les Suisses ont indiqué qu’ils rejetaient des rentes plus élevées que maintenant, a estimé le ministre des assurances sociales dimanche devant les médias. «La population est consciente des problèmes de la retraite, mais elle préfère un juste milieu», a ajouté Alain Berset, défendant sa réforme de la prévoyance vieillesse.

Et le ministre socialiste de réitérer son souhait pour une solution équilibrée qui rassemble toutes les forces politiques, loin d’une solution extrême. Il faut faire passer ce projet nécessaire et résoudre enfin le problème des retraites, a conclu Alain Berset.

Des scrutins à répétition

Les Suisses ont déjà voté à de nombreuses reprises sur la prévoyance vieillesse. Le principe de l’AVS a été accepté en votation populaire le 6 décembre 1925. Mais il a fallu du temps pour qu’il se concrétise. Un premier projet a été refusé dans les urnes en 1931. Ce n’est qu’après la guerre que l’assurance deviendra réalité. Une loi a été adoptée par le Parlement en 1946 avant d’être avalisée en 1947 par le peuple et d’entrer en vigueur en 1948.

Alors que la 9e révision (en 1978) et la 10e révision de l’AVS (1995) ont été acceptés par le peuple, les dernières années ont été marquées par deux défaites cinglantes pour les autorités. Le 7 mars 2010, le peuple a repoussé par 72,7% une réduction du taux de conversion de la LPP à 6,4% qui aurait conduit à une baisse accélérée des rentes du 2e pilier. Le 16 mai 2004, la 11e révision de l’AVS, avec notamment la hausse de l’âge de la retraite à 65 ans pour les femmes, a été coulée par 67,9% des votants.

Si le gouvernement a souvent été désavoué sur ce sujet, les initiatives populaires portant notamment sur un abaissement de l’âge de la retraite n’ont pas connu meilleur sort. En 1995, parallèlement à l’adoption de la 10e révision de l’AVS, le peuple a rejeté une initiative socialiste et syndicale proposant une retraite à la carte dès 62 ans. L’Union syndicale suisse n’a pas eu plus de succès en 1998 avec son texte visant à appliquer la 10e révision sans relèvement progressif de l’âge de la retraite des femmes de 62 à 64 ans.

Deux initiatives – l’une des sociétés d’employés, l’autre des Verts – pour une retraite à la carte dès 62 ans ont été rejetées en 2000. Un texte similaire de l’USS a connu pareil destin en 2008. 


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