La Chine lorgne sur l’énergie hydraulique suisse
La Suisse doit protéger ses infrastructures d’envergure telles que les centrales hydroélectriques contre les prises de contrôle étrangères indésirables. Un avis partagé par les commissions de l’énergie des deux chambres parlementaires. Notre approvisionnement énergétique est-il menacé lorsqu’un investisseur étranger achète une de nos centrales hydroélectriques?
La frénésie d’achat des entreprises publiques chinoises en Europe inquiète les parlementaires. L’an dernier en Suisse, Chemchina a dépensé 43 milliards de dollars pour acquérir le groupe agroalimentaire bâlois Syngenta. Et la State Grid Corporation of China semble intéressée à investir dans les centrales hydroélectriques de la compagnie d’électricité helvétique Alpiq.
Les commissions de l’énergie des deux chambres parlementaires ont approuvé l’initiative parlementaire de la députée socialiste Jacqueline BadranLien externe. Le texte demande l’interdiction de vendre d’importantes infrastructures de l’industrie de l’énergie à des investisseurs étrangers. Il concerne essentiellement l’approvisionnement en électricité et en eau.
Que dit le régulateur?
Matthias FingerLien externe, professeur de gestion des industries de réseaux à l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (EPFL), est également membre de l’autorité de régulation nationale ElcomLien externe. «La décision ne concerne pas l’autorité de régulation, et en tant que régulateurs, nous nous concentrons sur la sécurité de l’approvisionnement», souligne-t-il.
«Les infrastructures vitales doivent aussi appartenir à ceux qui en dépendent et qui les financent»
Jacqueline Badran
La participation de certains investisseurs étrangers à d’importants projets d’infrastructures pourrait-elle compromettre l’approvisionnement? Les politiciens devront se prononcer sur cette question. Du point de vue d’Elcom, la question de la propriété n’a jamais été considérée comme un facteur de risque quant à la sécurité de l’approvisionnement.
En ce qui concerne l’alimentation électrique, la question ne se pose pas. «La loi sur l’approvisionnement électrique stipule que la majorité du réseau à haute tension doit appartenir à la Suisse», rappelle Matthias Finger.
La majorité des réseaux électriques sont de toute façon en mains publiques. En ce qui concerne l’hydroélectricité, il est aussi prévu que la population puisse se prononcer sur l’attribution des concessions d’eau, notamment s’il s’agit d’investisseurs étrangers. «A mon avis, la question des centrales nucléaires ne se pose pas puisqu’elles seront fermées prochainement. Et qui voudrait investir ici?», interroge de façon rhétorique l’expert en infrastructures de l’EPFL.
Le secteur public détient également une part majoritaire des grandes entreprises d’électricité telles qu’Alpiq, Axpo et les FMB. Alors pourquoi une entreprise publique chinoise s’intéresse-t-elle aux centrales hydroélectriques d’Alpiq? La Chine ne compte certainement pas démanteler ces ouvrages pour les déménager dans l’Empire du Milieu. Mais qu’en est-il de la technologie? «Cette technologie n’est pas si sophistiquée. L’investisseur chinois doit prévoir de s’enrichir avec cette société», analyse Matthias Finger.
L’argent publique s’envole-t-il à l’étranger?
Jacqueline Badran partage cette opinion. Contrairement à la commission de l’énergie de la Chambre haute, l’auteure de l’initiative parlementaire ne se focalise pas sur la sécurité de l’approvisionnement, mais plutôt sur une «exigence réglementaire». Les infrastructures importantes sont soit monopolistiques avec des prix administrés et des profits garantis, comme le réseau à haute tension, soit «too important to fail», indique la députée socialiste.
«En période prospère, les profits s’en vont en mains privées, alors que dans les moments difficiles c’est l’Etat qu’on appelle à l’aide. L’industrie de l’électricité possède de facto une garantie étatique», affirme Jacqueline Badran. Elle poursuit avec un exemple: «Supposons que les Chinois achètent la Grande Dixence. Ils bénéficieraient ensuite de notre rétribution à prix coûtant. Autrement dit, l’argent public s’écoulerait vers la Chine. C’est inacceptable. Les infrastructures vitales doivent aussi appartenir à ceux qui en dépendent et qui les financent.»
Les discussions sur la question de savoir si les investissements étrangers compromettent la sécurité nationale ont aussi lieu à l’étranger. «Tous les pays européens possèdent une autorité de contrôle qui peut s’opposer aux acquisitions désagréables. La Suisse est à la traîne dans ce dossier», argue la députée.
(Traduction de l’allemand: Lucie Cuttat)
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