Isabella Eckerle: «Les tests n’éradiqueront pas le virus»
Au moment où la Suisse se lance dans une vaste campagne de tests pour endiguer une troisième vague de Covid-19, la virologue Isabella Eckerle des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG), avertit déjà qu’il ne s’agira pas là d’un remède miracle.
À la tête du Centre des maladies virales émergentes des HUG à Genève, elle défend depuis le début de la pandémie une méthode plus agressive en matière de tests. Elle s’est même montrée critique sur l’approche choisie par la Suisse pour maintenir le contrôle de la situation.
En août, elle avait alerté sur le fait que la Suisse n’était «pas bien préparée» pour prévenir une deuxième vague. Elle s’était inquiétée autant de «l’absence de stratégie» que «d’une application incohérente des tests». Confrontées à des difficultés d’approvisionnement, les autorités n’avaient pu mener une stratégie de tests pour tout le pays. Les tests gratuits n’étaient alors disponibles que pour les personnes qui présentaient des symptômes ou qui avaient été exposées au virus.
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Aujourd’hui, le gouvernement suisse a changé de braquet sur les tests alors que le pays attend toujours ses livraisons de vaccins. Début mars à Berne, une campagne massive de tests a ainsi été annoncée. Des tests rapides et gratuits pour l’ensemble de la population, avec ou sans symptômes, qui sont disponibles depuis quelques jours. Et la population pourra bientôt recevoir cinq autotests gratuits par mois, dès qu’ils seront disponibles.
La doctoresse Isabella Eckerle dirige le Centre des maladies virales émergentes, une unité partagée entre les HUG et la Faculté de médecine de l’Université de Genève. Née en Allemagne, elle a étudié la médecine à l’Université de Heidelberg. Après avoir mené des travaux en Afrique, elle s’est penchée sur des cas de maladies infectieuses et a travaillé avec le virologue allemand Christian Drosten à l’Université de Bonn.
Isabella Eckerle s’est aussi spécialisée dans les virus zoonotiques tout en poursuivant depuis dix ans environ des recherches sur les coronavirus. Son laboratoire a notamment dirigé le développement et la validation des diagnostics concernant le SRAS-CoV-2 en Suisse, avec des enquêtes sur le rôle spécifique joué par les enfants dans la propagation de la Covid-19.
SWI swissinfo.ch: Pourquoi la Suisse a-t-elle autant attendu avant de lancer une stratégie de tests plus agressive?
Isabella Eckerle: J’ai le sentiment qu’on a un peu minimisé les effets de cette pandémie en Suisse, à plusieurs niveaux. Cette attitude générale a eu un effet certain sur les tests. Dès qu’une partie des activités ont été rouvertes, la motivation pour se faire tester a décliné parmi la population, aussi par crainte d’en subir des conséquences telles que les quarantaines.
Nous avons pu l’observer dans notre Centre. Au cours de la première vague, les tests étaient nombreux mais difficiles à gérer dans leur ensemble. Le taux de positivité aux tests reste élevé aujourd’hui, mais cela ne veut pas dire que davantage de personnes se rendent aux centres de tests. Il semble aussi que la population est fatiguée de se faire tester.
La stratégie en matière de test a beaucoup évolué en Suisse tout au long de cette pandémie. Les critères ont varié d’un canton à l’autre, ce qui a rendu l’entier du processus difficile à suivre.
En revanche, la Suisse a réagi avec diligence afin de rendre les tests rapides antigéniques disponibles. Et depuis l’année dernière déjà.
Se procurer des tests a-t-il été si compliqué que ça?
Au début, nous n’étions pas équipés pour réaliser des milliers de tests PCR par jour. Au mieux l’étions-nous pour quelques centaines. Puis des fabricants ont automatisé leur production, ce qui a constitué une aide précieuse. Mais nous n’avions toujours pas assez de réactifs. Des carences résolues au cours de l’été dernier.
Aujourd’hui, l’approvisionnement n’est plus un problème. De nombreux tests sont sur le marché. Leur usage à domicile favorisera aussi l’ensemble du procédé.
Mais s’il sera plus facile de se procurer des tests, des infrastructures sont nécessaires, tels que des centres de tests, sans compter la formation qui va avec. Que conviendra-t-il enfin de faire des résultats de ces tests?
L’annonce récente de tests gratuits et d’autotests à la maison permettra-t-elle de mieux maîtriser la pandémie en Suisse?
Cela aidera à abaisser le plafond des tests, ce qui est déjà une bonne nouvelle. Mais les objectifs de gestion de la pandémie doivent être clairs. Voulons-nous réduire le nombre d’hospitalisations ou réduire la transmission du virus? En l’absence de visée précise, il est difficile d’adapter ensuite une stratégie.
Des lieux comme les écoles ou les garderies devraient bénéficier de davantage de tests. Des foyers y ont été décelés. Si nous ne les détectons pas, nous ne sommes plus capables alors d’interrompre la transmission.
Mais il n’y a pas de solution miracle. Au début, nous pensions que les tests rapides allaient nous aider à inverser le cours des choses, en vain. Il en va encore de même avec les vaccins. Toute la panoplie des moyens doit être déployée: mesures de protection, tests, vaccins. Et il n’est pas possible d’échanger une mesure contre une autre. C’est l’ensemble qui est important.
Pensez-vous qu’appliquer une stratégie de tests de masse pour toute la population d’une région ou d’une ville apporte des résultats?
Jusqu’ici, je n’ai pas vu de données assez convaincantes indiquant un changement. Il s’agit d’un instantané. Qui plus est, beaucoup risquent de se retrouver à l’isolement sans pour autant réduire la transmission à zéro.
Cette stratégie n’a de sens qu’en répétant les tests à intervalles réguliers. Mais je me questionne sur la pertinence à long terme de cette stratégie pour les personnes asymptomatiques.
Sera-ce bientôt suffisant de montrer des tests négatifs pour aller au restaurant ou aller suivre un match de football?
Les tests n’éradiqueront pas à eux seuls le virus. Ils sont utiles pour limiter sa propagation, non pour remplacer les mesures sanitaires. Cela ne marchera pas. Un laisser-aller ne pourrait être accordé après un test rapide.
Malgré la présence de plus de tests rapides, ça ne veut pas dire que nous pourrons retourner à la normale. Tout le monde ne se teste pas. Et le test ne constitue qu’un instantané à un moment précis. Un test négatif pour quelqu’un pourrait s’avérer positif pour cette même personne dès le lendemain. Et il est inimaginable que nous nous testions tous les jours.
Il faut réduire tous les risques au maximum. Mais tester à grande échelle n’est pas un argument pour tout rouvrir. Il faut dorénavant savoir comment utiliser ces tests au mieux et quelle part de risque sommes-nous prêts à accepter. Selon moi, il est logique que nous testions dans les écoles car les avantages de les garder ouvertes sont aujourd’hui évidents.
Si par exemple un écolier est testé positif, pourquoi une équipe mobile ne se déplacerait pas pour tester ensuite l’ensemble de la classe? Nous savons que les enfants peuvent être asymptomatiques. Les cas positifs pourraient aussi se voir administrés des tests PCR pour une confirmation.
Vos recherches portent sur la transmission des virus chez les enfants. Qu’en savez-vous de plus depuis un an?
Nous avons appris que les enfants peuvent être infectés et peuvent transmettre le virus. Mais cette donnée est sortie de notre champ de vision parce que les enfants tombent moins malades. Ils peuvent échapper à des problèmes respiratoires, mais présenter d’autres symptômes difficiles à cerner chez eux (fatigue, maux d’estomac).
À Genève, après la première vague, le test de séroprévalence qui indique le niveau d’infection dans une population a montré que les enfants étaient moins sujets aux infections. Mais la seconde vague nous a permis de savoir que les enfants dès l’âge de 6 ans pouvaient être contaminés eux aussi, et presque autant que les adultes.
Avec l’apparition des variants, des études menées au Royaume-Uni attestent qu’un nombre important d’enfants ont contracté le virus, une analyse réalisée certes sur la base d’un taux d’infections plus élevé. Mais ces analyses ont aussi confirmé la présence de Covid-long chez les enfants.
À leur propos, la Suisse a opté pour une stratégie particulière. Les plus jeunes ne portent pas de masque, ce qui n’est pas le cas dans de nombreux autres pays.
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Nous avons longtemps tergiversé pour savoir si les enfants pouvaient être infectés au lieu de miser sur des mesures simples pour les protéger, en réduisant les classes ou en leur fournissant des masques à leur taille.
Qu’allons-nous retenir de cette pandémie?
Il faudra à l’avenir se concentrer plus sur les origines des pandémies. Prendre en compte la destruction de l’habitat des animaux et la manière dont ces derniers sont utilisés. Nous savons que d’autres virus menacent et pourraient prendre le même genre de routes que le coronavirus. Le commerce d’espèces sauvages, le saccage des gites ou l’élevage intensif d’animaux domestiques sont des terreaux favorables à leur émergence.
Nous devons par conséquent penser prévention. Nous étions conscients du risque qu’un virus identique au SRAS réapparaisse, mais peu a été fait pour endiguer le phénomène. A l’instar de ce que nous observons avec la crise climatique, plusieurs décennies seront sans doute nécessaires pour pouvoir disséquer l’ensemble des retombées. L’heure est à la prévention.
Heureusement, d’énormes progrès ont été réalisés grâce aux vaccins. Et tout en profitant de cette révolution en cours dans ce secteur de la médecine, nous devrions à l’avenir être mieux préparés.
Enfin, sur un plan sociétal, la pandémie a mis en évidence des inégalités déjà existantes, les personnes à bas revenus courant davantage de risques de contracter des maladies. Nous aurions ainsi peut-être besoin à l’échelle mondiale de congés-maladie payés ou d’une forme de soutien social.
Que ferez-vous en priorité lorsque tout sera derrière?
Je retournerai en Allemagne rendre visite à ma famille. Ces rencontres et échanges avec mes proches et amis me manquent.
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