Légal ou illégal? Le danger méconnu du couteau suisse
«Un vrai homme porte un couteau de poche dans la poche de son pantalon.» Ce dicton a longtemps été répandu en Suisse. Depuis, il est devenu une victime légitime du débat sur l'égalité des droits. Mais l'habitude de porter un couteau de poche perdure, et elle inclut aussi les femmes.
En Suisse, les enfants possèdent souvent déjà un couteau de poche. Pas le couteau officiel de l’armée avec décapsuleur et tire-bouchon, mais des variantes plus petites et colorées avec une lame courte et des ciseaux.
À part une petite coupure au doigt, ce modèle ne présente pas de grands risques. Il existe des modèles adaptés à chaque âge (et à chaque hobby).
La situation est bien différente au Japon: un homme y a été condamné pour le port d’un couteau suisse. Il avait reçu le couteau en cadeau d’une connaissance dans les années 1990 et l’avait longtemps utilisé à des fins professionnelles. Il a ensuite continué à le porter sur lui, une habitude qui lui a causé des ennuis.
Lors de son procès à Osaka, il a déclaré qu’il emportait son couteau de poche dans le cas où une catastrophe naturelle se produirait. Le tribunal n’a toutefois pas retenu cette explication.
La justice a estimé que la catastrophe aurait déjà dû avoir lieu pour que le port d’un couteau de poche se justifie. Comme ce n’était pas le cas, elle a considéré que l’homme transportait un objet dangereux. Le tribunal a ainsi statué contre lui et lui a infligé une amende de 9900 yens (environ 60 francs).
«Le fameux couteau suisse sera-t-il interdit?»
En Suisse, un tel verdict serait impensable. Certes, il est ici aussi punissable de transporter un objet dangereux. Celui qui va par exemple à l’entraînement avec une batte de baseball ne fait donc rien de mal. En revanche, celui qui emporte sa batte dans un bar risque une plainte. Le couteau de poche est cependant explicitement exclu de cette catégorie et il n’est pas non plus considéré comme une arme.
Au sein de la Confédération, seuls les couteaux qui s’ouvrent d’une seule main, comme les couteaux à cran d’arrêt et les couteaux papillon, ainsi que les poignards à lame symétrique sont interdits. La loi sur les armes et les modèles de couteaux de poche s’imbriquent ainsi parfaitement. Une congruence qui résulte d’une volonté politique.
En 2016, le gouvernement avait envisagé de réviser l’ordonnance sur les armes. Avec les nouvelles normes, les couteaux et les poignards avec des lames de plus de cinq centimètres auraient été considérés comme des armes. Le Parlement a toutefois immédiatement réagi.
Ces projets ont suscité la «confusion» et «l’incompréhension», avait écrit un député dans une intervention. «Le fameux couteau suisse sera-t-il interdit?», se demandait-il.
La confusion a ensuite été rapidement dissipée Le gouvernement a précisé que la révision avait été souhaitée par la branche des producteurs de couteaux et qu’il ne concernait pas le couteau de poche. Il s’agit au contraire d’éliminer une surréglementation. Concrètement, il s’agit de dépénaliser les poignards courts, comme les ouvreurs d’huîtres, car une utilisation abusive de ces objets n’est pas envisageable.
Des actes de violence isolés
Le couteau de poche n’est pas non plus utilisé de manière abusive. Il n’existe certes pas de données fiables à ce sujet en Suisse, car les organisations policières ne recensent pas plus précisément le type d’actes de violence commis avec des armes blanches.
Les procédures judiciaires et le débat public sur la violence au couteau, qui a considérablement augmenté en Suisse (voir encadré), permettent toutefois de conclure que les couteaux suisses ne sont guère utilisés comme arme.
La statistique criminelle 2022 de la Confédération montre que les armes blanches sont le moyen le plus fréquemment utilisé dans le cadre d’homicides (17 sur un total de 42) ou de tentatives d’homicide (117 sur un total de 195).
La violence au couteau a récemment augmenté en Suisse, même si l’on considère la situation à long terme, au-delà de la pandémie. Et il y a un problème avec la jeune génération: comme l’a montré une étude de la Haute école zurichoise des sciences appliquées en 2022, un jeune sur cinq âgé de 12 à 18 ans porte un couteau sur lui. Chez les filles, c’est une sur dix.
«Les jeunes hommes en particulier soulignent de plus en plus leur virilité par la violence et la domination», a déclaré au journal gratuit 20 MinutenLien externe le chercheur en matière de violence Dirk Baier, qui a dirigé l’étude. Il considère que le couteau remplit cette fonction, mais est aussi vu comme un objet qui sert à se protéger et à protéger ses amis. Selon l’étude, ce sont surtout les jeunes ayant un faible niveau d’éducation qui ont une affinité pour les couteaux.
«Celui qui porte un couteau illégal jouit d’une reconnaissance parmi ses pairs», analyse Dirk Baier. Il est également facile de s’en procurer sur Internet. La tendance à l’importation d’armes illégales se poursuit, constatait déjà l’Office fédéral des douanesLien externe il y a trois ans.
Les personnes interpellées avec des couteaux illégaux risquent une amende ou une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à trois ans. Dans tous les cas, le délit est inscrit au casier judiciaire, même si l’infraction a été commise à l’insu du contrevenant.
Même une recherche sur Internet ne révèle que quelques cas isolés: en 2020, par exemple, un Britannique a blessé le petit ami de sa mère vraisemblablement avec un couteau de l’armée suisse. La blessure dans le dos aurait été profonde d’environ un centimètre, rapporte le journal Oxford MailLien externe.
En 2019, un Ukrainien près de Kharkiv aurait castré le violeur de sa femme avec un couteau de poche suisse, selon le tabloïd britannique The SunLien externe, qui cite des médias locaux.
Le fabricant Victorinox réagit
Il n’est pas rare que le couteau représente un danger juridique pour son propriétaire. Ce n’est pas seulement le cas au Japon. Victorinox, le fabricant mondial de couteaux suisses, attire l’attention sur les risques juridiques sur son site Internet.
Interrogée, l’entreprise précise que son personnel de vente a été formé en conséquence. «Par exemple, au Royaume-Uni, où les dispositions sont plus strictes que dans le reste de l’Europe, nous avons affiché dans notre magasin une information sur laquelle nous attirons l’attention des clients sur les dispositions légales locales.»
Depuis le «Prevention of Crime act» de 1953, la Grande-Bretagne a durci à plusieurs reprises sa loi sur les armes. Dans de nombreux endroits, le port de couteaux est aujourd’hui interdit de facto, ou des conditions spéciales sont imposées. Le port n’est ainsi autorisé que dans une boîte à hameçons de pêche ou dans le coffre d’une voiture.
L’Espagne ou les Pays-Bas ont également des lois plutôt restrictives en la matière. Dans l’UE, une grande partie des États autorisent les couteaux dont la lame mesure entre 7 et 7,5 centimètres, mais exigent qu’ils ne puissent pas être ouverts d’une seule main et qu’ils ne puissent pas être bloqués. Toutefois, la réglementation n’est pas uniforme.
Victorinox reconnaît qu’il est difficile de garder un œil sur la situation juridique sur tous les marchés, qui change parfois à court terme. Le fabricant renvoie donc aux autorités locales.
«Nous ne pouvons pas édicter de règles juridiques contraignantes», souligne Victorinox. Le fabricant a ainsi convenu par contrat avec les partenaires de distribution qu’ils ne peuvent distribuer les couteaux que conformément à la loi.
Dans le développement des produits, l’accent serait mis sur la compréhension du couteau de poche comme outil multifonctionnel pour le quotidien. «Par définition, la plupart de nos modèles ne sont pas considérés comme des objets dangereux sur la plupart des marchés. Pour certains modèles plus grands, des solutions techniques ont été développées de manière à ce qu’ils puissent être adaptés aux exigences légales, par exemple pour les modèles qui peuvent s’ouvrir d’une seule main», précise encore l’entreprise.
Mais le fabricant n’est manifestement pas tout à fait à l’aise avec ce sujet, qui comporte également des risques économiques considérables. Dès l’année prochaine, Victorinox veut créer un poste de responsable de la conformité afin de suivre de plus près les règlements et les risques.
Une question d’honneur
Concernant la condamnation au Japon, l’entreprise écrit: Victorinox sait que «le Japon applique des règles particulièrement strictes». Cependant, il existe une certaine marge d’appréciation dans leur interprétation. «Cela signifie que la situation est évaluée en fonction des circonstances.»
Le Japonais condamné espère lui aussi bénéficier de cette marge d’appréciation. Bien que sa sanction ne corresponde qu’à une amende de stationnement, il veut faire appel, comme l’explique son avocat Toshiaki Takae à swissinfo.ch. Pour son client, il s’agit de défendre son honneur.
Adaptation de l’allemand: Katy Romy
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