L’économie suisse fait les yeux doux à l’Iran
Les signaux positifs envoyés dans le cadre des négociations sur le nucléaire iranien rendent le pays des mollahs à nouveau attrayant aux yeux des investisseurs occidentaux. La Suisse se prépare elle aussi en vue de la fin annoncée de l’embargo. Les contacts avec les représentants de la République islamique se multiplient.
«Depuis six mois, les représentants européens se bousculent en Iran», affirme Suhail el Obeid, spécialiste du Moyen-Orient auprès de l’organisme de promotion économique Switzerland Global Enterprise (S-GE). Cet intérêt des entreprises pour le marché iranien a été relancé en début d’année. A la suite des négociations de novembre 2013 à Genève entre l’Iran et les puissances disposant du droit de veto au Conseil de sécurité de l’ONU – Russie, Etats-Unis, France, Grande-Bretagne, Chine et Allemagne (groupe 5+1) -, l’Union européenne et la Suisse ont déjà suspendu les sanctions concernant certains produits et services destinés à l’Iran.
Fin avril, trois députés et deux ex-députés de l’Union démocratique du centre (UDC / droite conservatrice) en voyage «privé» ont dû faire l’expérience de l’intérêt des médias iraniens pour les délégations occidentales.
Selon leurs affirmations, ils se sont rendus en Iran pour déterminer si les entreprises américaines respectaient les sanctions, ou si au contraire la Suisse souffrait injustement de cet embargo. Dans le cadre des entretiens qui ont eu lieu sur place, le député Luzi Stamm a critiqué les sanctions imposées à l’Iran. Des sanctions qui sont également suivies par la Suisse.
Père de l’initiative «anti-minarets» acceptée par le peuple suisse en 2009, Ulrich Schlüer s’est lui aussi laissé courtiser par le régime iranien. Les politiciens suisses ont été photographiés par les médias iraniens à l’occasion d’une poignée de main avec le président de la Commission des affaires étrangères du parlement iranien. Les images et les textes diffusés par les médias ont laissé entendre qu’il s’agissait d’une délégation parlementaire officielle, provoquant en Suisse un débat sur le bien-fondé des voyages parlementaires privés.
«En règle générale, plusieurs délégations étrangères se rendent simultanément à Téhéran», explique Suhail el Obeid. L’objectif est d’être prêts «dès que les sanctions seront levées», souligne le représentant de S-GE. «Les entreprises veulent savoir s’il y a des débouchés pour leurs produits ou leurs services. Pour les PME, il est très important de trouver des partenaires, des grossistes et des clients spécifiques et de mener des discussions d’affaires».
Beaucoup d’attentes
La levée des sanctions contre l’Iran dépendra du succès ou non des négociations sur le nucléaire. Des représentants du groupe 5+1 sont réunis ces jours à Vienne dans le but de parvenir à un accord d’ici au 20 juillet. Le point central de l’accord signé en novembre à Genève repose sur la poursuite des négociations au mois de juin, résume Philippe Welti, président de la toute nouvelle «Chambre de commerce Suisse-Iran».
L’ancien ambassadeur de Suisse en Iran connaît bien la République islamique, et il dispose également d’un solide réseau au sein de l’économie suisse. «La Chambre de commerce prépare le terrain dans le but d’améliorer les contacts directs entre l’économie suisse et les clients iraniens», affirme-t-il.
Les signaux envoyés dans le cadre des négociations sur le nucléaire iranien ont soulevé de nombreuses attentes quant à de «de probables changements rapides», affirme Philippe Welti. Si l’Iran apparaît comme un eldorado aux yeux de l’économie, c’est en raison de ses énormes réserves de gaz et de pétrole mais aussi du retard pris dans ses infrastructures technologiques de pointe. «L’élément central réside dans l’amélioration de l’exploitation et du traitement des ressources gazières et pétrolières. Ce qui manque à l’Iran, c’est la technologie, tant du point de vue quantitatif que qualitatif, qui lui permettra d’optimiser ses énormes gisements pétroliers».
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La Suisse bien placée
L’économie suisse a de bonnes chances de s’imposer avec succès sur ce marché lucratif, estime Philippe Welti. Elle fait partie des plus performantes du monde en ce qui concerne certains produits de niche. «L’industrie automobile en Iran représente un immense marché. En Suisse, il y a de nombreux petits sous-traitants dont les noms sont peu connus du grand public mais qui détiennent près de 90% du marché mondial de certains composants automobiles».
Pour ces sociétés hautement spécialisées, le potentiel apparaît énorme en Iran. «On peut citer par exemple les compresseurs à piston, qui sont très utilisés en Iran. La société de Winterthour Burkhardt Compression est leader mondial dans ce domaine», relève Philippe Welti. Quant à la fiabilité des partenaires économiques dans un pays qui occupe une peu enviable 144e place sur 177 en matière de corruption, l’ex-ambassadeur affirme: «Le gouvernement iranien peut démontrer qu’il est un partenaire fiable en signant des contrats prévoyant par exemple des paiements anticipés pour certains produits qui sont importants pour le pays».
Reste que l’économie iranienne ne fonctionne pas selon les principes occidentaux. «Dans le cas d’un conflit juridique avec un débiteur iranien, vous ne pouvez pas vous attendre à être traité sur un pied d’égalité par la justice», reconnaît Philippe Welti.
Shakib Mohammad-Gou, un Iranien qui a grandi en Allemagne, exploite un service d’information en ligne sous le nom de Swiss-Persian.ch. Selon lui, le montant des échanges entre la Suisse et l’Iran serait bien plus important que celui avancé par le SECO. Il se monterait à 1,7 milliard d’euros, affirme-t-il en se basant sur les chiffres des services de douane iraniens.
Selon Shakib Mohammad-Gou, le marché iranien est également intéressant pour des entreprises suisses telles que Nestlé, Novartis, Roche, ABB et les banques UBS et Credit Suisse. Officiellement du moins, ces entreprises auraient réduit leurs activités en Iran. Mais elles jouiraient d’une bonne réputation et d’un solide réseau au sein de la République islamique.
Une partie des échanges commerciaux avec l’UE, qui ont été réduits après les sanctions prononcées par Bruxelles, transiteraient par la Suisse. La Suisse agit de manière «pragmatique» dans la mise en œuvre des sanctions «lorsque cela concerne des marchandises qui ne sont pas directement liées au programme nucléaire ou à la construction de nouvelles installations gazières ou pétrolières», affirme Shakib Mohammad-God
Comment payer?
Théoriquement, l’exportation de nombreux produits vers l’Iran n’a jamais été interdite. Mais pour ne pas froisser les Etats-Unis, beaucoup d’entreprises ont décidé de leur propre chef de ne plus commercer avec ce pays. «Par ailleurs, en raison des sanctions internationales, elles doivent se soumettre à une chaîne d’autorisations complexe», affirme Philippe Welti. Qui relève toutefois que «le plus grand problème reste toujours le trafic des paiements».
L’Iran est exclu du système bancaire international Swift (Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication). Un paiement juridiquement sécurisé par-delà les frontières nationales n’est pratiquement possible que via Swift. Les alternatives sont compliquées et coûteuses. «Les Etats-Unis ont un contrôle sur pratiquement chaque dollar qui est échangé dans le monde», avance Philippe Welti.
Les réserves émises par la SERV, l’assurance suisse contre les risques à l’exportation, montrent à quel point il est difficile de faire des affaires avec l’Etat iranien. La SERV est «actuellement disposée à examiner des demandes de couverture pour l’Iran, pour autant que l’exportateur puisse proposer un mode de paiement acceptable aux yeux de la SERV», explique le Secrétariat d’Etat à l’économie (SECO) à swissinfo.ch.
«En dépit de l’assouplissement des sanctions par le Conseil fédéral, la SERV n’a toutefois pu traiter aucune demande de couverture car les modes de paiement n’ont pas encore été établis», poursuit le SECO. Malgré un intérêt marqué, le commerce entre la Suisse et l’Iran ne décolle pas (encore). Durant les quatre premiers mois de 2014, les exportations ont augmenté de 12,8% par rapport à la même période de l’an dernier, pour atteindre 99,3 millions de francs. Les importations ont connu une hausse de 11,2% pour s’établir à 12,8 millions de francs. En raison de la courte période concernée, le SECO n’est pas en mesure de dire si ce phénomène s’explique par un assouplissement sélectif des sanctions ou simplement par des fluctuations naturelles.
En 2008, la Suisse a signé un contrat de livraison de gaz avec l’Iran, en présence de Micheline Calmy-Rey, alors ministre des Affaires étrangères. Le contrat a suscité une vive polémique en Suisse, en raison notamment du foulard porté par Micheline Calmy-Rey à cette occasion. Le contrat a été suspendu peu après, dans la foulée des sanctions prises par la communauté internationale.
Ni le Département fédéral des Affaires étrangères ni AXPO Trading SA, qui avait conclu le contrat sous le nom d’EGL, ne souhaitent s’exprimer sur d’éventuels efforts entrepris pour relancer le contrat. «La situation géopolitique actuelle ne permet pas de livraisons de gaz depuis l’Iran», écrit Axpo. Elle dit s’appuyer à l’heure actuelle sur le «TAP (Trans Adriatic Pipeline) pour l’approvisionnement en gaz depuis l’Azerbaïdjan».
OMV, la plus grande société industrielle autrichienne, avait également signé à l’époque un accord de livraison de gaz avec l’Iran. Selon plusieurs médias, des rencontres entre des représentants d’OMV et du ministère iranien du pétrole ont eu lieu ces derniers jours.
Prudence avec les médias iraniens
Le regain d’intérêt de l’Occident pour l’économie iranienne est bien perçu dans ce pays, et les médias nationaux s’en font volontiers l’écho. Les sources sur lesquelles reposent les informations sont cependant parfois mystérieuses.
«Le fabricant de vélos électriques Biketec est prêt à investir en Iran», rapportait récemment la radio officielle iranienne (IRIB) sur son site internet, qui diffuse des informations en plusieurs langues, dont l’allemand et le français.
Un membre du Conseil d’administration de l’entreprise suisse se serait déclaré prêt à construire des ateliers de production et d’assemblage sur l’île iranienne de Kish. Chez Biketec, on ne sait pas d’où tombe cette nouvelle. «Nous n’avons aucunement l’intention d’étendre nos activités à l’Iran», communique l’entreprise.
(Traduction de l’allemand: Samuel Jaberg)
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