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L’accueil helvétique n’est plus aussi chaleureux

Le canton de Zoug a connu un développement rapide grâce à l'arrivée de nombreuses multinationales. Keystone

La Suisse a fait de l’implantation de multinationales sur son territoire une véritable «industrie». Mais ce modèle d’affaires est aujourd’hui menacé par les exigences de l’UE et par l’hostilité croissante qu’elles suscitent à l’interne.

«Nos concurrents se montrent très agressifs pour attirer des entreprises au moyen de régimes fiscaux avantageux, de cadeaux de bienvenue et de locaux subventionnés, a expliqué Rudolf Wehrli, le président d’economiesuisse, à swissinfo.ch. Nos excellentes conditions-cadres pourraient bientôt ne plus faire le poids face aux avantages offerts par d’autres aux investisseurs.»

Mais le plus grand défi pour la Suisse, si elle veut maintenir son attractivité envers les sociétés étrangères, a trait à la révision de l’imposition des entreprises, réclamée par l’Union européenne (UE). Celle-ci exige que les cantons suppriment les allégements fiscaux «discriminatoires» concédés aux groupes étrangers sur les recettes qu’ils réalisent à l’international et les imposent au même taux que les bénéfices domestiques.

Constatant que le nombre de firmes qui choisissent de s’établir en Suisse a commencé à chuter, economiesuisse a décidé de procéder à un examen sans fard de la situation lors de son assemblée annuelle, tenue en août à Lausanne. Les résultats montrent une réalité peu grisante.

Les changements prévus au niveau du régime fiscal des cantons représentent la principale source d’inquiétude. Le gouvernement s’est résigné à imposer ces réformes pour mettre en veille les critiques de l’UE, mais il ne s’est pas encore mis d’accord sur un mandat de négociation.

Le nombre de firmes étrangères qui ont décidé de s’implanter en Suisse ou d’y procéder à des investissements substantiels est passé de 124 à 61 entre 2007 et 2012, selon une étude annuelle effectuée par Ernst & Young.

Les nouveaux emplois attribuables à des investissements étrangers ont pour leur part chuté de 40% l’an dernier, a indiqué en septembre à la Neue Zürcher Zeitung (NZZ) la Conférence des directeurs cantonaux des finances. De plus, le nombre de banques étrangères possédant une présence physique sur sol helvétique a atteint 129 fin mai 2013, contre 145 début 2012.

Avantage sous pression

Une première ébauche de ce dernier, adopté par les autorités en octobre, prévoit d’y inclure une clause qui garantit des pourparlers sur un meilleur accès au marché européen pour les institutions financières helvétiques. Mais l’UE a déjà fait savoir à plusieurs reprises qu’elle était opposée à de telles négociations duales.

En outre, la Suisse exigeante que l’UE retire ses menaces de représailles telles que des tarifs commerciaux pénalisant les marchandises suisses avant l’ouverture des négociations.

«Notre régime fiscal avantageux représente l’un des piliers de base de notre compétititvié, explique Rudolf Wehrli. Or il est actuellement sous pression, et cela pourrait devenir très grave, très rapidement.»

En tardant à formuler des contre-propositions face aux demandes de révision fiscale européennes, la Suisse crée de l’incertitude pour les entreprises étrangères qui aiment planifier sur le long terme. Des pays rivaux pourraient profiter de ce trou noir décisionnel pour ravir des multinationales – et leurs recettes fiscales – à la Suisse, craint Rudolf Wehrli.

«La compétitivité ne tombe pas du ciel, souligne-t-il. Et une fois qu’on l’a cultivée, il faut en prendre soin si on veut la préserver.» Il cite notamment le coût des salaires et des espaces de bureau, plus élevés qu’ailleurs.

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Ras-le-bol citoyen

Mais la Suisse conserve de nombreux atouts en tant que place économique: un réseau de transports de qualité, de nombreux instituts de recherche et de formation, une force de travail hautement qualifiée et multilingue, un emplacement au centre de l’Europe et l’une des économies les plus solides du continent, adossée à un système financier sophistiqué.

Cela dit, l’accueil n’est plus aussi chaleureux pour les multinationales, dont la réputation a pris un coup auprès du public helvétique. Exaspérés par les autoroutes bouchonnées, les trains encombrés et les prix des maisons qui atteignent des niveaux stratosphériques, de plus en plus de citoyens pointent du doigt les firmes étrangères et leurs employés internationaux.

Ce ras-le-bol est particulièrement évident si on se penche sur les résultats des initiatives populaires et des référendums récents, l’un des meilleurs baromètres de l’état d’esprit des Suisses. En début d’année, la population a approuvé l’initiative «Minder», qui visait à plafonner les salaires des chefs d’entreprise. Un autre texte a été rejeté fin novembre, qui proposait de plafonner le salaire le plus élevé au sein d’une entreprise à douze fois la rémunération la plus basse.

Plus de 6500 firmes étrangères ont choisi de s’installer en Suisse, y implantant un siège régional, un centre de recherche et de développement ou des services administratifs. Les multinationales emploient 430’000 personnes en Suisse, soit 11% des emplois, selon economiesuisse. Elles ont engendré deux tiers de la croissance qu’a connu le pays durant la dernière décennie et ont généré des investissements cumulés de 650 milliards de francs suisses.

Leur importance varie selon les cantons: Zoug, Genève et Vaud en ont attiré le plus. La chambre de commerce américano-suisse a calculé que ces firmes représentaient 43% du PIB genevois et 41% du PIB vaudois. Elles ont généré deux tiers des nouveaux emplois entre 2000 et 2010 dans ces deux cantons.

Les villes et communes helvétiques pourraient perdre CHF 1,5 milliard de revenus annuellement si les allégements fiscaux concédés aux sociétés étrangères étaient abandonnés au profit d’une baisse généralisée du taux d’imposition des entreprises, a mis en garde en août l’Union des villes suisses.

Voyants à l’orange

D’autres initiatives, sur lesquelles le peuple se prononcera ces deux prochaines années, prévoient de durcir les règles sur l’impôt à la succession et de restreindre le nombre d’étrangers qui peuvent vivre et travailler en Suisse. S’en prendre aux sociétés internationales et aux individus aisés est devenu un remède prisé pour lutter contre la gueule de bois héritée de la récente crise financière.

Certains cantons ont supprimé ou limité les forfaits fiscaux octroyés aux riches étrangers qui ont choisi de s’installer en Suisse, ce qui a forcé le gouvernement à restreindre la pratique sur le plan national également. «Partout où je vais, les multinationales me demandent sans cesse si la Suisse représente toujours un environnement chaleureux pour les affaires, parce qu’elles ne se sentent pas très appréciées actuellement», fait remarquer à swissinfo.ch Martin Naville, le directeur général de Chambre de commerce américano-suisse.

«On n’assiste pas encore à un exode massif de firmes étrangères, mais les risques sont énormes pour la Suisse, poursuit-il. Ces deux à trois prochaines années, elle devra affronter beaucoup de questions importantes, qui ne pourront pas être traitées à la légère.»

«Les voyants en sont pas encore au rouge sur le front des multinationales, mais ils sont clairement à l’orange», conclut-il.

(Traduction de l’anglais: Julie Zaugg)

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