La Suisse va «fortement s’opposer» à la révolution robotique
Les effets de la mondialisation, de l'intelligence artificielle et de l'automatisation sur l'emploi et les communautés risquent de s'accentuer au fil des avancées des technologies. La Suisse fera de la résistance, selon un expert genevois.
C’est une prédiction faite par Richard BaldwinLien externe, professeur d’économie au Graduate institute (HEIDLien externe) de Genève, lors d’une récente conférence – Future of Work – co-organisée par l’institut et le magazine The Economist.
«Je m’inquiète beaucoup d’une réaction populiste dans les années à venir», a lancé le professeur au public.
Les machines apprennent des tâches de plus en plus complexes sur le lieu de travail, comme la traduction de textes ou le diagnostic de maladies. Les robots deviennent capables de travaux manuels qui étaient auparavant effectués par l’homme.
Richard Baldwin relève que le rythme de l’automatisation est incroyable, mais que la plupart des gens sont dans le déni ou ne connaissent pas son impact: «Dans trois à cinq ans, nous verrons au moins 10% des emplois supprimés sans remplacement clair. Ce sera très perturbateur. Nous risquons d’assister à un ouragan politique.»
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— CEPR (@cepr_org) 6 novembre 2017Lien externe
Un avenir incertain
Richard Baldwin s’attend à des réactions au moins aussi fortes que celles contre le service de covoiturage Uber et le service de location d’appartement Airbnb: «Quand un nombre suffisant de personnes réalisera que c’est seulement la technologie et non les étrangers qui prennent un emploi, nous verrons une réaction plus large contre elle.»
Des études récentes ont fait naître des inquiétudes sur la montée en puissance des robots. Les économistes de l’Université d’Oxford, Carl Frey et Michael Osborne, ont estimé dans un articleLien externe largement cité en 2013 que 47% des emplois aux États-Unis sont menacés par les ordinateurs.
En revanche, un rapportLien externe publié l’an dernier par l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a révélé qu’en moyenne 9 % des emplois pouvaient être automatisés dans 21 pays membres, à l’exception de la Suisse.
Et d’autres économistes affirment que l’impact sera beaucoup moins dramatique. Certains disent que l’expansion de l’automatisation devrait également générer ses propres emplois, compensant certains de ceux qui sont éliminés.
Le McKinsey Global Institute estimeLien externe, lui, que seul 5% des professions peuvent être entièrement automatisées à l’aide de la technologie existante. Au lieu de détruire des emplois ou de créer des métiers entièrement nouveaux, ce centre estime que l’intelligence artificielle et l’automatisation changeront simplement les activités des travailleurs.
Impact sur la Suisse
Mais Richard Baldwin prévoit, lui, des bouleversements importants sur le marché du travail en raison de l’automatisation. Selon le professeur, les estimations actuelles de l’impact sur les emplois vont de «très important à effrayant».
Il estime qu’environ la moitié des tâches professionnelles actuelles seront effectuées par des algorithmes, ce qui «ne conduira peut-être pas à une réduction de l’effectif de 50%, mais elle sera importante. »
Alors comment la Suisse peut-elle être touchée par les transformations technologiques et ses impacts pour l’emploi?
La structure unique de la Suisse, composée d’un petit nombre d’entreprises concurrentielles à l’échelle internationale et d’un grand nombre de secteurs protégés, est un atout, selon Richard Baldwin: «Alors que ces emplois protégés commencent à être perturbés par les télétravailleurs ou par l’intelligence artificielle, [les Suisses] s’en iront. Je m’attends à ce que certains cantons et villes vont essayer de l’interdire. Dans certains cas, ils réussiront, dans d’autres non.»
En fin de compte, il pense que le pays va «fortement s’opposer» à ces changements technologiques.
Le secteur bancaire suisse pourrait, lui, rester à l’abri de la tempête technologique. Car, comme le souligne Richard Baldwin, les exigences en matière de données dans le secteur bancaire sont si strictes qu’il est difficile de les externaliser ou d’envoyer des emplois traitant de données sensibles au-delà des frontières.
Comment s’adapter ?
Dans un contexte de bouleversement technologique continu, les individus doivent réfléchir sérieusement aux compétences qui échappent aux ordinateurs et qui permettent de s’adapter aux défis posés par la technologie et l’automatisation dans le travail.
«Qu’est-ce que les télé-robots ne peuvent pas faire?», s’est interrogé le conférencier. Et ce avant de répondre que les gens devaient envisager de développer des compétences telles que «travailler avec l’inconnu, faire preuve d’empathie et établir des liens.»
Pour éviter la concurrence avec les télétravailleurs, il est essentiel de renforcer l’importance des contacts face à face, de la communication non verbale, du travail d’équipe et de la confiance, a-t-il ajouté.
«A l’avenir, nous aurons des travailleurs à distance, de l’intelligence artificielle et des gens sur place qui géreront rapidement les équipes et les déplaceront. Il sera extrêmement important que ces personnes soient réellement présentes sur le lieu de travail», estime Richard Baldwin.
Traduit de l’anglais par Frédéric Burnand
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