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L’Italie vit «une césure historique»

Le chapitre le plus difficile s'ouvre maintenant pour Giorgia Meloni: essayer de ne pas décevoir ceux qui l'ont élue. Keystone / Alessandro Garofalo

Les élections italiennes trouvent un large écho dans la presse suisse, qui s'interroge sur le vrai visage de Giorgia Meloni, présidente du parti néo-fasciste Fratelli d'Italia.

«Cent ans après la marche sur Rome de Mussolini, les Italiens et les Italiennes flirtent-ils encore avec le fascisme? Y a-t-il un risque qu’un nouveau régime autoritaire déstabilise l’ensemble de l’Europe?»

La question que se pose la Neue Zürcher ZeitungLien externe est certainement partagée par beaucoup d’observateurs et observatrices à l’étranger, qui se demandent à quoi ressemblera une Italie dirigée par un parti aux racines néo-fascistes. Toutefois, pour le journal zurichois d’orientation libérale, la réponse est claire: Giorgia Meloni et ses alliés «ne feront pas de l’Italie une nouvelle dictature fasciste; aujourd’hui, le pays est très différent de ce qu’il était dans les années 1920, ses structures démocratiques sont consolidées et l’Italie, en termes politiques et économiques, est fortement intégrée à l’Europe».

Parmi les quelque 140’000 électrices et électeurs italien-nes et résidant en Suisse qui ont pris part au vote, 36,8% (pour le Sénat) et 36,7% (pour la Chambre des députés) ont opté pour la liste de la coalition de droite formée par la Lega, Forza Italia et Fratelli d’Italia.

La coalition de gauche s’est arrêtée à 36,4% (Sénat) et 30% (Chambre), selon les données du ministère de l’Intérieur.

Plus détaché, le Mouvement 5 étoiles a atteint 10,3 %, tandis que les autres listes n’ont pas dépassé 10 %.

Depuis 2006, date de l’entrée en vigueur de la circonscription à l’étranger, c’est la première fois que l’électorat italien résidant en Suisse vote majoritairement pour la droite.

Selon la NZZ, Giorgia Meloni et son parti ont surtout su tirer parti de la grande volatilité du comportement de l’électorat qui s’est manifestée surtout au cours de la dernière décennie: le peuple italien l’a élue «non pas en raison de ses racines fascistes, mais pour protester contre ceux qui ont gouverné jusqu’à présent».

Le peuple italien l’a élue «non pas en raison de ses racines fascistes, mais pour protester contre ceux qui ont gouverné jusqu’à présent».

Cette extrême volatilité – dont ont déjà souffert par le passé le Parti démocrate et, pour ces élections, la Ligue et le Mouvement 5 étoiles – pèse désormais comme une épée de Damoclès sur Giorgia Meloni également, note le journal zurichois. Lors de la campagne électorale, les promesses, même les plus irréalistes, ont été faites. «Mais maintenant, elle devra gouverner dans un environnement économique difficile et prendre des décisions impopulaires. En raison de la guerre en Ukraine, l’Italie est déjà confrontée à la prochaine récession. Ses partisans et ses partisanes, qui appartiennent pour la plupart aux classes moyennes et inférieures, seront les premiers à souffrir de la hausse des prix de l’énergie. Le désenchantement menace donc aussi Giorgia Meloni.»

Les journaux romands 24 HeuresLien externe et la Tribune de GenèveLien externe proposent pour leur part une analyse du politologue Dominique Reynié, intitulée «Les populismes de droite deviennent incontournables en Europe»,  dans laquelle l’expert établit un parallèle entre le résultat du parti de Giorgia Meloni en Italie et celui de l’extrême droite en Suède.

«En réalité, les électeurs se sentent contraints de voter pour eux parce que les partis de gouvernement n’admettent pas la légitimité de certaines préoccupations: la régulation des flux migratoires, l’intégration, les problèmes de sécurité. Si le vote Meloni est confirmé, le message principal restera celui-là et celui de la défense d’une sorte de patrimoine immatériel: le style de vie italien. Pas les fondements d’une pensée d’extrême droite», analyse Dominique Reynié.

Jamais autant à droite

Pour les journaux du groupe Tamedia, l’Italie vit «une césure historique»: depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Parlement n’a jamais été aussi à droite qu’il ne le sera à l’avenir.

Une césure – poursuit le commentaireLien externe – qui aura également des répercussions à Bruxelles, «car jamais dans l’histoire de l’Union européenne un grand pays fondateur n’a eu un gouvernement d’extrême droite».

«Les relations avec Bruxelles vont se refroidir», note pour sa part la NZZ. «Mais comme l’Italie, lourdement endettée, dépend des milliards du fonds de reconstruction de l’UE, il y a peu de place pour de graves provocations anti-européennes ou des péripéties budgétaires. Et compte tenu des promesses «irréalistes» faites lors de la campagne électorale, «ce sera le principal problème de Giorgia Meloni».

>> Le sujet de la RTS sur les élections:

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Qui est Giorgia Meloni?

La presse suisse se demande également quel est le vrai visage de Giorgia Meloni. «Est-ce le visage modéré, presque pro-européen, montré au cours de la première phase de la campagne électorale? Ou s’agit-il de la politicienne nationaliste irascible, maniant de nombreuses théories du complot, telle que les Italiens l’ont connue ces dernières années?», s’interrogent les journaux du groupe Tamedia.

Il faudra sans doute attendre les prochains mois pour y voir plus clair mais, pour Blick, il n’y a aucun doute: «Ne nous voilons pas la face! Giorgia Meloni est la cheffe d’un mouvement néo-fasciste. Parmi ses partisans, on trouve également des néonazis violents, dont elle ne se distancie qu’à moitié.»

Le politologue Dominique Reynié est plus circonspect. Giorgia Meloni et son parti puisent leurs racines au sein de la mouvance d’extrême droite. «Toutefois, cela ne signifie pas qu’elle en soit toujours là aujourd’hui. Son programme est un programme de droite pro-européenne, pro-atlantiste et conservatrice.»

«Nous sommes dans une nouvelle phase de l’histoire de ces populismes, qui exercent désormais une pression très forte sur les systèmes politiques nationaux, au point de devenir des pièces d’une coalition de gouvernement», poursuit Dominique Reynié.

L’impact sur la guerre

Dans une autre analyseLien externe, la NZZ aborde une autre question d’importance primordiale liée au résultat des élections italiennes: le front européen et atlantiste sera-t-il capable de maintenir l’unité qui l’a caractérisé jusqu’à présent afin de faire bloc avec l’Ukraine contre la Russie?

Malgré les assurances données jusqu’à présent par Giorgia Meloni, qui s’est toujours déclarée pro-atlantiste, la NZZ en doute: «Les élections italiennes sont une bénédiction pour la Russie», titre le journal.

Selon l’auteur de l’éditorial, contrairement au président de la Ligue Matteo Salvini et à celui de Forza Italia Silvio Berlusconi, Giorgia Meloni «est plus difficile à lire pour Moscou» et ses déclarations pro-OTAN n’ont pas plu à la Russie. Dans le même temps, cependant, le Kremlin «peut espérer que Giorgia Meloni soumettra l’UE à un test de résistance dans le cas où elle deviendrait effectivement Première ministre». La cheffe de Fratelli d’Italia est probablement atlantiste, mais pas très européenne au sens «traditionnel» du terme. «Son regard est davantage tourné vers la Hongrie que vers Paris, Berlin ou Bruxelles. Cela implique un potentiel de conflit».

La Russie, poursuit l’article, a donc «de bonnes chances de voir l’Italie redevenir ce que Winston Churchill appelait le ‘ventre mou’ de l’Europe, et donc une porte d’entrée pour les milieux mal disposés à l’égard du Vieux Continent. Il ne semble pas que la classe dirigeante italienne en soit vraiment consciente».

Traduit de l’italien par Katy Romy

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