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L’ultime révérence au sauveur de l’horlogerie suisse

Nicolas Hayek, icône de l'industrie suisse, n'est plus. Keystone

La presse suisse de mardi rend un hommage appuyé à Nicolas Hayek, décédé lundi d’une crise cardiaque dans sa 83e année. Entrepreneur hors du commun, l'homme au cigare restera dans l’histoire comme le sauveur de l’industrie horlogère suisse au début des années 80.

Hommages émus mais contenus, tout d’abord. Celle d’une région industrielle et laborieuse qui perd sa figure patriarcale. «Le cœur de l’horlogerie suisse a arrêté de battre hier soir, à l’annonce de la mort de Nicolas Hayek», écrit l’éditorialiste du Quotidien jurassien de Delémont.

«Avec son décès, ce n’est pas seulement le Swatch Group qui est en deuil aujourd’hui, mais l’ensemble de l’industrie horlogère suisse, elle qui lui doit, ni plus ni moins, que sa survie», souligne Philippe Oudot dans le Journal du Jura de Bienne.

Un sentiment partagé par L’Express de Neuchâtel: «Même si certains évoquent son ego surdimensionné, voire un brin de roublardise, personne ne peut nier que sans Nicolas Hayek, la Suisse n’aurait sans doute plus d’industrie horlogère. Le canton de Neuchâtel et tout l’Arc jurassien lui doivent une vraie reconnaissance.»

A Bienne, cœur de l’empire Swatch, le maire Hans Stöckli est sous le choc: «C’est un jour très triste pour notre ville. Il laisse un vide énorme. Il nous a apporté une aide précieuse, notamment lors d’Expo.02, mais aussi pour nous aider à attirer des entreprises», déclare-t-il dans les colonnes du Journal du Jura.

Son pendant alémanique, le Bieler Tagblatt, s’affiche en deuil à la Une. Sous le titre «Son œuvre continue de vivre», la photo de Nicolas Hayek, encadrée, est barrée d’un ruban noir de circonstance. «Nicolas G.Hayek est mort. Le sauveur de l’industrie suisse est décédé de manière inattendue durant son activité préférée – le travail», écrit le journal biennois en introduction à une longue biographie.

Un pionnier visionnaire

Au-delà de l’Arc jurassien, c’est toute la presse suisse qui rend hommage à Nicolas Hayek mardi. Les mots «pionnier» et «visionnaire» sont les plus utilisés par les éditorialistes. Pour la Neue Zürcher Zeitung, la Suisse perd avec Nicolas Hayek un véritable entrepreneur et «Patron» (en français dans le texte). Tous rappellent à quel point son sort est intimement lié au renouveau de l’horlogerie suisse au début des années 80.

Lorsqu’il se penche au chevet de cette industrie moribonde, souligne Le Temps, «les banquiers songent à sortir par la petite porte car les dettes et les échecs commerciaux font chavirer un paquebot industriel qui prend l’eau de toutes parts». Et le Tages Anzeiger de Zurich de rappeler que la crise horlogère des années 80 a été pour la Suisse «un choc aussi important que la passage d’UBS dans le couloir de la mort en 2008»

«En lançant la Swatch, dont personne ne peut lui ôter la paternité commerciale, le redresseur de l’horlogerie suisse refuse de croire que sa patrie de choix ne peut pas produire en masse, ni innover de manière compétitive», écrit 24heures de Lausanne. «Sa force a été de mettre de l’émotion et du rêve, dans un produit qui ne servait qu’à donner l’heure», selon L’Express.

Le luxe suisse

Mais bien plus que cette montre en plastique qui fera sa renommée, Nicolas Hayek a remis toute l’industrie horlogère sur les rails. «Il renoue avec la tradition mécanique, rétablit la suprématie d’Omega, fait renaître de ses cendres Breguet, réinvestit dans les usines, ouvre des boutiques prestigieuses. Les défaites horlogères sont vite oubliées. La conquête du monde a repris. Elle ne s’arrêtera pas», peut-on lire dans Le Temps.

«En fait, l’audace et le travail acharné de Hayek transcendent largement l’histoire du Swiss made horloger. Ils sont véritablement à l’origine d’une association d’idée à priori difficile, mais qui s’est imposée dans le monde en deux décennies: Suisse et luxe», complète le quotidien économique L’Agefi.

Loué pour sa vision entrepreneuriale exceptionnelle, proche du politique, Nicolas Hayek n’hésitait pas à fustiger ce monde de la finance dont il se méfiait tant. «Attaché à l’activité économique, par opposition au pur intérêt financier, il a mené la fronde contre UBS en dénonçant la démesure des banquiers. Il s’était aussi attaqué à la Banque nationale suisse (BNS), lui reprochant de favoriser un franc trop fort à son goût», explique Le Matin.

«Convaincu de la primauté de l’industriel et de l’artisanat sur la finance, excédé par un système boursier dont il tire pourtant nombre de ficelles, ce volcan en fusion connaît aussi quelques échecs «la Swatchmobile, fameuse désillusion, scories d’un parcours hors du commun», rappelle toutefois 24heures.

Un personnage hors normes

Le parcours exceptionnel du jeune Nicolas Georges Hayek, né le 19 février 1928 à Beyrouth d’un père dentiste libano-américain et d’une mère libanaise – Tribune de Genève – et émigré en Suisse en 1949 ne serait rien sans cette part humaine que les gazettes de mardi se plaisent également à décrypter. Le Temps cite ainsi une des devises favorites de l’homme au cigare et aux deux montres accrochés à chaque poignet: «Si tu envoies un âne au conservatoire de Salzbourg, tu n’en feras pas un Mozart. Si tu envoies un chameau à Harvard, tu n’en feras pas un Henry Ford».

«Ceux qui travaillaient avec Nicolas Hayek aimaient leur capitaine parce qu’il dirigeait le navire horloger d’une main de maître, écrit l’éditorialiste du Matin. Mais ils retiendront surtout son ton paternaliste. Rencontrer Nicolas G.Hayek, c’était un bonheur simple, parce qu’il n’accordait aucune valeur à l’apparence».

«Malgré les apparences, il refuse les courtisans, les faux culs, les flatteurs et autres conventionnels», ajoute 24heures. Le Temps met quant à lui en évidence la détermination avec laquelle le patron du Swatch Group gérait ses affaires. «Il vous regardait alors dans les yeux et l’histoire qu’il vous racontait devenait si belle, si vraie, si crédible que le doute disparaissait aussitôt».

Mais le personnage avait aussi ses faces plus sombres. «Il pouvait aussi être odieux, raconte Jean-Claude Péclet dans Le Temps. Je l’ai vu dans son bureau faire le pitre ou le geignard devant des journalistes, dont j’étais, tandis qu’il laissait poireauter au bout du fil le maire de Bienne et s’en moquait par des mimiques expressives» .

En guise de conclusion, Thierry Meyer interpelle ses lecteurs dans 24heures: «Vous, moi qui vivons dans une Suisse prospère, le devons aussi un peu, beaucoup, à Nicolas Hayek.»

Samuel Jaberg, swissinfo.ch

Ambassadeur. Avec le décès de Nicolas Hayek, la Suisse perd l’une des figures marquantes de sa place industrielle. Le président de Swatch Group constituait un ambassadeur représentant un certain modèle d’entrepreneur attaché à l’activité économique par opposition au pur intérêt financier.

Innovateur. Connu bien au-delà des frontières suisses, Nicolas Hayek s’est forgé en une trentaine d’années passées sous les projecteurs une image d’innovateur. L’industriel d’origine américano-libanaise et fier d’être suisse savait comme personne défendre le savoir-faire de son secteur, avec un style parfois empreint de paternalisme.

Colères. Nicolas Hayek laisse le souvenir de ses célèbres coups de gueule contre la politique de la Banque nationale suisse (BNS), sous l’ère de son président Markus Lusser jusqu’au milieu des années 1990. Il reprochait avec vigueur à l’institut d’émission de pratiquer une politique du franc fort défavorable à l’industrie d’exportation.
L’entrepreneur s’en prenait aussi périodiquement aux excès de la Bourse, se fâchant contre des marchés financiers qui ne savaient pas à ses yeux reconnaître la juste valeur les groupes industriels. Au- delà, il a su faire jouer sa fibre patriotique en s’engageant pour l’exposition nationale de 2002 ou la célébration du 1er août au Grütli.

Passion. Ses engagements menés avec passion ont rejailli sur son activité dans l’horlogerie. Nicolas Hayek a ainsi amené la notion d’émotion pour positionner les montres de Swatch Group dans le monde du luxe. Une passion qu’il aura su transmettre à son fils Nick, qui apparaît comme un digne successeur de par son discours et ses attitudes.

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