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La diplomatie scientifique en cinq questions

Wandering the immeasurable par Gayle Hermick
«Wandering the immeasurable» (Pérégrination à l’infini), une sculpture en acier de l’artiste Gayle Hermick, rend hommage aux grandes découvertes de la physique et se trouve au CERN à Genève. K I Photography / Alamy Stock Photo

Quelque 1200 scientifiques, diplomates et responsables d’entreprise sont réunis à Genève pour discuter de diplomatie scientifique. swissinfo.ch se penche sur ce concept et le rôle qu’il joue dans la politique étrangère suisse.

Dans le cadre du sommet annuel de GESDA (Anticipateur de Genève sur la science et la diplomatie), Genève accueille jusqu’à vendredi un millier de scientifiques, diplomates, chefs et cheffes d’entreprise et membres de la société civile pour des discussions sur la diplomatie scientifique. Parmi les sujets abordés, la longévité et l’intelligence artificielle.

Qu’est-ce que la diplomatie scientifique?

Bon nombre des grands défis du 21e siècle, tels que le changement climatique, la sécurité alimentaire, les pandémies ou les risques liés à l’intelligence artificielle, ont une dimension scientifique et la science peut jouer un rôle crucial pour les relever.

Conscients de l’impact potentiel de la science sur les affaires du monde et de la nécessité de trouver des solutions coordonnées, plusieurs pays, dont les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon et la Suisse, ont créé des postes de conseillers et conseillères scientifiques au sein de leur ministère des Affaires étrangères. Certains ont également nommé des attaché-es scientifiques dans leurs ambassades les plus importantes.

Depuis 2010, la diplomatie scientifique a une définition précise qui s’articule autour de trois piliers. La science au service de la diplomatie: la science en tant qu’outil de «soft power» pour améliorer les relations internationales. La science dans la diplomatie: l’utilisation de résultats scientifiques pour éclairer la politique étrangère. Et enfin, la diplomatie pour la science: l’utilisation de la diplomatie pour favoriser les collaborations scientifiques internationales. En pratique, la diplomatie scientifique est faite soit de l’un des trois piliers, soit d’une combinaison de deux ou trois d’entre eux.

Quelles sont les principales réussites de la diplomatie scientifique?

Le CERN (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) de Genève, créé en 1954, est souvent considéré comme un exemple typique de réussite dans le domaine de la diplomatie scientifique. Au départ, le concept lancé par 11 pays visait à mener des recherches sur le nucléaire dans le cadre d’une coopération internationale. Aujourd’hui, le CERN regroupe 23 pays, du Royaume-Uni à Israël en passant par la Hongrie. Il a permis certains des premiers contacts entre scientifiques israéliens et allemands après la Seconde Guerre mondiale.

«Il s’agit d’un exemple un peu surfait de diplomatie scientifique, estime toutefois Cédric Dupont, professeur de relations internationales à l’Institut universitaire de hautes études de Genève (IHEID). La question de savoir s’il s’agit de diplomatie scientifique ou de recherche purement scientifique reste ouverte.»

Contrairement à la lutte contre les énergies fossiles, qui n’a pas encore fait l’objet d’un consensus international, le combat contre le trou dans la couche d’ozone et les produits chimiques qui y contribuent est un autre exemple de diplomatie scientifique réussie. Le protocole de Montréal, adopté en 1987, est l’un des rares traités à avoir fait l’objet d’une ratification universelle. Ce protocole est un accord multilatéral qui réglemente la production et la consommation de près de 100 produits chimiques fabriqués par les humains, appelés substances appauvrissant la couche d’ozone.

La diplomatie scientifique a également ouvert la voie à la signature du traité sur l’Antarctique en 1959. Ce traité protège la région des activités militaires et de l’exploitation des ressources minérales.  

Un autre exemple bien connu est celui du GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat), créé par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) pour fournir aux décideurs et décideuses politiques un point de vue scientifique sur le changement climatique. Ses rapports, publiés tous les six ou sept ans, fournissent des informations essentielles dans le cadre des négociations internationales sur la lutte contre le changement climatique.

Quels sont les principaux défis auxquels est confrontée la diplomatie scientifique?

L’obtention d’un consensus scientifique prend du temps, des années, des décennies et parfois des siècles. «Pendant la période qui précède la réalisation d’un consensus, si vous proposez de nombreux avis scientifiques à des diplomates, il est difficile de penser qu’ils convergeront sur quoi que ce soit. Les 20 premières années de travail du GIEC ont été minées par cette situation. Certains scientifiques ont réussi à mettre des bâtons dans les roues en affirmant qu’ils n’étaient pas convaincus de l’existence d’un changement climatique d’origine humaine», explique Cédric Dupont.

Un autre défi réside dans le fait que le financement de la recherche est loin d’être neutre, affirme-t-il. «Très peu de recherches scientifiques ont été menées dans certains domaines, en raison du manque d’intérêt des principales puissances économiques, le Nord global. Par conséquent, les diplomates ne s’impliquent pas, simplement parce que la science n’est pas disponible. Le financement de la science suit les tendances et les politiques. De nombreux pays dans le monde ont des capacités de recherche très limitées, et il existe donc un risque d’imposer l’agenda de recherche du Nord à la politique mondiale», ajoute-t-il.

Une autre difficulté consiste à surmonter le décalage entre l’horizon temporel des scientifiques et celui des responsables politiques. «Les politiciens ont tendance à penser à court terme, alors qu’une grande partie de la recherche en sciences naturelles se fait à long terme», souligne l’expert.

«Enfin, la question se pose de savoir ce qu’il reste de la science une fois que l’on a franchi le cycle des discussions internationales», selon Cédric Dupont. «Le rapport du GIEC, par exemple, exerce une pression croissante sur les États, même si elle n’est probablement pas encore suffisante, car les politiciens ont pu s’y opposer jusqu’à présent. Pourtant, sans le rapport du GIEC, nous ne saurions pas ce qui se passe.»

Est-ce que Genève est un centre de diplomatie scientifique?

Genève abrite de nombreuses organisations internationales en lien avec la science, telles que la CEI (Commission électrotechnique internationale), l’ISO (Organisation internationale de normalisation), l’UIT (Union internationale des télécommunications) et l’OMPI (Organisation mondiale de la propriété intellectuelle). Néanmoins, ces organisations coopèrent techniquement sur des questions telles que les normes et les brevets, mais n’innovent pas elles-mêmes.

«La diplomatie scientifique se situe à un autre niveau, elle implique une recherche scientifique plus fondamentale qui permet de recadrer les discussions au niveau international. C’est ce que nous entendons par diplomatie scientifique. Genève a le potentiel de devenir un centre de diplomatie scientifique, mais je ne pense pas que ce soit déjà le cas aujourd’hui», déclare Cédric Dupont.

Quelle est la place de la diplomatie scientifique dans la politique étrangère de la Suisse?

L’objectif de la Suisse est de positionner la Genève internationale comme un pôle de premier plan pour discuter de la numérisation et des technologies et trouver des solutions communes aux défis que soulèvent ces domaines.

Cela lui permet de peser sur la scène internationale tout en conservant sa neutralité. C’est dans cette optique que le gouvernement suisse et le canton de Genève ont créé en 2019 le GESDA, afin de positionner la ville comme plaque tournante de la diplomatie scientifique dans le monde. Sa mission est de rassembler différentes communautés pour anticiper les avancées scientifiques et technologiques et, sur cette base, développer des solutions pour un avenir durable.

«L’objectif du gouvernement suisse est de faire en sorte que la Genève internationale reste un lieu dynamique de coopération internationale. Mais cela n’est pas garanti. Si le multilatéralisme est menacé, il n’y a aucune garantie que Genève puisse conserver ce statut éternellement. Il faut donc continuer à investir», analyse Cédric Dupont.

Texte relu et vérifié par Virginie Mangin, traduit de l’anglais par Dorian Burkhalter

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