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«La durabilité est devenue une évidence pour notre clientèle»

Désirée Good / 13 Photo

Bien connus des Suisses et des Suissesses, les magasins de mode PKZ sont dirigés par une femme, Manuela Beer. Cette économiste de formation observe que la clientèle d’aujourd’hui, en particulier la génération Z, est prête à payer un peu plus pour des vêtements durables. Entretien.

L’histoire du groupe familial PKZ est riche en rebondissements. C’est en 1881 que le fondateur de cette entreprise crée une fabrique de vêtements à Winterthur. Actuellement, ce groupe de 600 personnes commercialise environ 170 marques de vêtements et plus de 15’000 produits dans 40 magasins répartis sur toute la Suisse.

Pour l’année 2021, le groupe PKZ communique un chiffre d’affaires annuel de 170 millions de francs et ajoute que, par rapport à l’année prépandémique 2019, une croissance de 20% a été enregistrée malgré un marché suisse en recul. C’est à Zurich que Manuela Beer, CEO du groupe PKZ, a reçu swissinfo.ch pour une grande interview dans son magasin phare à la Bahnhofstrasse.

Manuela Beer a réalisé des études d’économie d’entreprise à l’Université de Saint-Gall (HSG). Par la suite, elle a occupé différents postes de cadre au sein d’Unilever Suisse puis pour le fabricant de meubles Sede. Entre 2003 et 2014, elle a travaillé pour Grands Magasins Globus, notamment en tant que Vice-CEO. Manuela Beer dirige le groupe PKZ depuis février 2015.

swissinfo.ch: Dans l’histoire plus que centenaire de PKZ, quelle a été la période la plus difficile?

Manuela Beer: En 1974, PKZ a été contraint d’arrêter la production suisse de vêtements en raison de la crise pétrolière mondiale et de l’appréciation du franc. Environ mille personnes étaient employées dans nos deux usines de Zurich et de Massagno, au Tessin. Dans la foulée, l’exportation de nos propres collections a dû être abandonnée. Depuis lors, PKZ se concentre sur le commerce de détail en Suisse.

Comme vous ne possédez plus d’usines en Suisse, dans quels pays est-ce que les vêtements de vos propres collections sont-ils fabriqués?  

Dans nos 40 magasins répartis dans toute la Suisse, nous vendons non seulement environ 170 marques internationales de vêtements mais également nos propres marques de vêtements, en l’occurrence Paul Kehl, Paul, Pauline et Burger Collection. Nos propres marques connaissent un grand succès et les collections correspondantes sont conçues à l’interne en Suisse; en revanche, nous sous-traitons leur fabrication dans différents pays européens (Portugal, République tchèque, etc.) ainsi qu’en Asie, notamment en Chine. 

«Nous sous-traitons la fabrication de nos propres collections dans différents pays européens et en Asie»

Puisque vos propres marques sont tellement demandées, pourquoi ne pas les commercialiser dans le monde entier, par exemple via des canaux de vente externes?

Nos propres marques, mises en vente aux côtés de marques internationales, ont en effet beaucoup de succès tant dans nos magasins que sur notre site Internet. Nous offrons ainsi à notre clientèle un choix attrayant de marques pour tous les besoins et toutes les occasions. En revanche, bâtir des marques mondiales nécessiterait des investissements publicitaires excessivement élevés. D’ailleurs, dans le passé, nous avions en Suisse des magasins spécialisés dans nos propres marques mais ce concept n’a pas été bien accueilli par notre clientèle.

Envisagez-vous d’implanter des magasins à l’étranger, par exemple dans des zones limitrophes?

Non car les coûts suisses ne nous permettraient pas de proposer des prix compétitifs, par exemple en Allemagne ou en France. En plus, nous avons encore suffisamment de possibilités de croissance en Suisse, notamment en continuant à ouvrir régulièrement de nouveaux magasins. D’ailleurs, en 2023, nous prévoyons d’inaugurer une nouvelle filiale à Pfäffikon, dans le canton de Schwyz.

Selon quels critères sélectionnez-vous votre assortiment actuel d’environ 170 marques et 15’000 produits?

La partie analytique revêt une grande importance pour moi. Pour cette raison, nous examinons en détail les ventes de notre assortiment et nous suivons de près les développements du marché. Une telle approche basée sur des critères économiques est essentielle car notre secteur est extrêmement compétitif. D’ailleurs, plusieurs concurrents ont récemment disparu.

En outre, nous observons minutieusement les tendances de la mode. Nos stylistes nous présentent en permanence les dernières nouveautés et notre équipe d’achat et moi-même visitons des salons, des salles d’exposition et des métropoles de la mode comme Milan, Paris ou Londres. Nous nous inspirons également des canaux numériques. En fin de compte, l’important est de toujours respecter les goûts de notre clientèle. 

Comment se développent vos ventes en ligne?

Il y a peu de temps encore, j’étais plutôt sceptique quant à la rentabilité du commerce électronique, bien que PKZ ait été un pionnier en Suisse avec sa boutique en ligne. Heureusement, je me suis trompée. Nos ventes en ligne se développent de manière extrêmement réjouissante. Pendant la pandémie, elles ont même doublé. Le commerce électronique est désormais dans les chiffres noirs et représente 12% de notre chiffre d’affaires, avec une croissance de 27% en 2022. Et nous venons également d’investir dans un nouveau centre logistique.

«Bâtir nos propres marques mondiales nécessiterait des investissements publicitaires excessivement élevés»

Quels sont les avantages et les désavantages de votre stratégie de vente multicanale?

Je vois surtout des synergies entre les ventes en magasin et sur Internet. Notre assortiment est identique de telle sorte que les deux canaux profitent de nos différentes actions de marketing, qu’elles soient en ligne ou hors ligne. En particulier, notre revue trimestrielle «Inside Magazine» [tirée à 400’000 exemplaires, un record en Suisse] vise les deux canaux de vente. Finalement, si un article, une taille ou une couleur spécifique n’est pas disponible dans un magasin, notre personnel de vente peut immédiatement passer une commande en ligne, moyennant une livraison à domicile ou dans un magasin.

Comment écoulez-vous vos invendus?

Certains articles ne sont jamais épuisés et n’ont donc pas d’invendus. C’est par exemple le cas des chemises blanches pour hommes car la demande est constante depuis de nombreuses années. Néanmoins, la grande majorité des articles sont saisonniers. Il est donc crucial de choisir les vêtements qui conviennent et de commander les quantités adéquates. Si, à la fin de la saison, les ventes n’ont pas été à la hauteur de nos attentes, nous proposons dans nos magasins des articles à prix réduits pendant les soldes. En outre, avec certaines marques, nous avons la possibilité de rendre des invendus ou de nous faire livrer rapidement des quantités supplémentaires. C’est pour cela qu’il importe de travailler avec un nombre limité de marques soigneusement sélectionnées et d’entretenir des relations étroites avec elles. 

Avez-vous aussi la possibilité d’écouler vos invendus dans des magasins en Europe de l’Est, à l’instar d’autres enseignes?

Non. De plus, nous ne sommes pas présents dans des magasins d’usine comme Foxtown. Il nous arrive toutefois d’organiser des ventes d’invendus pour nos employé-es et leurs connaissances, moyennant des conditions spéciales.

Quid de la durabilité?

Tout comme la numérisation, la durabilité est devenue une évidence pour notre clientèle et pour nous. Mais le chemin est long jusqu’à la durabilité totale: nous avançons pas à pas dans la bonne direction. De manière générale, il est important de maintenir un équilibre entre trois facteurs essentiels: la rentabilité, l’écologie et l’engagement social. La durabilité est souvent assimilée à des coûts et des prix plus élevés mais la clientèle d’aujourd’hui, en particulier la génération Z, est prête à payer un peu plus pour des produits durables.

Dans votre rôle actuel, est-ce un avantage ou un désavantage d’être une femme?

Dans ma fonction actuelle, ainsi que durant mes emplois précédents et ma scolarité, le fait d’être une femme n’a pas vraiment joué de rôle. De plus, chez deux anciens employeurs, j’ai sans doute eu la chance d’avoir été beaucoup encouragée par leurs CEO qui étaient pères de filles. Néanmoins, je constate que de nombreuses femmes carriéristes n’ont pas la chance que j’ai eue, notamment parce que le système actuel de garde et les horaires scolaires sont encore trop peu adaptés aux besoins professionnels des femmes … et des hommes.

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