La guerre en Ukraine alimente le débat sur la neutralité dans le monde
L’invasion russe de l’Ukraine suscite des réflexions autour du rôle et de l’interprétation de la neutralité suisse. Depuis plusieurs semaines, des lectrices et lecteurs de swissinfo.ch originaires du monde entier échangent leurs points de vue sur ce sujet en dix langues.
«Que signifie le mot ‘neutralité’?», lance une utilisatrice suisse du Japon en guise d’introduction à sa contribution. «La neutralité signifie ne pas prendre parti dans une guerre. Pour moi, les sanctions économiques sont donc aussi une forme de guerre. Nous avons cessé d’être ‘neutres’ et nous avons rejoint l’Ukraine», estime-t-elle.
Elle est contredite par un autre utilisateur japonais: «Dans les anciennes guerres de domination, la neutralité avait un sens. Mais aujourd’hui, il faut prendre position entre un État qui réprime les droits de l’homme et un pays libre et démocratique», écrit Aka Hoppy.
Les utilisatrices et utilisateurs de swissinfo.ch participent activement au débat sur l’avenir de la démocratie, et pas seulement au Japon. Depuis la mi-mars, nous avons mis en ligne une centaine de contributions en dix langues différentes et constaté de très nombreuses réactions.
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Nombre de Suisses participent également à la discussion sur la neutralité. «La Suisse doit rester strictement neutre à tout moment», écrit une commentatrice francophone, qui ajoute: «La neutralité est le fondement sur lequel se sont construits la puissance et le mode de vie de notre pays». «Tiktok2021» s’exprime de manière moins catégorique: «La neutralité suisse est en effet souvent considérée dans les pays ‘occidentaux’ comme un prétexte qui lui permet d’assouvir ses désirs mercantilistes. En tant que Suisse, nous devrions donc réfléchir à la manière dont notre neutralité peut être utilisée à l’avenir pour le bien de l’humanité.»
Une nouvelle définition «non étatique» de la neutralité
C’est exactement la réflexion que l’utilisateur anglophone «Nick Kyriazi» s’est faite. Il écrit: «Je propose de redéfinir la neutralité comme suit: le gouvernement ne prend pas position». Ensuite, c’est aux «individus et entreprises de décider elles-mêmes de quel côté elles se trouvent. Je me demande par exemple si je dois encore acheter des produits Apple, car je n’aime pas l’idée de soutenir le gouvernement chinois dans sa répression de Hong Kong et des Ouïgours».
Au cours des premières semaines, de nombreux utilisateurs et utilisatrices d’Ukraine et de Russie ont également accompagné le débat sur la neutralité de swissinfo.ch. Rien d’étonnant à cela, puisque le terme «neutralité» a été utilisé à plusieurs reprises dans les négociations entre les deux pays pour mettre fin à l’agression russe. Dans une interview avec des représentants indépendants des médias russes, le président ukrainien Volodymyr Zelensky a déclaré qu’un accord de paix avec une Ukraine «neutre» devrait être soumis à la ratification des citoyennes et citoyens du pays par référendum.
Il n’a toutefois pas précisé à quoi pourrait ressembler une telle neutralité. Il existe de nombreuses variantes de la neutralité et il ne sera pas facile d’en trouver une qui réponde aux besoins contradictoires de Kiev et de Moscou. Le 7 avril, Volodymyr Zelensky a déclaré dans le Jerusalem Post: «Nous ne pouvons pas parler de la «Suisse du futur» à propos de l’Ukraine. Il est probable que notre État ne pourra être ainsi qu’après une longue période».
D’importants obstacles à une solution «durable»
Eric Golson mène des recherches sur les guerres commerciales à l’université britannique de Surrey. De son point de vue, les déclarations d’intention du président ukrainien en matière de politique de neutralité ont certes du sens, mais «pour maintenir la neutralité à long terme sur le plan de la politique intérieure, il faut une société civile forte, ainsi que des institutions étatiques solides et crédibles». Et ces institutions sont actuellement détruites avec grande brutalité dans la guerre de la Russie contre l’Ukraine.
À cela s’ajoute la dimension internationale, souligne Eric Golson, qui a rédigé sa thèse sur la neutralité de la Suisse, de la Suède et de l’Espagne pendant la Seconde Guerre mondiale. Selon l’expert britannique, un référendum en l’Ukraine sur ce sujet donnerait certainement plus de crédibilité à la «neutralité».
C’est également l’avis du politologue suisse Pascal Lottaz, professeur assistant en études de la neutralité à l’Institut des hautes études de Waseda: «C’est une bonne idée et aussi une autoprotection pour le président, car tout accord futur doit en effet pouvoir ancrer Volodymyr Zelensky dans sa propre population».
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«Neutralité face aux atrocités?»
En Suisse, l’interprétation de la neutralité suscite aussi la controverse. Après que la Confédération a pris des sanctions contre la Russie, la droite conservatrice a lancé l’idée d’une initiative populaire visant à inscrire dans la Constitution ce que l’on appelle la «neutralité intégrale». Une telle initiative interdirait à l’avenir au Conseil fédéral de reprendre des sanctions économiques. Jusqu’à présent, la Suisse a appliqué une «neutralité différenciée», qui autorise des mesures telles que celles prises dans le cas actuel de l’Ukraine.
Le think tank libéral Avenir Suisse se montre favorable à une interprétation plus ouverte de la «neutralité». «Dans le cas d’une collaboration encore plus étroite avec l’OTAN et l’UE, nous ne verrions pas non plus une violation des principes de neutralité définis dans les Conventions de La Haye», déclare Lukas Rühli, qui a rédigé une nouvelle étude sur la politique de sécurité pour Avenir Suisse. «On peut supposer que dans un avenir marqué par une bipolarité renforcée entre les démocraties libérales et les autocraties étatico-capitalistes, la Suisse interprétera davantage sa politique de neutralité en faveur des pays de son propre cercle de valeurs.»
Après l’annonce des crimes de guerre russes en Ukraine, une utilisatrice italienne de swissinfo.ch résume ainsi la situation: «Comment pouvons-nous rester neutres face à ces atrocités?»
Emilie Ridard
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