«La Lex Netflix pourrait donner une visibilité internationale à des séries suisses»
La nouvelle loi sur le cinéma ne va pas pousser les plateformes de streaming à augmenter leurs prix en Suisse, estime la députée verte Sophie Michaud Gigon. Pour la secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs, les menaces agitées par le camp du non sont infondées.
Les films et les séries sont de plus en plus regardés en ligne. Les plateformes de visionnement en ligne laissent toutefois peu de place aux productions indigènes.
La nouvelle loi sur le cinéma, soumise au peuple le 15 mai, veut obliger les services de streaming à financer la création de films et de séries suisses à hauteur de 4% de leur chiffre d’affaires réalisé dans le pays. Des mesures similaires sont déjà en vigueur dans les pays voisins. La France a notamment introduit une obligation de réinvestissement de 26% et l’Italie de 20%.
Pour connaître les enjeux de la votation sur la nouvelle loi sur le cinéma, consultez notre article explicatif:
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Le financement du cinéma suisse par les géants du streaming se joue dans les urnes
La loi a toutefois été attaquée par référendum par la jeunesse des partis de droite, qui considère que la production audiovisuelle est déjà suffisamment subventionnée. Elle estime que le projet passe complètement à côté des besoins des consommatrices et des consommateurs. Députée verte et secrétaire générale de la Fédération romande des consommateurs, Sophie Michaud Gigon balaie les craintes des opposantes et des opposants.
swissinfo.ch: Si la nouvelle loi sur le cinéma est acceptée le 15 mai, les plateformes de streaming vont-elles faire passer les consommateurs et consommatrices à la caisse, comme le prétendent les opposantes et les opposants?
Sophie Michaud Gigon: Non, il n’y a pas de corrélation entre l’introduction d’obligations d’investissement et les prix pratiqués par les plateformes. Dans des pays comme la France, l’Espagne ou l’Italie, qui ont déjà adopté cette mesure, les prix des abonnements sont restés plus avantageux qu’en Suisse. Les services de streaming adaptent leurs tarifs en fonction du pouvoir d’achat de la population. C’est pourquoi les Suisses paient déjà quasiment les abonnements les plus chers au monde. Netflix a d’ailleurs augmenté ses prix en début d’année. La plateforme n’a pas besoin d’une obligation d’investissement pour cela. Le vrai problème contre lequel nous devons lutter est l’îlot de cherté que représente la Suisse et qui concerne tous les produits. Cela n’a rien à voir avec la loi sur le cinéma.
À défaut d’augmenter les prix, les géants du streaming ne risquent-ils pas de restreindre leur offre en Suisse pour devoir moins réinvestir?
Les plateformes choisissent librement ce qu’elles veulent diffuser dans chaque pays. Les différents services se livrent une concurrence féroce pour attirer le public. Netflix ne va pas restreindre son offre et laisser ainsi des parts de marché à Apple ou Amazon. D’un point de vue commercial, cela n’aurait pas de sens. En outre, de nombreux pays européens connaissent déjà soit une obligation d’investir, qui se situe entre 1% et 26% [en France], soit une taxe directe. En demandant un taux de réinvestissement de 4%, la Suisse est ainsi plutôt modeste. Il n’y a pas de raison que cette mesure exerce une influence sur l’offre des fournisseurs. D’ailleurs, les plateformes elles-mêmes ne font pas campagne contre la nouvelle loi. Elles sont prêtes à l’appliquer, comme elles le font déjà dans beaucoup d’autres pays.
La nouvelle loi sur le cinémaLien externe
Les explicationsLien externe de l’Office fédéral de la culture
Le siteLien externe du comité référendaire
Le siteLien externe des partisanes et des partisans de la loi
Les jeunes des partis de droite à l’origine du référendum estiment qu’on veut leur dicter ce qu’ils doivent regarder. Comprenez-vous leurs craintes?
Ont-ils peur de ne pouvoir plus que regarder Heidi sur leur plateforme de streaming? Cela ne risque pas d’arriver, parce que sinon les jeunes vont simplement opter pour un autre service. Le but de la loi n’est pas de forcer Netflix à proposer exclusivement des films suisses. Les plateformes vont continuer à choisir elles-mêmes les produits qu’elles diffusent pour attirer les utilisatrices et les utilisateurs. Toutefois, elles réalisent actuellement d’importants profits en Suisse, qui partent tous à l’étranger. Grâce à la nouvelle législation, une petite partie de leurs recettes sera investie chez nous. Le mécanisme existe déjà pour les télévisions. Il n’y a pas de raison que les services de vidéo à la demande en soient exemptés. De plus, cela aidera peut-être certaines séries suisses à acquérir une visibilité internationale.
En Suisse, le financement de la production audiovisuelle indépendante se monte aujourd’hui à quelque 105 millions de francs par année. Cela n’est-il pas suffisant?
Non, ce sont des sommes modestes qui ne permettent pas de développer suffisamment la branche, compte tenu des coûts élevés de la production cinématographique. De plus, ce mécanisme permettra non seulement de renforcer le secteur audiovisuel, mais aura aussi des retombées positives sur l’économie suisse dans son ensemble. Si un tournage a lieu en Suisse, les équipes vont consommer sur place. Ainsi, l’hôtellerie, la restauration, les entreprises régionales en profiteront.
Les adversaires de la loi estiment que l’obligation de diffuser 30% de films européens est discriminatoire. Que leur répondez-vous?
Au contraire, ce quota permet d’augmenter la diversité. Il est normal d’apporter une forme de soutien à des productions qui sont proches de chez nous. Cela ne change rien pour les consommatrices et les consommateurs. Les productions non européennes ne vont pas pour autant disparaître de la programmation. Les services de streaming internationaux respectent déjà cette exigence, puisqu’il s’agit d’une directive de l’Union européenne adoptée en 2019. Quant aux chaînes de télévision suisses, elles appliquent déjà aujourd’hui un quota de 50%.
La coprésidente des Jeunes Vert’libéraux Virginie Cavalli milite contre la nouvelle loi sur le cinéma. Elle explique pourquoi dans une interview:
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