La machine à multiplier la peau à greffer
C’est un réel espoir pour plus de 11 millions de personnes dans le monde frappées chaque année de brûlures graves. Une start-up suisse présente la première machine capable de générer de la peau à greffer en grandes quantités à partir d’un échantillon provenant du patient lui-même.
«Ce n’est pas de la peau artificielle, mais pas non plus exactement de la peau naturelle. Si on veut être précis, c’est un équivalent de tissu cutané issu de la bio ingénierie», explique Daniela Marino, cofondatrice et directrice de CUTISSLien externe, la société née en 2017 à l’Hôpital pédiatrique universitaire de Zurich.
Le procédé est révolutionnaire: à partir d’un petit échantillon de peau saine prélevé sur la personne brûlée, on «fait pousser» en laboratoire des cellules cutanées, que l’on combine ensuite avec un hydrogel pour obtenir une nouvelle peau. Baptisée denovoSkin, elle est épaisse d’un millimètre, comme le sont en moyenne le derme et l’épiderme naturels.
Le gros avantage, par rapport aux techniques classiques, c’est qu’on arrive déjà à obtenir pratiquement l’équivalent d’un set de table à partir d’un timbre-poste. «Actuellement, on sait multiplier la surface de l’échantillon d’origine d’un facteur 100 – et nous visons à terme un facteur 500», précise Daniela Marino. Pour rappel, la méthode traditionnelle consiste à greffer un morceau de peau saine que l’on ne peut étirer que jusqu’à neuf fois sa surface. On voit vite où est le problème quand on a des personnes brûlées à 50, 60, 70% et plus.
Du labo au marché
DenovoSkin a depuis longtemps passé le stade du prototype de laboratoire. Le produit fait aujourd’hui l’objet d’essais cliniques de phase IIb. Il a reçu la désignation de «médicament orphelin» (médicament important contre des maladies rares) en Suisse, dans l’UE et aux États-Unis. Concrètement, cela signifie que des patients reçoivent déjà des greffes de denovoSkin, mais pas plus de deux par cas.
Il bénéficie en outre d’autorisations spéciales dans le cadre d’un usage dit «compassionnel» dans les cas où «il est capable de surpasser tout traitement médical actuel pour les blessures cutanées étendues et profondes, avec des résultats susceptibles de sauver et de changer la vie du patient», comme l’écrit CUTISS dans son communiqué. Quelques grands brûlés ont donc déjà pu bénéficier de greffes de denovoSkin sur de vastes surfaces de leur corps.
Passé ce stade, le produit devra encore prouver son efficacité sur un grand nombre de patients pour boucler la phase III. Daniela Marino ne le voit donc pas arriver sur le marché avant 2023, «au plus tôt et si tout va bien».
La machine qui va tout changer
Avec son côté high tech, voire carrément futuriste, denovoSkin ne serait-il pas typiquement un traitement réservé aux riches? C’est justement là que l’annonce de ce 24 juin prend tout son sens.
«Nous y avons pensé dès le départ. Il est clair que les pays du Sud connaissent nettement plus de drames liés aux brûlures, et hélas aussi à cause des guerres, raconte Daniela Marino. Pour le moment, nous fabriquons entièrement à la main, avec un personnel très spécialisé, dans des chambres stériles, et tout cela coûte très cher. Mais la machine va permettre de réduire considérablement le prix, et rendre le traitement abordable même pour les pays en développement».
La machine, c’est denovoCast, développée avec le Centre suisse d’électronique et de microtechnique (CSEMLien externe) à Neuchâtel. Elle est capable de fabriquer plusieurs greffons de peau simultanément, dans un processus entièrement fermé, sans aucune intervention manuelle. Ses concepteurs en attendent un gain de plus de 30% dans les temps de production et une qualité constante.
CUTISS semble donc bien armée pour partir à l’assaut d’un marché estimé à plus de 2 milliards de dollars pour les brûlures graves et plus de 5 milliards pour la reconstruction des cicatrices de brûlures – ceci rien qu’en Europe et aux États-Unis. N’est-ce pas un peu gros pour une société qui pour l’instant emploie moins de 40 personnes? «Il y a 20 centres d’excellence pour le traitement des grands brûlés en Europe, précise Daniela Marino. Nous allons commencer par travailler avec eux, et cela, nous pouvons le faire seuls. Après, bien sûr, il faudra trouver des partenaires».
Du «swiss made» qui aimerait bien le rester
Dans toute sa phase de lancement, la start-up a bénéficié du soutien de l’agence suisse de promotion de l’innovation InnoSuisse, mais également du programme Horizon 2020 de l’Union européenne. Or on le sait, la Suisse vient de rompre ses négociations avec Bruxelles sur un accord-cadre qui devait notamment chapeauter ce genre de collaborations.
Sans vouloir «se mêler de politique», Daniela Marino «espère que l’on va résoudre ce problème». Car un durcissement des règles qui régissent les échanges entre la Suisse et l’UE pourrait avoir un impact sur sa société, qui va devoir importer et exporter. «Ce projet a démarré ici en 2001, il a toujours été suisse et ce serait bien de le garder swiss made», conclut la patronne de CUTISS.
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