«La mode suisse se caractérise par sa multi-culturalité»
Zurich s’est faite glamoureuse cette semaine pour ses Journées de la mode, avec attribution de prix et défilés de grands couturiers internationaux comme de jeunes designers suisses. De manière générale, le paysage helvétique de la mode est en pleine effervescence, selon Nic Ulmi, chroniqueur du magazine Edelweiss.
La Suisse ne compte qu’une grande marque internationale présente dans les quatre principales «Fashion weeks» de Paris, New York, Milan et Londres: Akris. Il y a aussi le fabricant de chaussures Bally qui s’est lancé dans le vêtement dans les années 1970 à l’échelle internationale. Deux marques volontiers mises en valeur par les politiciennes. Ainsi, Micheline Calmy-Rey, alors cheffe de la diplomatie suisse, avait fait sensation en franchissant la frontière entre les deux Corées toute vêtue de blanc, portant des chaussures Bally rouges à… croix blanche.
swissinfo.ch: Dans la haute couture, les Suisses Walter Steiger, Laurent Mercier ou Jean-Luc Amsler se sont fait un nom à Paris. Et en Suisse, quelle place la mode occupe-t-elle?
Nic Ulmi: Le circuit est composé de multiples couches et mondes parallèles, avec des valeurs, une éthique et une façon de travailler parfois très différentes. En Suisse, il y a beaucoup de tout petits labels dont la fabrication se fait entièrement dans le pays et qui sont proches de l’artisanat. Ceux qui externalisent la production choisissent plutôt les pays de l’Est européen.
swissinfo.ch: Pendant longtemps, ce monde était dominé par des créateurs hommes. Or il semble qu’actuellement, de plus en plus de femmes dessinent des collections masculines. Comment expliquez-vous ce phénomène?
N.U.: C’est difficile de savoir s’il y a une raison de fond, car chaque créatrice a son histoire propre, mais il peut y avoir une raison stratégique. C’est-à-dire que la mode masculine est encore une sorte de terre vierge: les hommes étant plus conservateurs, il y a une place à prendre. En parlant avec ces designers, j’ai constaté qu’elles avaient beaucoup de choses à proposer.
S’il existe beaucoup de petits labels pour femmes, c’est assez nouveau pour hommes. Mais les hommes commencent à s’émanciper, leur mode de consommation ressemble de plus en plus à celui des femmes. Il ne s’agit plus seulement de choisir un vêtement confortable et conforme aux codes pour aller travailler, mais aussi du plaisir du vêtement en tant que définition de l’identité et des relations avec le monde extérieur.
swissinfo.ch: Le paysage serait donc en train de changer?
N.U.: Le monde suisse de la mode est en pleine effervescence, avec un grand nombre de jeunes designers intéressants, mais aussi des initiatives pour les mettre en valeur qui se multiplient et se fédèrent. Ce phénomène assez nouveau se reflète dans la formation. Il existe des écoles de couture depuis longtemps, mais plutôt techniques, plus axées sur la couture elle-même que sur le design.
Depuis quelques années, deux formations de mode de niveau véritablement universitaire se sont développées à Bâle et à Genève. Avec un travail théorique sur la manière dont on conçoit un vêtement, à quoi on le destine, une réflexion sur l’univers visuel et esthétique qui accompagne la mode. Avec aussi tout l’arrière-fond psychologique, sociologique qui fait de la mode un fait social global, un élément central de la construction de l’identité.
swissinfo.ch: L’année dernière, la Fédération du textile suisse a supprimé son Swiss Award attribué lors des Fashion Days de Zurich à des designers internationaux. Comment la création est-elle encouragée en Suisse?
N.U.: A part les prix fédéraux de design décernés chaque année par l’Office fédéral de la culture, les hautes écoles ont tout un dispositif de prix, de bourses ou d’aides à la création d’un label. Les magazines spécialisés, comme Annabelle en Suisse alémanique et Edelweiss en Suisse romande, offrent également une récompense.
D’autre part, cette année a vu la première édition de Mode Suisse, un showroom pour professionnels qui s’est tenu au printemps et en octobre simultanément à Zurich et Genève, qui donne une nouvelle visibilité aux créateurs suisses auprès des boutiques.
Il existe aussi des structures comme TJ Studio à Lausanne. C’est un bureau de produits qui crée tous les contacts avec les intermédiaires, trouve des fournisseurs, des matières, des producteurs, qui suit le processus de fabrication et la stratégie de marketing, bref, qui permet à un jeune créateur de fabriquer sa collection à partir de ses dessins ou ses prototypes. C’est très nouveau et cela remplit une case indispensable.
swissinfo.ch: Le textile a été le premier grand moteur de l’industrie suisse d’exportation. Ce secteur, qui occupait 12% des actifs au XIXe siècle, est aujourd’hui en déclin. N’est-ce pas dangereux pour l’industrie du vêtement?
N.U.: Il y a certes eu un déclin du textile dans l’ensemble de l’économie nationale, mais la place de la Suisse sur le marché mondial se maintient. Et c’est peut-être même un facteur qui handicape la mode. Je citerai l’exemple de la Belgique où le textile a complètement périclité dans les années 1980, si bien que le pays a investi dans la mode pour sauver les meubles. Et surprise, cela a été payant puisque la crise du textile a engendré l’énorme success story de la mode belge au niveau mondial depuis les années 1990.
Or la Suisse ne connait pas de crise analogue car le textile, qui se porte encore très bien au niveau international, notamment grâce aux innovations techniques, n’a pas besoin de la mode suisse. Mais certains signes montrent qu’il pourrait décider d’investir un peu plus dans le design, comme les autorités du reste, ce qui permettrait de faire véritablement décoller la mode suisse. Elle a des atouts propre, en reflétant par exemple la multi-culturalité caractéristique du pays. Ensuite, les jeunes designers sont conscients de l’excellence du textile suisse, notamment avec une forte innovation technologique, et cela ne peut que renforcer les liens entre mode et matière.
Les Fashion Days se tiennent du 7 au 10 novembre au Schiffbau de Zurich, organisés par le mastodonte de l’évènementiel IMG Fashion, organisateurs notamment des fashion weeks de Berlin.
Le 8 novembre: «Hommage à la jeunesse», le 9e Prix Annabelle a été attribué à Julia Winkler (26 ans), qui faisait partie des cinq finalistes frais émoulus d’écoles de mode.
Le 9 novembre: «Hommage à la Diversité», défilé des jeunes couturiers suisses Portenier Roth, Marc Stone, LBD (Little Black Dress)White, Javier Reyes, Kazu Hugler.
Mais aussi attribution du Fibers & Yarns Award par le groupe industriel Oerlikon, principal producteur mondial de machines textiles à l’Institut de la mode de l’Université de Donghua à Shanghaï.
Porté depuis 2000 par les industriels de la Fédération du Textile Suisse avec un niveau de récompense longtemps considéré comme le plus important (100’000 francs en 2010), le Swiss Textiles Award a disparu en 2011.
De Lucerne à Zurich, la phase finale du concours avait toujours été adossée à un évènement plus large: d’abord le festival Gwand à Lucerne, puis les Stella Contemporary Fashion Awards et, en 2010, une unique apparition aux Zurich Fashion Days.
Le Swiss Textiles Award a été remplacé cette année par un prix de cinéma, le «Golden Velvet», qui sera attribué le 15 novembre par Marco Solari, président du Festival international de Locarno, à un «jeune cinéaste qui aura su mettre en scène de manière originale les qualités des textiles suisses».
En conformité avec les normes du JTI
Plus: SWI swissinfo.ch certifiée par la Journalism Trust Initiative
Vous pouvez trouver un aperçu des conversations en cours avec nos journalistes ici. Rejoignez-nous !
Si vous souhaitez entamer une conversation sur un sujet abordé dans cet article ou si vous voulez signaler des erreurs factuelles, envoyez-nous un courriel à french@swissinfo.ch.