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La Russie veut-elle en finir avec la Genève internationale?

Les sanctions prises par la Suisse et son ministre des Affaires étrangères Ignazio Cassis à l'égard de la Russie ont des répercussions sur les pourparlers syriens à Genève. Keystone / Salvatore Di Nolfi

Les négociations de paix du Comité constitutionnel syrien, qui devaient se tenir la semaine dernière à Genève sous la houlette de l'ONU, n'ont pas eu lieu. C'est parce que la Russie, principal allié de Bachar al-Assad, ne considère désormais plus la Suisse comme neutre.

Moscou a expressément demandé au représentant du gouvernement syrien de boycotter Genève, et les discussions sur la Syrie sont donc désormais au point mort.

Contactée par la Radio télévision suisse (RTS), la mission permanente de la Fédération de Russie à Genève explique «qu’il est temps de se rendre à l’évidence. La Suisse a malheureusement abandonné son statut de neutralité», explique-t-elle.

«Genève était autrefois une plateforme diplomatique neutre. Et neutre signifie ne prendre aucun parti. Depuis que la Suisse a décidé de se joindre aux sanctions antirusses de l’UE, cela signifie explicitement prendre parti». La mission russe évoque aussi des problèmes «plus terre à terre», comme la rupture des liaisons aériennes directes ou encore un changement dans la pratique de délivrance des visas.

Il est devenu «beaucoup plus difficile d’accomplir des tâches professionnelles en Suisse pour les diplomates et fonctionnaires russes qui se rendent à des réunions de l’ONU et à d’autres événements en Suisse», précise-t-elle. La diplomatie russe déplore encore le blocage de comptes en banque de diplomates en poste en Suisse ou des contrats d’assurance soudainement rompus.

La direction genevoise de l’ONU ne commente pas

L’annonce fait parler dans les couloirs du Palais des Nations, siège européen des Nations unies. Si un mastodonte tel que la Fédération de Russie, membre permanent du Conseil de sécurité aux nombreux alliés, se met à renier Genève, cela pourrait créer un dangereux précédent.

Mais la direction genevoise de l’ONU, elle, se borne en l’état à user du langage diplomatique pour rappeler que ses «installations sont à disposition des États membres et des différentes parties à un conflit (…) et que tout est mis en œuvre pour que ces réunions se déroulent dans les meilleures conditions possibles». Elle ne se prononce pas sur la question de la neutralité helvétique.

La Suisse «prend acte» et «reste à disposition»

À Berne, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) reste également très concis. Contacté lui aussi par la RTS, il se borne à dire que la Confédération «prend acte» et qu’il «reste à disposition pour offrir ses bons offices».

Le DFAE précise tout de même que la Suisse prend son rôle d’État-hôte très au sérieux et s’emploie à ce que toutes les délégations puissent se rendre à Genève pour travailler dans les meilleures conditions.

La diplomatie helvétique ne paraît du reste pas particulièrement inquiète. L’annonce un peu choc de la Russie semble plutôt prise avec une certaine circonspection. «Lorsque les Russes ont un intérêt à venir négocier à Genève, ils sont là», rappelle une source proche du dossier. Et depuis février, leur délégation n’a déserté ni Genève ni le Palais des Nations et ses nombreuses conférences.

Du reste, selon les informations de la RTS, la Suisse n’aurait refusé aucun visa aux Russes qui doivent participer à des discussions internationales à Genève malgré les sanctions. En tant que pays hôte des Nations unies et de nombreuses organisations internationales, elle est tenue de remplir certaines obligations.

La neutralité en question

Reste que la perception de la neutralité suisse dans le monde a changé depuis quelques mois, avec la grande médiatisation de la reprise des sanctions européennes par Berne. Micheline Calmy Rey, ancienne ministre suisse des Affaires étrangères, rappelle toutefois qu’il n’y a rien de nouveau à ce sujet.

«Ce n’est pas la première fois que l’on reprend des sanctions européennes ou de l’ONU, donc notre ambassadeur à Moscou a dû expliquer que la Suisse pouvait prendre des sanctions sans perdre pour autant sa neutralité», souligne-t-elle. Et d’ajouter: «Les sanctions économiques ne sont en rien contradictoires avec la neutralité».

La Suisse est par ailleurs un État-hôte qui héberge les organisations internationales à Genève, ajoute l’ancienne conseillère fédérale. «Donc la Fédération de Russie a une interprétation de la neutralité qui ne correspond pas avec la pratique suisse».

Le mauvais signal donné par la Suisse

Et de fait, la Suisse et le DFAE s’activent ces derniers mois pour rappeler ce qu’est la neutralité suisse et son fonctionnement. Mais l’ancienne présidente de la Confédération ne dédouane pas totalement les autorités actuelles.

«Je trouve que le mauvais signal que la Suisse a placé par rapport à la Genève internationale, c’est quand il s’est agi de suspendre la Fédération de Russie du Conseil des droits de l’homme et de certaines organisations internationales à Genève, dit Micheline Calmy Rey. La Suisse a pris position pour la suspension. Et si la Suisse elle-même prend position pour exclure un membre d’une des institutions ou d’organisations dont le siège est à Genève, c’est un mauvais signal».

Aux Chambres fédérales, les parlementaires se montrent bien plus critiques, voire préoccupés, surtout à droite. Membre de la commission de politique extérieure de la Suisse, le conseiller national Yves Nidegger (Union démocratique du centre / droite conservatrice) estime que «ce bris de neutralité» ne va pas rester sans conséquence.

«Là où nous sommes plutôt très mal barrés à ce sujet, c’est que, si vous regardez la carte du monde en vous demandant qui est isolé, vous arrivez à la surprise que ce n’est pas la Russie», illustre-t-il.

Sur la question de l’éligibilité ou de l’inéligibilité de Genève pour des discussions internationales, «la Russie va être suivie par une bonne partie de l’Afrique, par une bonne partie de ses alliés dans le monde, assure-t-il. Et les sanctions ne sont reprises par personne qui compte dans le monde en dehors d’un petit club de Nations occidentales».

À gauche, le député socialiste Carlo Sommaruga, lui aussi membre de la commission de politique extérieure, pense surtout qu’avec une polémique sur Genève, la Russie botte en touche. «Il y a certainement, matériellement, des différends très fort entre les États-Unis, la Russie, la Turquie et la Syrie. Dès lors, on prétexte de critiques du lieu pour ne pas dire que les négociations sont elles-mêmes bloquées», estime-t-il.

Carlo Sommaruga dit prendre acte de ces déclarations et attendre de voir ce qui se passera autour de ces discussions. «De manière générale, il faut quand même savoir que la conférence sur le désarmement est placée à Genève, qu’il y a beaucoup d’institutions. Genève reste encore par excellence le lieu de négociation», rappelle-t-il.

Vider les négociations de leur contenu

La politologue Manon Nour Tannous estime que cette histoire dépasse largement des vicissitudes de salles de conférence au bord du Léman. Il faut se pencher sur les négociations syriennes elles-mêmes, estime cette spécialiste du monde arabe.

«C’est le point final d’une stratégie russe qui consistait à vider ces négociations de leur contenu de manière très progressive mais très cohérente depuis quatre-cinq ans. Là, cela me semble avoir une portée un peu déclaratoire, symbolique, surtout que Genève a une place importante dans le système onusien», estime-t-elle.

Et de poursuivre: «En mettant en doute cela, on franchit un pas supplémentaire. Mais ce que faisaient les Russes à Genève depuis quelques années, «c’était vraiment entretenir une mascarade qui n’avait aucune perspective d’aboutir».

La politologue rappelle que ces pourparlers inter-syriens consistaient simplement à se mettre d’accord sur les termes d’une constitution. «Mais parallèlement, les Russes mettent tout en oeuvre pour normaliser le régime syrien». Pour l’heure, ni la date de reprise des discussions ni aucun lieu alternatif à Genève n’ont été évoqués.

En 2019, le vice-président du Sénat russe avait exigé le déménagement intégral du siège de l’ONU de New York à Genève, précisément pour des raisons de neutralité.

Les autorités américaines étaient alors jugées partiales. Elles ne remplissaient pas, selon les autorités russes, leurs obligations d’Etat hôte en matière de délivrance de visas. La Suisse apparaissait alors comme le lieu idéal pour Moscou.

En 2003, un an seulement après l’adhésion de la Suisse à l’ONU, le conseiller national John DuprazLien externe évoquait la même idée. Pour député genevois, il était urgent de déménager le siège des Nations unies à Genève, sur fond de guerre en Irak.

Les Etats-Unis ne s’étaient alors pas conformés aux décisions du Conseil de sécurité des Nations unies, dont ils sont pourtant membre. Sur recommandation du Conseil fédéral, le postulat avait cependant été rejeté par le Parlement. 

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