La souffrance des expats suisses en «Brexitanie»
Comme si la Covid-19 ne suffisait pas, les expatriés suisses en Grande-Bretagne doivent également affronter les conséquences du Brexit. Il leur pose de nombreux défis, non seulement sur le plan économique, mais aussi privé.
Depuis le début de l’année, le Royaume-Uni suit sa propre voie. Les conséquences se manifestent jusque dans de petites scènes, comme celle-ci, au port de débarquement de Hook van Holland (Pays-Bas): un douanier a récemment été vu confisquant le sandwich au jambon d’un automobiliste britannique.
L’importation de denrées alimentaires comme la viande, les fruits et les légumes n’est plus autorisée dans l’UE, a expliqué le fonctionnaire au conducteur irrité. Celui-ci a alors demandé s’il pouvait garder le pain beurré et laisser le jambon à la douane. «Non», lui a répondu le douanier sous l’œil de la caméra d’une chaîne de TV néerlandaise. «Welcome to the Brexit, Sir, I’m sorry».
Rayons vides, nouveaux tarifs douaniers, chaos
En Grande-Bretagne, les rayons des magasins se vident, au point que la chaîne de supermarchés Sainsbury’s a même dû vendre la semaine dernière des produits de son concurrent Spar. Les maisons de tradition comme Fortnum & Mason ont stoppé temporairement leurs livraisons vers l’Europe. Les clients britanniques se plaignent de livraisons annulées depuis le continent ou de frais de douane inattendus.
Et les particuliers comme les entrepreneurs ont toujours plus de questions que de réponses. C’est le cas de Jérôme Robert. Avec sa partenaire britannique, ce designer horloger suisse dirige une manufacture de montres à Londres. Bien qu’il s’efforce depuis des mois de collecter les informations nécessaires afin que sa Camden Watch Company puisse continuer à livrer ses clients en Europe, il manque de directives claires de la part du gouvernement de Sa Majesté.
«Maintenant, nous avons décidé d’expédier les commandes quoi qu’il arrive et de voir ce qui va se passer». La plus grande crainte de cet entrepreneur de 36 ans est que ses clients européens doivent passer à la caisse et payer des droits de douane inattendus. Une hypothèse encore plus désastreuse serait qu’il doive à l’avenir s’enregistrer séparément pour la TVA dans chaque pays d’Europe où il livre sa marchandise. «La charge administrative serait telle que nous devrions probablement cesser de fournir certains marchés de niche pour pouvoir nous concentrer uniquement sur les pays les plus importants», explique Jérôme Robert.
Quid de la protection des données?
Ces préoccupations sont également celles d’Ané-Mari et Marc Peter. Depuis 20 ans, ils dirigent l’entreprise on-IDLE à Londres, active dans le graphisme et la conception de sites internet. «Avant, il y avait une règle pour la TVA. Maintenant, tout est beaucoup plus compliqué et plus coûteux», explique Ané-Mari Peter. Et les problèmes vont bien au-delà de la TVA. Ces deux dernières semaines, ils n’ont pas pu payer leurs employés en République tchèque, parce que les questions fiscales n’étaient pas réglées. Autre grande question lorsque l’on conçoit des sites web: la protection des données. Avec le retrait de l’UE, la Grande-Bretagne n’est plus soumise aux règles européennes dans ce domaine.
Pour nombre de leurs entreprises clientes, des problèmes juridiques peuvent survenir si leurs sites sont hébergés sur des serveurs britanniques. «Mais pour héberger un site dans l’UE, il faut souvent avoir une adresse commerciale dans un des pays membres. Avec notre adresse britannique, nous n’allons pas loin», constate Marc Peter. Leurs tentatives pour obtenir des informations concrètes n’ont pas abouti. «Le gouvernement communique de manière vague. Sur de nombreux points, tout est question d’interprétation».
Pas simple pour les couples binationaux
Et les questions liées aux entreprises ne sont pas les seules à donner des maux de tête à de nombreux Suisses de l’étranger touchés par le Brexit. Le divorce avec l’Europe est notamment un défi pour les couples binationaux. Depuis plus de sept ans, Sandra Keller [nom d’emprunt] et son partenaire britannique vivent à Édimbourg, en Écosse. En fait, ils ont décidé de rentrer en Suisse – dès que la pandémie rendra la chose possible. Vu que son employeur n’est pas encore au courant, la Zurichoise ne souhaite pas dévoiler son vrai nom.
Si avant le 31 décembre, le couple aurait pu se contenter de réserver un vol pour commencer une nouvelle vie, les choses s’avèrent aujourd’hui plus compliquées. En tant que citoyen d’un désormais État tiers, le partenaire de Sandra Keller est maintenant soumis à des règles d’immigration beaucoup plus strictes de la part de la Suisse. «Nous ne pourrons probablement pas éviter de nous marier», admet la jeune femme de 33 ans. Cela aurait été de toute façon le plan tôt ou tard, «mais de devoir le faire maintenant à cause du visa, c’est incroyablement peu romantique».
«Ces derniers mois, j’ai senti une grande cohésion au sein de la communauté des Suisses de l’étranger» Ané-Mari Peter
À l’époque, lorsqu’elle s’est installée à Édimbourg, elle avait tout recommencé à zéro. «Je suis simplement venue ici et je me suis bâti une vie. Et maintenant, cette liberté et cette chance sont refusées à mon ami. C’est tellement triste». Et même le mariage ne résoudra pas tous les problèmes. Car pour que son partenaire obtienne un permis B en tant que conjoint et avoir ainsi une autorisation de séjour et de travail, il faudra que les deux vivent d’abord en Suisse. «Cela comporte un grand risque, parce que nous devons tout abandonner ici et partir sans aucune sécurité».
Ané-Mari Peter, qui est aussi membre du Comité de la Fédération des sociétés suisses au Royaume-Uni, comprend bien la frustration de nombreux expatriés, mais souligne que tout n’est pas mauvais: «Ces derniers mois, j’ai senti une grande cohésion au sein de la communauté des Suisses de l’étranger. Les gens s’entraident sur les forums, échangent des informations, se soutiennent mutuellement». Au final, critiquer n’avance à rien. «Le Brexit est une décision démocratique, il faut la respecter. Comme on le dit chez nous, il faut faire le dos rond et avancer!»
(Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez)
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