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«La Suisse est en passe d’introduire la loi antiterroriste la plus dure d’Occident»

Leandra Bias

De la France à l’Autriche, en passant par la Suisse, le débat public actuel sur les récentes attaques terroristes est très dangereux pour les droits de l’homme, écrit la politologue Leandra Bias.

Leandra Bias est politologue et vient de défendre à l’Université d’Oxford sa thèse sur «l’(im)possibilté d’une critique féministe dans les régimes autoritaires», après avoir étudié la Russie et l’Europe de l’Est. Elle travaille comme experte sur les questions de genre auprès de la Fondation suisse pour la paix swisspeaceLien externe. Les vues qu’elle exprime dans ce texte sont les siennes propres.

Le problème ici, c’est que l’on met en avant une déclaration de guerre: l’Élysée contre le «séparatisme islamique» et Vienne contre l’«islam politique». Malgré leur fermeté, de tels propos s’appuient sur des notions dangereusement floues.

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On observe cette tendance depuis que George W. Bush a déclaré la «guerre à la terreur». Les mots clés «terrorisme» et «extrémisme» se sont répandus dans nos législations au point qu’ils peuvent recouvrir tout et n’importe quoi: les idées, les croyances et les déclarations.

Les mécanismes de prévention qui en découlent menacent précisément ce que nous devrions protéger comme nos biens les plus précieux: la liberté d’expression et l’État de droit. Les islamistes attaquent ces acquis et c’est précisément avec notre supposée stratégie de prévention que nous creusons un fosséLien externe entre eux et nous. Cette prévention repose sur la promesse d’une sécurité absolue et en contrepartie sur le sacrifice du droit à la sphère privée. Elle mène également à nous faire considérer la citoyenneté non plus comme un droit fondamental mais comme un privilège, qui peut devenir le jouet de notre système de justice pénale.

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En Suisse, nous sommes sur le point d’adopter la loi antiterroriste la plus sévère de l’hémisphère occidental. Si le référendum n’est pas demandé d’ici février, il serait possible de placer des personnes en assignation à résidence sans décision de justice, sur le simple soupçon qu’elles pourraient commettre des actes terroristes à l’avenir. La loi s’appliquerait même aux mineurs et viole la Convention européenne des droits de l’homme. C’est pourquoi elle a été aussi violemment critiquéeLien externe par Fionnuala Ní Aoláin, rapporteuse spéciale des Nations Unies pour les droits de l’homme. En outre, au début de cette année, la justice suisse a retiré sa nationalité à une personne pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale.

Il n’est dès lors guère surprenant que désormais, l’Autriche essaye aussi de retirer leur nationalité aux double nationaux actifs dans l’islamisme et que Vienne et Paris mènent les efforts au sein de l’UE pour interdire le cryptageLien externe dans les services de messagerie comme Whatsapp, afin d’élargir les possibilités de surveillance.

Les discours belliqueux sont séduisants, car ils affichent de la détermination et suggèrent des solutions simples et rapides. On en oublie qu’il existe déjà des pouvoirs étendus, que certains problèmes sont minimes et que ces mesures sont fortement contreproductives.

Prenons l’exemple de l’approche de Macron pour combattre la «société dans la société» islamiste. Dans son discours, il a dit qu’à l’avenir, l’enseignement à domicile serait strictement limité, pour empêcher que des filles ne soient pas envoyées à l’école. Dans une lettre au Financial TimesLien externe, le président français a insinué que les jeunes filles, «dans certains quartiers, grandissent complètement voilées, séparées des garçons et dans la haine de la France». Entretemps, la publication a été annulée, parce que ces affirmations ne sont pas conformes à la vérité. Les dernières statistiquesLien externe du ministère français de l’Éducation montrent que les filles ne vont pas moins à l’école.

Une fois de plus, la population musulmane de France est diffamée et marginalisée. On appelle ponctuellement les musulmans pour condamner les attentats, mais on met complètement entre parenthèse le fait qu’au niveau mondial, les premières victimes des attaques islamistes sont les musulmans eux-mêmes. Rappelons que Daech avait établi son califat sur le territoire de l’Irak et de la Syrie, et pas en Alsace. Mais si la population musulmane veut lancer un débat sur la discrimination socio-économique systématique, on la mettra à nouveau sous silencieux.

Nous savons que le racisme antimusulman encourage la radicalisation. On peut faire une hypothèse similaire pour la Suisse. Il n’existe encore aucune étude, ce qui montre bien qu’il y a un manque d’intérêt pour la question. Car notre stratégie de prévention ne se préoccupe pas de comprendre les véritables motifs. L’islamophobie se répand certainement de plus en plus en Suisse aussi. Nous avons non seulement interdit les minarets, mais aussi repris le discours de la France, où le racisme antimusulman est pratiqué par des politiciens de droite, en particulier au nom des droits que les femmes ont sur leur corps. Le débat tourne encore et toujours autour du voile, vu comme l’expression ultime de l’oppression des femmes, et qui devrait être interdit. Dans le même temps, le ministre français de l’Éducation justifie l’interdiction des jupes et des hauts trop courts car ces tenues ne correspondent pas à un «style vestimentaire républicain».

On observe la même dynamique en Suisse. Le Tessin connaît déjà l’interdiction de la burqa et au printemps prochain, la Suisse entière votera sur une initiative populaire pour l’interdiction du voile. En même temps, à Genève, les jeunes filles se voient contraintes d’enfiler le «T-shirt de la honte» si elles viennent en classe avec des tenues trop permissives.

Ces initiatives et ces pratiques ne concernent donc pas la liberté et l’autodétermination des femmes, que les politiciens de droite défendent toujours avec force lorsqu’il s’agit de l’islam. C’est pourquoi la critique qui voudrait que les féministes sont «cette fois étonnamment silencieuses» et même complaisantes envers l’islamisme parce qu’elles ne soutiennent pas ces revendications du camp de droite ne tient pas.

Le fait est que depuis des années, les féministes critiquent l’islamisme comme partie d’un patriarcat global. Mais elles ne sont pas non plus disposées à s’aligner sur des courants xénophobes. C’est pourquoi l’accent n’est jamais mis sur l’islamisme seul, mais tout autant sur l’extrémisme de droite et autres mouvements misogynes qui se cachent sous le couvert du «conservatisme».

Donc, pour renvoyer la question à tout le monde: pourquoi les prétendues féministes restent-elles si étonnamment silencieuses quand, au nom du christianisme, un pays d’Europe abolit presque complètement le droit à l’avortement, attaquant ainsi le droit fondamental que les femmes ont à disposer de leur corps? Que se passerait-il si la même agitation et la même solidarité se manifestaient avec les Polonaises? Cela signifierait qu’il faut défendre les droits des femmes de manière conséquente, et pas seulement quand cela sert à diffamer d’autres groupes.

Cette cohérence dans la défense de tous les droits humains fait tragiquement défaut dans le débat et dans la politique contre le terrorisme. Elle est certes inconfortable, car elle ne promet pas de solutions rapides, simples et héroïques. Au lieu de cela, elle implique un processus long, autocritique et coûteux. Mais c’est la seule approche qui nous protégerait effectivement à long terme.

Les opinions exprimées dans cet article sont exclusivement celles de leur auteure et ne recouvrent pas forcément la position de swissinfo.ch.

(Traduction de l’allemand: Marc-André Miserez)

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