La Suisse veut jouer un rôle de leader dans la reconstruction de l’Ukraine
La Suisse organisera début juillet une grande conférence internationale pour la reconstruction de l’Ukraine. L’agenda et la liste des participants et participantes se précisent. Mais la question de savoir si le projet est bien coordonné au niveau international reste ouverte.
La coopération internationale avec l’Ukraine se négociait bien avant la guerre, dans le cadre de conférences régulières sur les réformes à mener. Celle de cette année était prévue les 4 et 5 juillet à Lugano. La Suisse n’a jamais annulé ce rendez-vous et le président de la Confédération Ignazio Cassis veut désormais en faire une conférence sur la reconstructionLien externe.
Rencontre de «très haut niveau»
Selon Ignazio Cassis, le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE), qu’il dirige, a invité 41 pays et 19 organisations internationales, dont la Banque mondiale et l’ONU. Le ministre des Affaires étrangères et actuel président de la Confédération parle d’une conférence et de très haut niveau avec des participants «à partir du niveau ministériel, c’est-à-dire des ministres, des Premiers ministres ou des présidents».
Le président ukrainien Volodymyr Zelensky ainsi que le Premier ministre Denys Chmyhal auraient déjà confirmé leur participation – physique ou virtuelle, comme l’a indiqué Ignazio Cassis sur les ondes de la télévision publique alémanique SRF. Ce dernier a aussi personnellement invité Boris Johnson. Le Premier ministre britannique n’a pas encore déterminé s’il viendrait en personne ou s’il enverrait une délégation pour le représenter. Selon les médias, le président français Emmanuel Macron aurait aussi été invité.
«Les défis de la reconstruction sont énormes», a déclaré le président de la Confédération. En effet, la reconstruction de l’Ukraine ne nécessite pas seulement des sommes d’argent incroyables. Il y a aussi des idées qui ne font pas l’unanimité, comme l’utilisation de l’argent confisqué aux oligarques.
Tensions avec l’UE?
Certains analystes pensent que la conférence pourrait perturber les relations entre la Suisse et l’Union européenne (UE). Avec son idée, la Suisse entre en effet dans une chasse gardée de l’UE.
Il y a quelques jours, lors du dernier Forum économique mondial (WEF) de Davos, la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a clairement exprimé son opinion sur les différents rôles. «L’UE a un intérêt stratégique à prendre la tête de la reconstruction de l’Ukraine», avait-elle déclaré.
C’est pourquoi il n’est pas encore clair dans quelle mesure l’initiative d’Ignazio Cassis est coordonnée avec l’UE. Pour le président de la Confédération, il ne s’agit que d’une proposition qui sert de «coup d’envoi d’un plan de reconstruction pour l’Ukraine».
Le président de la Confédération crée-t-il ainsi une situation de concurrence? Comme la Suisse, la Commission européenne travaille actuellement à l’établissement d’une plate-forme pour la reconstruction de l’Ukraine, qui serait pilotée par l’UE et le gouvernement ukrainien. L’UE veut aussi y associer des institutions multilatérales comme le Fonds monétaire international (FMI) et la Banque mondiale, c’est-à-dire les mêmes organisations qu’Ignazio Cassis a invitées à Lugano.
«Il ne s’agit pas d’argent»
Alors que des discussions très concrètes ont déjà lieu au sein de l’UE au sujet de la provenance de l’argent, Ignazio Cassis évite d’aborder la question du financement, mais déclare à dessin qu’il ne s’agit que de sommes symboliques. À la question précise du journaliste de SRF pour savoir combien la Suisse allait payer, le président de la Confédération a répondu: «Ce n’est pas une question d’argent, il s’agit d’établir un processus».
Dans le même temps, le site de la Conférence de reconstruction de l’Ukraine affiche un message clair: «La Suisse et l’Ukraine demandent la mobilisation de fonds pour la mise en œuvre du programme de reconstruction».
«Tous les pays peuvent promettre de donner quelque chose, mais ce sera un geste symbolique», déclare le patron du DFAE, laissant en suspens les sommes concrètes que la Suisse serait prête à donner. «Le plus gros chèque que nous remettons est l’organisation de cette conférence», indique Ignazio Cassis.
Il est clair que le financement deviendra inévitablement et rapidement le sujet principal – c’est la somme qui l’impose: le Premier ministre ukrainien estime que le montant dépasse les 600 milliards de dollars; d’autres estimations se situent autour de 1000 milliards de dollars, selon Ignazio Cassis.
Volodymyr Zelenski lui-même parle en premier lieu l’argent. «Nous avons besoin d’un plan de soutien international stratégique, une forme moderne du plan Marshall historique, c’est-à-dire de l’argent, de la technologie, des spécialistes et des possibilités de croissance, a déclaré le président ukrainien au début mai. La secrétaire au Trésor des États-Unis Janet Yellen a également évoqué mi-mai un besoin «comparable au plan Marshall pour la reconstruction de l’Europe après la Seconde Guerre mondiale».
Pas de consensus autour des confiscations
Les débats devraient également porter sur des idées déjà exprimées. Le président ukrainien a évoqué un modèle selon lequel des pays, villes ou entreprises parraineraient des villes ou secteurs en Ukraine. Il a également proposé d’utiliser à cet effet les avoirs russes gelés, évoquant entre autres des réserves de devises russes de plusieurs centaines de milliards de dollars et les avoirs des oligarques russes.
Ce plan est politiquement très controversé. Le président américain, Joe Biden, et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, saluent le principe, mais connaissent les pièges de l’État de droit que de telles expropriations impliqueraient. Fin mai, lors du WEF à Davos, des journalistes ont demandé à Ignazio Cassis quelle était la position de la Suisse à ce sujet. Là encore, il est resté vague: «C’est une question globale, et la Suisse donnera sa réponse en temps voulu».
(Traduction de l’allemand: Olivier Pauchard)
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