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La valse-hésitation des banques suisses aux Etats-Unis

Certaines institutions bancaires helvétiques participent aujourd’hui au programme de dénonciation volontaire auprès des autorités américaines. Mais d’autres hésitent à y participer, au risque de payer des amendes de plusieurs millions de dollars.

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Certaines banques connaissent déjà leur stratégie pour régler leurs problèmes avec leurs autorités américaines: soit elles se dénoncent auprès du Département de la JusticeLien externe américaine et avouent avoir aider des citoyens à frauder le fisc, soit elles se considèrent innocentes et ne disent rien. Mais une poignée d’établissements ne savent pas encore ce qu’ils veulent faire, et analysent minutieusement leur situation. Est-ce que cela vaut la peine de participer au «target letter» programme proposé par les Etats-Unis? Ou cela coûte-t-il trop cher? Quel est le risque de ne pas se dénoncer?

Récemment, le groupe liechtensteinois VP Bank s’est retiré du programme de dénonciation après s’être d’abord porté volontaire et inscrit dans la «catégorie 2» – une stratégie qui ne manque évidemment pas d’attirer l’attention du gouvernement américain.

Au moins dix banques auraient réalisé le même demi-tour, selon l’hebdomadaire dominical NZZ am Sonntag. La britannique Barclays, qui dispose d’une succursale en Suisse, a quitté le programme cet été. Et la Banque Cantonale de Fribourg, à l’origine en catégorie 2, s’en est aussi retirée, sans pour autant préciser si elle allait s’inscrire dans une autre catégorie du système.

Selon une enquête portant sur 30 institutions réalisée par swissinfo.ch, deux banques privées suisses aujourd’hui placées dans la catégorie 2 ne savent toujours pas si elles vont se rétracter. Trois autres établissements n’ont pas fait de commentaires. Les autres institutions ont annoncé ne pas changer de stratégie.

Les catégories de culpabilité

Les banques qui prennent part au programme américain sur l’évasion fiscale entre la Suisse et les Etats-Unis sont réparties en quatre catégories, qui dépendent du niveau de culpabilité potentiel des institutions.

Catégorie 1: Les 14 banques sous investigation pour des délits d’évasion fiscale. Julius Bär, Pictet, les Banques Cantonales de Zurich et Bâle et des filiales suisses de banques étrangères en font partie. Ces institutions ont déjà reçu une «target letter» de la part du Département de la Justice et doivent maintenant trouver un accord individuellement avec les autorités américaines.

Catégorie 2: Les banques qui savent ou se suspectent qu’elles ont commis des délits d’évasion fiscale aux Etats-Unis. Ces institutions courent le risque de se voir infliger des amendes allant de 20% à 50% de leurs avoirs accumulés non déclarés, en fonction de leur durée d’activité.

Le délai pour faire partie de la catégorie 2 a été étendu du 30 juin à fin juillet 2014. Mais les banques ont jusqu’au 15 septembre pour livrer la documentation exigée, qui montre le nombre de clients ayant déjà confessé leurs méfaits au programme de divulgation volontaire aux Etats-Unis.

Catégorie 3: Les banques qui ont des clients américains mais qui estiment que l’institution et ses clients se sont conformés aux règles américaines.

Catégorie 4: Les banques qui disposent uniquement d’un faible nombre de clients étrangers – pas plus de 2% de la totalité des comptes.

Le délai pour faire partie des groupes 3 et 4 est fixé au 31 décembre 2014.

Amendes salées

Mais pourquoi se dénoncer un jour pour se rétracter le lendemain? Le jeu joué par les banques suisses est risqué. L’une de leurs raisons se trouve notamment dans le danger pour ces institutions de participer à ce programme.

En août 2013, lorsque la Suisse et les Etats-Unis ont accepté de mettre en place le système du «non-target letter», qui permet aux banques de se dénoncer, l’avenir du secteur bancaire helvétique s’annonçait sombre, très sombre. En janvier 2013, une cour américaine avait déclaré la banque Wegelin coupable d’évasion fiscale. Une décision qui a mené à la mort de la plus ancienne banque helvétique, en activité depuis 273 ans. Puis, lors de ce même été, le Parlement avait refusé une proposition du Conseil fédéral de donner les noms des clients américains des banques suisses aux Etats-Unis. La tension était à son comble.

Les banques s’attendaient à une hécatombe à la sauce Wegelin. Un scénario renforcé par la disparition de la banque Frey en octobre 2013, coulée par le poids financier de la bataille administrative contre les autorités américaines. Le secteur bancaire s’attendait donc au pire.

L’Autorité fédérale de surveillance des marchés financiers (FINMA)Lien externe a encouragé les banques à participer rapidement au programme de dénonciation américain, malgré le fait que les détails du projet restaient vagues et que les banques avaient besoin de temps pour examiner leurs comptes pour vérifier si elles avaient trompé à l’époque le fisc américain.

Fin 2013, le Département de la Justice américaine a annoncé que 106 banques avaient rejoint le programme. Et encore plus d’établissements y participent aujourd’hui. PricewaterhouseCoopers (PwC) estime que plus de 100 banques sont actuellement enregistrées dans la catégorie 2; les données sur les catégories 3 et 4 ne sont pas encore connues, les délais de participation tombant à la fin 2014.

Un jeu risqué

Les banques inscrites dans la seconde catégorie jouent la carte de la sûreté. En échange, ces groupes doivent maintenant abattre un travail administratif titanesque. Et doivent réviser la totalité de leurs comptes et vérifier si des Américains figuraient parmi leur clientèle. Résultat: une poignée de banques ont découvert que, au final, elles n’étaient pas vraiment coupables.

«Après avoir travaillé avec des consultants, certaines banques de la catégorie 2 ont réalisé qu’elles étaient simplement innocentes», explique Alexandre Troller, un avocat pour le cabinet LALIVE spécialisé dans le programme américain, à swissinfo.ch. Se retirer de la catégorie 2 après avoir obtenu ce genre de conclusion est logique.»

Mais ces institutions courent toujours un risque en ne participant pas au programme. «Les autorités américains pourraient toujours les poursuivre en justice, à moins qu’elles ne choisissent de faire partie de la catégorie 3 et qu’elles obtiennent une ‘non-target letter’ [qui les exempterait de toute poursuite en justice ndlr], précise-t-il. Ces banques doivent évidemment être certaines qu’elles n’ont pas commis de délit. Elles viennent de se dénoncer au Département de la Justice, puis se sont rétractées, ce n’est pas un geste anodin.»

Mais les banques qui ne participent pas du tout au programme prennent, elles, bien plus de risques. «Certaines institutions estiment que le risque de ne pas y participer n’est pas si élevé, explique-t-il. Leur réflexion est que même si elles sont poursuivies en justice, les amendes et les autres conséquences seront de toute manière moins graves que le simple coût de participer au programme».

Ceci, malgré le fait que le Département de la Justice a annoncé qu’il infligerait des amendes bien plus salées aux groupes qui n’ont pas participé au programme de dénonciation.

Pression

En mai dernier, les autorités américaines avaient augmenté la pression sur les banques helvétiques en infligeant une amende de 2,6 milliards de dollars à Credit Suisse, plus du triple de l’amende de 780 millions de dollars imposée à UBS en 2009 pour le même délit.

A ces pénalités s’ajoutent encore les frais d’avocats et de consultants des deux côtés de l’Atlantique, qui leur coûtent plusieurs millions de francs. Vérifier si une banque avait un client américain est notamment un processus exténuant.

«Ce programme exige une quantité de travail administratif gigantesque», explique Martin Schilling, chef des services financiers de PricewaterhouseCoopers Suisse, à swissinfo.ch.

Mais les soucis ne s’arrêtent pas là. Un récent rapport de PricewaterhouseCoopersLien externe a révélé que la plupart des banques suisses n’ont pas constitué beaucoup de réserves pour payer d’éventuelles amendes. «Les banques privées suisses n’ont pas voulu former d’importantes provisions, car cela aurait été perçu comme un aveu de culpabilité (par les autorités américaines)», indique le rapport.

Et des milliers de clients innocents de ces banques vivent maintenant un cauchemar à cause de ces problèmes. Les citoyens américains qui habitent et travaillent en Suisse ne peuvent plus ouvrir de compte en banque ni obtenir des hypothèques. Parfois, les banques ont expulsé leurs clients américains, car les risques impliqués par leur présence et le travail administratif exigé pour conserver leurs comptes étaient jugés trop élevés.

Les citoyens avec une double nationalité suisse et américaine ont aussi dû se soumettre à des processus administratifs exténuants pour prouver qu’ils n’avaient jamais travaillé ou vécu aux Etats-Unis. 

Adapté de l’anglais par Clément Bürge

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