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Le bel avenir des conventions collectives de travail

CCT et Paix du travail: un siècle d’histoire, entre mythe et réalité. Halle de montage de General Motors, Bienne 1946. RDB

Solidement ancrées dans la législation, les conventions collectives de travail (CCT) ne protègent pourtant – et de loin – pas tous les salariés suisses. En réalité, la couverture est plutôt limitée. C’est le constat du professeur Daniel Oesch, de l’Université de Lausanne.

Le 24 novembre, syndicats et Union patronale ont organisé une journée d’étude pour célébrer les «100 ans des CCT». C’est avec la révision du Code des obligations de 1911, que le fondement des CCT a été introduit dans l’arsenal juridique helvétique. Un important pas en avant, à une époque où la Suisse faisait déjà figure de pionnière en matière de droit du travail.

A cette époque, les CCT n’en étaient encore qu’à leurs prémices. Il s’agissait pour l’essentiel de certains accords salariaux conclus au niveau local ou régional, entre syndicats et employeurs. La part des travailleurs soumis à des CCT ne dépassait d’ailleurs pas 5%.

En Suisse comme ailleurs, des changements dans la règlementation des rapports de travail sont intervenus au fil du temps. Pour établir un état des lieux de la situation actuelle, swissinfo.ch a interrogé Daniel Oesch, professeur à l’Institut des sciences sociales de l’Université de Lausanne, expert des questions relatives au marché du travail.

swissinfo.ch: Quelles sont les signes distinctifs de la réglementation des rapports de travail en Suisse, par rapport aux pays environnants?

Daniel Oesch: Un grand nombre de personnes est convaincu que la Suisse est un pays dans lequel règne un partenariat social particulièrement développé. Autrement dit, fondé sur un droit du travail flexible, très libéral, peu régulateur, et avec des CCT négociées par les partenaires sociaux, afin de combler ces lacunes.

Dans les faits, seul un salarié sur deux en Suisse est soumis à une CCT. A titre de comparaison, cette proportion est de 2 sur 3 en Allemagne, de 4 sur 5 en Italie, et en Autriche elle concerne presque la totalité des travailleurs.

Cela signifie qu’en Suisse, seule la moitié des salariés est couvert par une CCT, alors que l’autre moitié dépend exclusivement du droit du travail, lequel est moins développé chez nous que dans la majorité des autres pays européens.

swissinfo.ch: Concrètement, quelles conséquences cela a-t-il?

D.O.: En Suisse, la loi ne fixe aucun seuil salarial minimal. Alors qu’un tel plancher est prévu par l’essentiel des CCT. C’est pourquoi, et à quelques rares exceptions près, comme le travail domestique et quelques branches professionnelles dans les cantons du Tessin et de Genève, seuls les employés soumis à des CCT ont un salaire minimum garanti. Ils forment une minorité, équivalente à 40% des travailleurs concernés. Pour les autres 60%, il n’existe aucun seuil contraignant.

swissinfo.ch: Pour l’opinion publique, il est commun de penser que, généralement, CCT et partenariat social en Suisse, forment un duo à la base de la paix du travail, qui remonte aux CCT de l’horlogerie et de l’industrie des machines de 1937. Et pourtant, ce ne sont pas les grèves qui ont manqué…

D.O.: La paix du travail en Suisse qui remonte à l’industrie des machines de 1937, est un peu une légende.

Pour les employés, la fonction principale d’une CCT est de les faire bénéficier d’une protection (salaires, conditions de travail), alors que pour les employeurs, elle a pour but d’assurer une certaine stabilité dans la planification de la production (absences, grèves).

Ce rapport d’échange entre protection et stabilité a été conclu progressivement. Au fur et à mesure que le système des CCT s’est étendu. Surtout depuis la fin de la Première Guerre mondiale, pendant les années 30 et durant la phase décisive de 1945 à 1949, lorsque le système des CCT a véritablement pris pied. Depuis les années 50 et jusqu’à nos jours, nous avons connu un niveau de conflit très bas, et un niveau de coopération très élevé.

swissinfo.ch: Depuis le début des années 90, le ton des négociations s’est durci et des CCT ont été résiliées. On l’a encore observé récemment dans le secteur de la construction, avec des syndicats qui menacent de lancer la grève. Avons-nous atteint les limites du consensus?

D.O.: Le consensus continue d’exister dans la grande majorité des secteurs professionnels et des CCT. Mais cela ne signifie pas qu’il n’y a aucun conflit. Même au cœur d’un système de relative coopération, il peut toujours y avoir des tensions et des mouvements de grève peuvent apparaître, et il y en aura toujours.

Il y a des centaines de CCT en Suisse et leur renouvellement fait toujours l’objet de négociations. Il n’est pas surprenant que de temps en temps, des négociations échouent. Dans un tel bras de fer, l’étape suivante est la grève des travailleurs, qui tentent de la sorte de peser davantage dans le processus de négociation.

Le climat est plus difficile, mais cela ne signifie pas pour autant qu’en Suisse, les relations contractuelles sont conflictuelles. En comparaison de la situation internationale, nous nous trouvons toujours dans un cadre très consensuel.

swissinfo.ch: Quelles sont les limites des CCT par rapport à une réglementation législative des conditions de travail?

D.O.: Le point faible des CCT est l’aspect corporatif. Là où les salariés sont bien organisés, qu’il y a un syndicat fort, les conditions s’améliorent et le niveau de protection est acceptable. Par contre, lorsque la répartition des salariés est fragmentée et qu’ils sont soumis à des conditions de travail très individualisées, il n’y a pas de règle. C’est uniquement les bases légales minimales qui prévalent.  

C’est pourquoi un tel système menace de conduire à une dualité, avec d’un côté, ceux qui sont bien protégés et de l’autre, les travailleurs précaires, soumis à des conditions difficiles, parce qu’ils n’ont pas d’organisation collective pour les encadrer. Autrement dit, un système à deux vitesses.

swissinfo.ch: Tenant compte de cette tendance à l’individualisation, les CCT ont-elles encore un avenir?

D.O.: Il y a 20 ans, les CCT étaient considérées comme des reliques de l’époque industrielle. Sous certains aspects, un modèle destiné à disparaître. Aujourd’hui, ces CCT sont de plus en plus répandues dans le secteur des services. Elles ont démontré leur grande capacité d’adaptation.

Je suis assez confiant concernant leur importance, d’autant plus face à un marché du travail très ouvert comme celui que nous avons en Suisse. Je pense que les CCT ont encore un bel avenir devant elles pour la réglementation du marché du travail en Suisse, bien que des améliorations soient nécessaires.

La convention collective de travail (CCT) est négociée entre employeurs ou associations patronales et organisations de travailleurs tels que syndicats et associations professionnelles.

Les CCT contiennent des dispositions sur les conditions de travail et sur les rapports entre les parties au contrat (obligations, droits, contrôles, etc.)

Dès l’entrée en vigueur d’une CCT, ses dispositions deviennent partie intégrante du contrat individuel de travail dans les entreprises qui y prennent part.

Généralement, les CCT sont à durée indéterminée. Elles prévoient l’obligation pour les deux parties au contrat de maintenir la «paix sociale». Cela implique l’interdiction pour les syndicats de lancer une grève et pour les employeurs, de cesser leur activité.

A la demande de toutes les parties au contrat, une CCT peut être déclarée de portée générale. De ce fait, elle devient applicable à tous les salariés d’un secteur économique ou d’une branche professionnelle, incluant aussi ceux qui n’appartiennent à aucune organisation.

Source: Secrétariat d’Etat à l’économie (Seco)

«Défenseur convaincu des contrats collectifs de travail», le ministre suisse de l’Economie, Johann Schneider-Ammann, dans une allocution à l’occasion des «100 ans des CCT», a lancé un appel à la conciliation entre partenaires sociaux du secteur de la construction.

Après neuf mois de discussions, les négociations pour le renouvellement de la CCT du secteur principal de la construction en Suisse, qui arrivera à échéance à la fin de l’année, ont récemment échoué. Les syndicats menacent de lancer des «mesures de lutte».

«Pour moi, il est clair que dans le secteur du bâtiment, il ne faut pas arriver à une situation de vide contractuel», a déclaré Johann Schneider-Ammann en exhortant les partenaires sociaux à «au moins se mettre d’accord pour une période de prolongation».

Et plus généralement, le ministre a loué le «partenariat social efficace» et les CCT, qui sont «la recette du succès pour notre marché du travail libéral».

Traduction de l’italien: Nicole della Pietra

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