L’autoroute de la discorde (re)devient la place du village
Durant plus de 50 ans, la commune grisonne de Roveredo a été coupée en deux par une autoroute construite contre la volonté populaire. Une liaison routière qui a effacé de la carte des maisons, des terrains et l'unique place du village. Désormais, et c'est une première en Suisse, l'autoroute va être démantelée et le terrain enfin rendu à ses habitants.
«Dans toute la Suisse, je dois être la personne qui vit le plus près d’une autoroute!». La situation de Gianni Losa, de Roveredo, n’a rien d’enviable. L’A13, l’autoroute nationale qui traverse la Suisse orientale du nord au sud, passe en effet à environ deux mètres de son salon. Seule une barrière anti-bruit bien peu épaisse atténue, en partie du moins, le bruit de la circulation.
«Le fracas des camions est terrible», nous confirme sa compagne, Jole Bianchi, qui nous demande d’excuser la poussière noire sur le balcon: «J’ai bien fait les nettoyages mais les pots d’échappement en dégagent sans cesse». En été, lorsque le trafic augmente, la vie devient insupportable et Jole va vivre chez sa fille. «Ici, je ne peux même pas ouvrir les fenêtres pour aérer», constate-t-elle amèrement.
La pollution sonore et les poussières fines ne sont pas les seuls désagréments pour les riverains d’une route aussi fréquentée. Gianni Losa est encore choqué par l’accident mortel – et il y en a eu beaucoup sur ce tronçon – survenu il y a quelques années juste devant chez lui. «Il s’agissait d’une collision frontale entre une voiture et un camion. Je me souviens d’un véhicule rouge en flammes. Le seul fait d’en parler me donne les frissons. Ce n’est pas par hasard que cette route porte le numéro 13», ajoute cet ancien garde-frontière.
Un village sans âme
Pour ce couple de retraités, le cauchemar a débuté il y a plus de 50 ans, en 1965. La Confédération avait décidé que la nouvelle autoroute de la Vallée italophone du Misox, dans le canton des Grisons, devait passer par le centre du village de Roveredo. Une voie parallèle à la ligne de chemin de fer rhétique Bellinzone-Mesocco.
Cette décision avait été prise contre la volonté de l’assemblée communale, se souvient Marco Tognola, ex-journaliste et syndicaliste. «Les gens avaient insisté pour l’adoption de variantes prévoyant un tunnel mais l’Office fédéral des routes n’a rien voulu savoir.»
En raison de la construction de l’autoroute, le père de Gianni Losa avait dû céder une partie du jardin situé devant sa maison: «Il y avait beaucoup d’arbres fruitiers. Nous étions en pleine nature, un vrai paradis», se souvient Gianni Losa, 78 ans aujourd’hui. Les parents de Piergiorgio Mazzolini, un autre habitant de Roveredo, avaient eux aussi été contraints à vendre une parcelle du terrain où s’élevait leur hôtel, l’«Albergo Stazione». Dans ce cas précis, tout le petit village grisonnais en avait subi les conséquences.
«Une grande terrasse avait été installée devant l’hôtel», se souvient Piergiorgio Mazzolini, qui était alors un adolescent. «Nous pouvions y accueillir jusqu’à 300 personnes et nous organisions souvent des fêtes et des concerts. Il y avait même une piste de bal, la première de la vallée, qui l’hiver devenait une patinoire. Un endroit où l’on pouvait se divertir et surtout se rencontrer. «La terrasse était la place du village. L’autoroute a ôté son âme et son identité à Roveredo.»
Plus d’un demi-siècle plus tard, Piergiorgio Mazzolini ressent encore de la rage pour cette «blessure» infligée à la commune où il est né et a grandi et qui compte actuellement 2700 habitants. Selon lui – et il n’est pas le seul à le penser – le choix du tracé de l’A13 n’a pas seulement été effectué pour des raisons financières (une route coûte moins cher qu’un tunnel). «Certaines familles avaient des problèmes d’argent mais appartenaient au ‘bon parti’. Elles étaient des proches de ceux qui géraient les terrains pour le compte du canton. Pour elles, la construction de l’autoroute a été une véritable manne tombée du ciel.»
«Quelques maisons», poursuit-il, «ne devaient pas être détruites mais elles ont quand même été expropriées. Certains propriétaires ont reçu jusqu’à 30’000 francs [environ 100’000 francs d’aujourd’hui].
Le nouveau contournement a été accepté en votation populaire en juin 2014. Un pas qui a permis à la communauté de Roveredo d’effacer «une triste histoire supportée durant 50 ans», souligne Alessandro Manzoni, maire de Roveredo. Ce dernier souligne que la construction de l’A13 «a toujours suscité chez les habitants un sentiment de rage et de trahison.»
La renaissance de Roveredo
Les citoyens de Roveredo qui, dans le passé, n’avaient pas pu donner leur avis, pourront probablement s’exprimer d’ici la fin de l’année sur l’avenir de l’ancien tracé de l’autoroute. Le projet urbanistique de réaménagement du centre du village décidé par le Conseil municipal prévoit, sur une superficie de 9500 m2, la construction d’édifices résidentiels, d’un centre commercial et d’un parking souterrain.
«La construction d’une place est une condition sine qua non de la régénération», explique Marco Tognola. «C’est une bonne nouvelle», admet Piergiorgio Mazzolini, qui est cependant conscient du fait que la vie d’autrefois, lorsque le chemin de fer desservait le village qui comptait plus de 30 établissements publics (soit un pour 60 habitants, un record en Suisse!), ne reviendra plus.
Gianni Losa est quant à lui moins enthousiaste. «La nouvelle place est misérable. Elle devrait être bien plus grande.» De toutes façons, ce qui compte le plus pour lui et sa compagne Jole, est le fait qu’après l’inauguration du contournement, le 5 novembre 2016, plus aucun bruit ne parviendra de la vieille A13. «Sans le bruit des camions, j’aurai de la peine à m’endormir», ironise l’ex garde-frontière.
L’histoire recommence
Alors que pour un grand nombre d’habitants de Roveredo, l’histoire de l’A13 finit bien, pour d’autres une nouvelle aventure commence.
Les personnes qui vivaient à proximité des entrées du tunnel de contournement ont dû céder une partie de leurs terrains et aller vivre ailleurs. Celles qui ont décidé de rester malgré tout doivent se résigner et garder les fenêtres fermées.
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