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Le casse du siècle éclabousse Hollywood

Jho Low
Jho Low, gestionnaire de 1MDB, caricaturé en pirate lors d’une manifestation de protestation à Kuala Lumpur en 2018. L’homme menait grand train de vie, un peu à l’image du personnage de Leonardo Di Caprio dans le «Loup de Wall Street». Il s’était également improvisé producteur du film de Scorsese, avec de l’argent volé au peuple malaysien. Copyright 2018 The Associated Press. All Rights Reserved.

Le 12 janvier 2014, Leonardo Di Caprio monte sur la scène des Golden Globes. Ce jour-là, il reçoit le prix du meilleur acteur pour «Le Loup de Wall Street». Il remercie le réalisateur Martin Scorsese, mais aussi ses producteurs: «Joey, Riz et Jho». À l'époque personne n’y prête attention. Mais pour la journaliste britannique Clare Brown, c'est la révélation! Pour elle le financement du film est lié, de près ou de loin, à un gigantesque détournement de fonds publics en Malaisie.

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Le podcast «Dangereux millions» vous raconte comment la Suisse est devenue la lessiveuse des escrocs du monde entier. Bienvenue dans le monde feutré du crime financier. Qui, pour ce dernier épisode, nous raconte comment une journaliste anglaise a révélé l’un des plus gros détournements de fonds de l’histoire…

Tout commence à Bornéo, en Asie du sud-est. Cette île, la plus grande du monde, appartient à trois pays. Celui qui nous intéresse, c’est la Malaisie. Il faut imaginer les forêts profondes du Sarawak. C’est là qu’est née la journaliste Clare Brown. Avant de partir à Londres, elle a grandi dans ce qui était alors une colonie britannique,

Un jour, elle part en reportage sur place. «Là-bas j’ai vu à quel point l’exploitation forestière dont j’avais un peu entendu parler était dévastatrice», explique-t-elle. Une destruction inutile, une spoliation sans limites de l’une des zones les plus importantes du patrimoine naturel de notre planète. «J’ai aussi pu voir les effets que cela avait sur les populations indigènes qui essayaient de protéger leur vie, leurs ressources et qui se faisaient tout simplement piétiner par ce qui était clairement un comportement criminel. Et j’ai réalisé que tout ça, c’était lié à un gouvernement corrompu et à un financement illégal qui permettait cette exploitation forestière criminelle.»

En 2010, Clare Brown lance un blog, le Sarawak ReportLien externe, qui devient rapidement le média de référence en Malaisie. Ses révélations font tellement de bruit qu’elle a interdiction de revenir dans le pays dès 2014. Mais depuis l’Angleterre, la journaliste continue d’enquêter.

François Pilet et Marie Maurisse
Les journalistes d’investigation François Pilet et Marie Maurisse, de Gotham City, ont mené l’enquête tout au long de cette série de six podcasts, en allant chercher des documents jamais explorés et des témoignages inédits. Carlo Pisani

Le fonds bidon

Elle s’intéresse à un fonds d’investissement, créé quelques années plus tôt par le Premier ministre Najib Razak. Cette réserve d’argent public était censée financer des projets de développement pour la Malaisie et ses 30 millions d’habitants, notamment dans des régions rurales et défavorisées. Le nom de ce fonds, c’est «One MDB» en anglais. Pour «Fonds public de développement numéro 1».

Clare Brown: «Ce fonds n’a jamais rendu compte de ses activités. Les années ont passé, les rapports d’activité ont été retardés. Et l’argent surtout semblait s’évaporer dans la nature…. C’est ça qui m’a intéressé. J’avais remarqué que l’un des projets dans lesquels des fonds avaient soi-disant été investis se situait au Sarawak, où j’étais en reportage pour un sujet sur l’exploitation forestière illégale.»

Grâce à ses sources, Clare Brown identifie rapidement les personnes qui gèrent en coulisses ce fonds de deux milliards de dollars. Parmi elles, on trouve un certain «Jho Low». Le même, que Leonardo Di Caprio remercie lors de la cérémonie des Golden Globes…

En réalité, le film a bénéficié d’un financement de 100 millions de dollars octroyé par Riza Aziz, le beau-fils du Premier ministre malaisien. Ce que Clare Brown soupçonne, c’est que cette cagnotte vient directement du fonds 1MDB…

La société bidon

L’argent, pour transiter en toute discrétion, est en fait passé par la société PetroSaudi, basée en Suisse, en Angleterre et en Arabie Saoudite. Pour en savoir plus, la journaliste contacte une source de première main: Xavier Justo. Il occupe le poste de «directeur» chez PetroSaudi à Genève de 2005 à 2009, alors que l’entreprise est détenue par son ami Tarek Obaid. L’argent coule à flots: plus de 1,8 milliard de dollars arrivent sur les comptes de PetroSaudi.

Mais après une brouille avec son ami, Xavier Justo prend la porte, avec dans ses valises des documents confidentiels sur ce mystérieux magot… PetroSaudi le prend mal et porte plainte. Il est arrêté dans sa maison de Thaïlande en 2015.

Le cauchemar pour de vrai

Pour lui, le cauchemar ne fait que commencer. «Là bas tout est sale, tout est cassé, ça sent mauvais. La cellule ou je dors fait 30 mètres carrés, il y a 50 personnes. Il fait 45 degrés, il n’y a pas de toilettes», raconte-t-il à Gotham City. Il restera en prison 547 jours. Clare Brown prévient plusieurs autorités, mais les Américains sont les seuls à agir.

Fin 2015, le Wall Street Journal annonce que le FBI a ouvert une enquête sur la base des articles de Clare Brown. Quelques mois plus tard, les autorités américaines lancent une procédure judiciaire pour confisquer l’argent malaisien détourné par le financier Jho Low et son ami Tarek Obaid. C’est la fin pour PetroSaudi.

L’horloge tourne

Suite au scandale 1MDB, le Premier ministre Najib Razak perd les élections en 2018. Il a fini par être condamné à 12 ans de prison, pour le détournement des fonds de 1MDB.

Pour Xavier Justo, le retour en Suisse a été difficile. Les autorités helvétiques ont ouvert une enquête contre lui, pour «espionnage industriel». Cette enquête est toujours ouverte. Il est parti s’installer en Espagne avec femme et enfant.

En avril 2023, alors que nous étions en train de terminer ce podcast, la justice suisse a finalement inculpé le patron de PetroSaudi, Tarek Obaid. Il est accusé de détournement de fonds et de blanchiment. Mais l’horloge tourne: il y a un délai de prescription qui s’approche à grands pas. Avec le risque qu’il ne soit jamais ni jugé ni condamné.

Nous avons contacté les avocats de PetroSaudi, ils n’ont pas souhaité faire de commentaire. 

Le financier Jho Low, lui, est parvenu à s’enfuir. Il serait caché en Chine, où il aurait gardé une partie du trésor volé. Sur les 1,8 milliard détournés via des banques suisses, seulement 200 millions ont été retrouvés par les enquêteurs helvétiques.

Clare Brown travaille toujours comme journaliste, à Londres, où elle continue de publier des articles sur son blog.

Quant à Leonardo Di Caprio, il a été interrogé par le FBI, mais il n’a pas été inquiété. Il dit qu’il ignorait d’où venait l’argent de son ami Jho Low. L’acteur a touché 25 millions de dollars pour son rôle dans le «Loup de Wall Street»…

Machine à laver
Coproduit par swissinfo.ch, Europe 1 Studio et Gotham City, «Dangereux millions» raconte comment la Suisse est devenue la lessiveuse des escrocs du monde entier. Ceci était le dernier épisode de la saison. Nous espérons que vous avez eu du plaisir à écouter ces histoires. N’hésitez pas à partager! swissinfo.ch

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