Le négoce de matières premières en ligne de mire
La pression monte pour que la Suisse durcisse ses réglementations dans le secteur des matières premières. Autorités et militants estiment que les entreprises de négoce basées en Suisse représentent une menace potentielle pour l'image du pays.
Le négoce de matières premières a pris une ampleur spectaculaire durant la dernière décennie, de manière largement incontrôlée et loin de l’attention du public. Il représente désormais près de 3,5% du produit national brut, plus que le tourisme et l’industrie des machines.
Les critiques disent que la forte concentration sur le territoire suisse d’entreprises actives dans le négoce et l’extraction de matières premières – telles que Glencore, Xstrata et Trafigura – représente un risque.
«J’ai l’impression que nous sommes assis sur une bombe à retardement», a déclaré l’ancien parlementaire suisse Dick Marty à l’occasion d’une conférence de presse sur les entreprises et les droits humains organisée par le Département fédéral des affaires étrangères (DFAE) le 11 septembre.
Dick Marty soutient la campagne «Droit sans frontières» qui demande un cadre légal clair obligeant les entreprises basées en Suisse à respecter les droits humains et les standards environnementaux dans le monde entier.
Réparation pour les victimes
«Les directions des sociétés installées en Suisse doivent être tenues responsables des activités de leurs filiales. Les victimes de violations des droits humains et de désastres environnementaux dans des pays où le système judiciaire est inefficace devraient être en mesure de chercher réparation devant les tribunaux suisses», a indiqué Dick Marty à swissinfo.ch.
La campagne, soutenue par une alliance de 50 organisations non gouvernementales, a remis au mois de juin une pétition signée par 135’285 personnes aux autorités fédérales. La coalition montre du doigt plusieurs cas problématiques impliquant entre autres des filiales de Glencore en République démocratique du Congo et des filiales de Xstrata au Pérou et en Argentine.
«Il s’agit d’un domaine controversé qui évolue sur le plan international et provoque des craintes à l’échelle nationale, a expliqué l’organisateur de la conférence de presse, Claude Wild, chef de la division Sécurité humaine au DFAE. Nous voulons une industrie suisse du négoce à la fois propre et transparente.»
Ces dernières années, des membres du parlement suisse ont demandé à plusieurs reprises au gouvernement de préciser sa stratégie à long terme et sa position concernant les risques potentiels.
Le Conseil fédéral a rendu sa dernière réponse écrite le 15 août. Il y indique être conscient que les accusations d’abus dans les pays en développement, si elles s’avèrent exactes, constituent un risque pour la réputation de la Suisse et sont «en contradiction avec notre engagement international en faveur des droits humains et environnementaux».
Pas de contrainte
Aux règles contraignantes, les autorités suisses ont préféré jusqu’ici les initiatives volontaires. Elles soutiennent plusieurs projets tels que les directives de l’OCDE pour les entreprises multinationales et les principes de l’ONU concernant les droits humains et les entreprises adoptés par le Conseil des droits de l’Homme en juin 2011.
Les Etats-Unis, la Grande-Bretagne, l’Allemagne ou encore les Pays-Bas ont commencé à travailler à des plans d’action nationaux visant à mettre en œuvre les principes des Nations Unies.
«Nous espérons que la Suisse va leur emboîter le pas», a souligné John Morrison, directeur de l’organisation Human Rights and Business. Depuis le mois de mai, deux groupes de travail ont été mis en place au sein de l’administration pour discuter de la question.
Les militants suisses montrent une confiance mitigée concernant l’évolution de la situation.
«Je suis assez optimiste. Il y a une prise de conscience des problèmes potentiels et personne ne veut que le dossier explose au visage de la Suisse comme ce fut le cas pour le secret bancaire», note Lorenz Kummer, de l’organisation Swissaid.
Chantal Peyer, de l’ONG Pain pour le prochain, indique pour sa part que l’existence de deux groupes de travail est positive. «Mais le gouvernement adopte une position réactive, dit-elle, soulignant l’absence d’information au public. Que va-t-il se passer? Quel est l’objectif? Le processus est bloqué de l’intérieur, car ni l’Union patronale ni le Secrétariat d’Etat à l’économie ne veulent avoir de vrai débat.»
Quant aux entreprises comme Glencore, «elles ne comprennent pas ce que signifient les directives et n’ont pas l’intention de s’en préoccuper à court terme», ajoute-t-elle.
La pression monte
La Suisse pourrait cependant se retrouver dépassée par les événements, car la pression extérieure monte. Au mois d’août, les Etats-Unis ont adopté des règles de transparence drastiques pour les entreprises américaines conduisant des opérations minières et pétrolières à l’étranger. Et l’Union européenne entend suivre cet exemple cette année encore, ce qui laisserait la Suisse isolée.
«Le danger est que nous réagissions seulement une fois qu’un vrai désastre arrive, comme cela a été le cas pour les fonds juifs en déshérence, Swissair ou le scandale UBS. Dans tous ces cas, les avertissements étaient là, mais nous les avons ignorés. Cette fois-ci, la Suisse a l’opportunité de montrer la voie, mais elle doit être créative et courageuse», estime Dick Marty.
Grâce à la situation centrale de la Suisse en Europe, des villes telles que Winterthour, Lucerne et Lausanne ont une longue tradition de négoce de matières premières telles que le coton ou le café.
L’entreprise Volkart, basée à Winterthour, a débuté ses affaires dans les domaines du coton, du café et des épices au Sri Lanka et en Inde en 1857. La société bâloise Union Trading Company a été un des premiers négociants en cacao.
Après les deux guerres mondiales, les entreprises de négoce de matières premières s’intéressent de plus près à la Suisse, pays neutre dont l’économie et la structure politique ont survécu aux conflits.
La première maison de négoce de grains voit le jour à Genève dans les années 1920. Après la Deuxième Guerre mondiale, dans le contexte de la Guerre froide, la Suisse offre un terrain neutre aux entreprises américaines désirant faire des affaires avec les pays du bloc soviétique.
La popularité de Genève en tant que destination touristique pour les voyageurs du Moyen-Orient donne un avantage à la ville lors de l’essor de l’industrie pétrolière dans la région.
Dans les années 1990, les entreprises pétrolières russes s’installent aussi en Suisse, dans le canton de Zoug.
Certaines des plus importantes entreprises de négoce de matières premières et entreprises actives dans l’extraction de matières premières sont désormais basées en Suisse, notamment Glencore, Xstrata, Trafigura, Vitol, Gunvor, Litasco, Mercuria, ADM, Bunge, Cargill, Dreyfus et Kolmar Group.
(Traduction de l’anglais: Sophie Gaitzsch)
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